Une visite secrète, avant la conversation officielle du 31 mars entre les deux présidents : le conseiller diplomatique de l’Elysée Emmanuel Bonne est à Alger le 26 mars. Pendant la crise, les échanges continuent. Et c’est un homme au cœur de ces conciliabules qui le confie : “Le président Tebboune suit la politique française de très près, il la maîtrise mieux que certains à Paris. Il n’est pas dupe.” Si le dossier algérien est explosif, c’est aussi pour cela, parce qu’il mêle comme aucune autre diplomatie, économie, immigration, sécurité, enjeux de mémoire et considérations politiciennes.Abdelmadjid Tebboune cite peu son nom. Le chef d’Etat algérien est trop heureux de réduire Bruno Retailleau au rang d’acteur médiocre du “capharnaüm politique” français. Le ministre de l’Intérieur s’accommode sans mal de cette indifférence. Il exhibe avec fierté les Unes que la presse locale lui consacre depuis le début de son bras de fer avec le régime algérien, coupable de refuser sur son sol tant de ressortissants visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le Vendéen mène ce combat à ciel ouvert, avec l’opinion publique pour témoin. Il serait regrettable que les militants LR, appelés à désigner leur nouveau leader en mai, n’observent pas cette exhibition de muscles. “Retailleau prend possession d’un espace capital grâce à un dossier qui parle à la droite la plus forte sans être un sujet extrémiste”, note l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin.Les rôles assignés de Beauvau et du Quai d’OrsayFrançois Bayrou mesure l’influence du scrutin interne de la droite dans cette bataille diplomatique. “Le congrès de LR est le cadre de référence” dans lequel s’inscrit la gestion du dossier algérien par Bruno Retailleau, dit-on à Matignon. Le chef du gouvernement ne peut s’en plaindre. Il a voulu des ministres forts. Il ne peut donc pas s’opposer à ce qu’un membre de son gouvernement concoure à la présidence d’un mouvement. Mais cela a des répercussions politiques. Elles se sont fait sentir dès le 25 février. A la veille du comité interministériel sur l’immigration, Bruno Retailleau souffle une idée au chef du gouvernement. Et si l’Algérie était ajoutée à l’ordre du jour de la réunion ? Vendu. L’attentat perpétré trois jours plus tôt par un clandestin algérien à Mulhouse a transformé la requête en évidence. Bruno Retailleau martèle sa stratégie. Il met en scène sa confrontation avec le régime, de sa promesse d’une “riposte graduée” à son appel à une dénonciation des accords de 1968. Qui se souvient qu’Edouard Philippe fut le premier à exiger leur abolition ? Le maire du Havre, peut-être… Un proche du patron d’Horizons admet que les Français attribuent au Vendéen la paternité de cette idée populaire.Le soupçon d’instrumentalisation rôde. Beauvau brandit son pragmatisme en guise de bonne foi. La politique de la main tendue a-t-elle fonctionné ? La “repentance” a-t-elle adouci le pouvoir algérien ? Ses services de renseignement ont moins coopéré avec la France que la Russie lors des derniers Jeux olympiques. Bruno Retailleau n’était alors qu’un simple sénateur. Non, l’exigence d’efficacité commanderait la fermeté. Décidément, ces diplomates à la retraite sont plus politiques que leurs successeurs.En toute subjectivité, les rôles sont assignés. A Beauvau, la politique sabre au clair. Au Quai d’Orsay, la diplomatie à la papa. Teintée de l’arrogance des sachants, obsédée par une bienséance désuète. “Une ONG vaporeuse”, s’agace parfois Bruno Retailleau. Ces diplomates connaissent le monde par cœur. C’est leur force. Ils y ont développé tant de liens affectifs. Là serait leur faiblesse. Louis-Xavier Thirode a travaillé à l’ambassade d’Alger avant de devenir directeur de cabinet adjoint de Bruno Retailleau. Cela laisse des traces : “Quand je suis revenu d’Algérie, je n’avais qu’une envie : c’est d’y retourner”, l’a-t-on déjà entendu dire au sein du cabinet. Un fidèle du chef de l’Etat s’agace de cette opposition schématique : “Il y a eu une tentative par Beauvau de faire porter le chapeau de la crédulité au Quai. Mais on pourrait rétorquer que Beauvau a une approche naïve, tournée davantage vers la politique intérieure que vers le pragmatisme et la volonté d’obtenir des résultats.”Alerte enlèvement. L’offensive Retailleau a suscité quelque effarement au