L’Express s’associe à l’institut de sondages Viavoice, à HEC Paris et à BFM Business pour questionner un panel représentatif de Français et de cadres sur un sujet d’actualité. Jeremy Ghez, professeur d’économie et d’affaires internationales à HEC, décrypte les résultats de ce Baromètre des décideurs.L’Express : Les trois quarts des cadres et les deux tiers des Français ne considèrent plus les Etats-Unis comme un allié. Est-ce le signe d’un antitrumpisme conjoncturel ou d’un antiaméricanisme plus profond ?Jeremy Ghez : A vrai dire, ni l’un ni l’autre. Je me demande, en fait, si les Français – et plus largement les Européens – ne sont pas en train de prendre conscience d’une douloureuse réalité : l’Amérique n’est tout simplement pas le même pays que par le passé, celui que notre génération a cru connaître et aimer. Cette réaction traduit surtout nos propres vulnérabilités à nous, Européens, dans cette mondialisation. Notre pire cauchemar est en train de se matérialiser, à savoir que les Etats-Unis ne sont plus aussi bienveillants et ouverts envers le système international et l’Europe. Trump est le catalyseur de ce sentiment. Il est un symptôme plutôt qu’une cause.Pour comprendre, il faut remonter à 2006, année d’élections de mi-mandat qui se soldent par un sérieux revers pour les républicains et George W. Bush. Donald Rumsfeld est renvoyé du Pentagone, il est remplacé par Robert Gates, qui va rester secrétaire à la Défense sous Barack Obama. Voilà ce que Gates dit à l’époque : “Quiconque à ma place encouragerait un président américain à se lancer dans une aventure similaire à celle de l’Irak ou de l’Afghanistan devrait se faire examiner le cerveau.” La croyance qui prévalait jusqu’ici chez les Américains selon laquelle “ce qui est bon pour le reste du monde est bon pour les Etats-Unis” est remise en cause. Barack Obama commence à intégrer dans la stratégie américaine que la mondialisation est un jeu à somme nulle : ce que l’Amérique gagne, le reste du monde le perd, et vice-versa. On entre alors dans le rapport de force.Dès son premier mandat, Trump se montre plus explicite avec l’”America First”. Quatre ans plus tard, Joe Biden fait la synthèse en déclarant que la politique étrangère des Etats-Unis doit se faire au service des classes moyennes américaines – il n’y a plus, dans ce discours, aucune considération du reste du monde. Aujourd’hui, Trump fait office de coupable idéal. Mais il est l’incarnation d’un virage politique amorcé il y a vingt ans.Au vu de ce continuum, pourquoi l’Europe et la France sont-elles à ce point sidérées par les premières semaines de la présidence Trump ?Cette sidération est authentique, bien qu’un peu naïve. Jusqu’en 2015, la France a été préoccupée par la crise institutionnelle sans précédent traversée par l’Union européenne. Et puis, on a souvent cru – moi le premier d’ailleurs – que le Donald Trump de 2016 était un accident de l’Histoire. Nous avons tous relu le roman de Philip Roth, Le Complot contre l’Amérique, qui se termine en queue de poisson. On se dit que c’est un mauvais rêve, que les Américains sont capables du pire, mais qu’ils se réveilleront vite. Quand Biden est élu en 2020, nous poussons tous un ouf de soulagement.L’Inflation Reduction Act, qu’il met en œuvre, confirme pourtant que l’Amérique est extrêmement agressive dans sa politique budgétaire. Et que, peut-être, les intérêts du Vieux Continent ne sont plus au cœur de ses préoccupations stratégiques. Aujourd’hui, l’Europe et la France réalisent leur erreur : non, Trump n’est pas un coup du sort. D’où les évolutions extrêmement rapides que l’on observe en ce moment, sur des débats encore tabous hier comme le nucléaire ou la défense européenne.Les Français sont partagés sur la capacité de l’Europe à rivaliser avec les Etats-Unis, la Chine ou la Russie. Etes-vous optimiste ?Les leaders européens essayent d’inverser la tendance. Ils se rendent compte que l’avenir de l’Ukraine, et par extension de l’est de l’Europe et même de l’Europe entière, dépendra davantage de ce qu’ils vont faire que de ce que Donald Trump va dire. Je suis convaincu que Trump est en train d’obtenir la victoire diplomatique qu’il cherchait, c’est-à-dire un gel du conflit. Pour son image personnelle, à destination de son électorat, et peut-être dans l’espoir d’obtenir le Nobel de la paix.La véritable question aujourd’hui, c’est de savoir ce que les Européens projettent sur l’Ukraine. Vont-ils accepter un pays divisé, neutralisé, sans intégrité territoriale, interdit d’entrer dans l’Union européenne ou dans l’Otan ? Ou tirer les leçons de l’histoire et choisir l’Allemagne de l’Ouest comme référence, pour investir dans ce pays qui doit certes combattre la corruption, mais peut devenir un modèle d’Etat prospère et démocratique à l’est de l’Europe ? C’est la mission des Européens, les Américains n’en ont que faire aujourd’hui.N’a-t-on pas tendance à exagérer les faiblesses de l’Europe ?On avait coutume de dire que, face à un problème, les Etats-Unis cherchent à innover, les Chinois à copier et les Européens à réguler. Aujourd’hui, les Américains innovent toujours, mais plus de la même manière. Les Chinois ne copient plus vraiment. Mais les Européens, sans conteste, continuent de réguler. Mine de rien, c’est une forme d’influence géopolitique. L’Europe représente environ 500 millions de consommateurs. Pour pénétrer notre marché, les géants de l’Internet, américains aujourd’hui, chinois demain peut-être, doivent se conformer aux lois européennes.Cette extraterritorialité de la loi, très critiquée du côté américain, nourrit la puissance européenne. On a aussi tendance à oublier notre savoir-faire en matière de gouvernance. L’Europe a réussi à faire coexister des pays qui partaient en guerre à peu près tous les vingt ans ! Face à aux Américains et aux Chinois qui tournent le dos à l’Organisation mondiale du commerce, le multilatéralisme à l’européenne a des atouts. Le traité en cours de validation entre l’Europe et le Mercosur est clairement un accord anti-Trump.Le boycott, en France, des marques américaines est-il possible ?Je ne crois pas. Il y a toute une partie de l’Amérique que la France continue d’aimer, pour des raisons culturelles, historiques. Ensuite, je m’attends à une contre-offensive des entreprises américaines. Il y a des précédents : quand Donald Trump s’est retiré, lors de son premier mandat, de l’accord de Paris, un certain nombre de firmes ont dit que c’était une mauvaise décision et qu’elles n’abandonneraient pas leurs efforts de décarbonation, parce qu’il en allait de leur compétitivité face à la concurrence chinoise.L’allégeance récente à Trump des grands patrons de la tech me semble de pure circonstance. Quant à la relation entre Elon Musk et lui, je ne cesse de répéter qu’elle ne durera pas. Parce qu’elle pose trop de questions en termes d’ego et de conflits d’intérêts. Sauf à croire que l’Etat de droit est mort aux Etats-Unis, ce mélange des genres est extrêmement bien codifié par la loi.
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Author : Arnaud Bouillin, Muriel Breiman
Publish date : 2025-04-01 04:30:00
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