gouvernement. “Le dossier algérien est totalement pris en otage, regrette un ministre. Cela affaiblit le gouvernement de la France de mettre en scène les divisions entre le Quai d’Orsay et Beauvau et cela fait perdre du temps face à l’Algérie alors qu’il faut s’adapter au double discours permanent de son gouvernement.”Le cas Boulem Sansal illustre la gamme des stratégies : pendant que la ministre de la Culture, Rachida Dati, revendique sa discrétion après avoir publié un communiqué sur le sort de l’écrivain – “Il faut être dans la négociation plutôt que d’en rajouter, quand vous êtes ministre, vous êtes dans une entité qui négocie avec une autre entité”, observe-t-on rue de Valois –, son homologue de l’Intérieur multiplie les déclarations jusqu’à évoquer le sujet dans ses meetings électoraux pour la conquête de la présidence de LR.Alerte vents contraires. La bourrasque Retailleau a certes laissé la cellule diplomatique chancelante à l’Elysée mais il en faut bien davantage à Emmanuel Macron pour vaciller. “L’accord de 1968, c’est le président”, le double jeu aussi, c’est le président. Quand le ministre de l’Intérieur le rejoint, le mercredi 5 mars, pour une mise au point sur le dossier algérien, il a lu comme tout le monde les récentes déclarations du chef de l’Etat. “Il ne faut pas que les relations franco-algériennes fassent l’objet de jeux politiques “, a notamment prévenu ce dernier. Alors, quand leur tête-à-tête débute, Bruno Retailleau se hasarde : “Monsieur le président, y a-t-il une divergence entre nous ?” Le locataire de Beauvau a des antennes et les oreilles qui sifflent, il sait qu’autour d’Emmanuel Macron, les spécialistes officiels du sujet Algérie s’égosillent : “Plus le ministre de l’Intérieur s’exprime, moins les Algériens coopèrent.” Mais ce président est libre et, parfois, fin stratège. Sans doute a-t-il perçu l’avantage qu’il pouvait tirer d’une saine répartition des rôles : à Retailleau la fermeté affichée qui satisfait l’opinion en France, à lui, président, le domaine réservé des négociations de coulisse qui, si elles débouchaient, lui permettraient de se féliciter d’une victoire durement acquise. Pas question donc de tancer le ministre. “Nous sommes d’accord sur l’objectif, il faut expulser les OQTF”, a répondu Emmanuel Macron d’après le récit qu’il a lui-même fait à ses conseillers. Avant d’ajouter : “Cet objectif doit valoir pour tous les pays.”Cela fait longtemps que la question migratoire surplombe le sujet. En 2019, l’Elysée avait commandé une note “confidentiel défense” : que se passerait-il si une vague d’arrivées déferlait sur les côtes françaises lors d’un printemps algérien ? Ils pourraient être 1 million… “Le jour où l’armée s’énerve à Alger et tue 20 personnes, il faudra qu’on soit préparé à l’afflux”, raconte un acteur de l’époque. Beauvau avait donc demandé aux préfets de se préparer à plusieurs scénarios. Le cas du port de Marseille est particulièrement étudié, car il avait vocation à être la première destination des bateaux qui seraient pris d’assaut.On n’est pas modeste quand on est président. Emmanuel Macron a-t-il cru qu’en annonçant “honnêtement”, selon le mot confiant d’un diplomate, au président Tebboune en marge du G7 italien en juin 2024 qu’il s’apprêtait à reconnaître la marocanité du Sahara occidental, il pourrait poursuivre son objectif de réconciliation des mémoires franco-algériennes ? Pense-t-il, aujourd’hui encore, pouvoir refonder la relation entre la France et l’Algérie en obtenant la libération de Boualem Sansal, en négociant de meilleurs chiffres de réadmissions, en apaisant les esprits de la diaspora algérienne ? Si c’est le cas, ce ne sera pas avec le vindicatif Bruno Retailleau : c’est Jean-Noël Barrot puis le garde des Sceaux Gérald Darmanin qu’il envoie sur place, selon le communiqué conciliant publié le 31 mars.L’intime conviction d’Emmanuel Macron2017, quelques semaines après son voyage en Algérie et ses propos sur la colonisation “crime contre l’humanité”, Emmanuel Macron reçoit un coup de téléphone. Gérard Collomb est meurtri par les mots de son jeune ami. Une erreur, songe-t-il. Il sermonne : “Tu n’es pas de cette génération, tu ne peux pas mesurer les tenants et aboutissants émotionnels…” La réponse jaillit, triomphante : “C’est précisément parce que je ne suis pas cette génération que je peux le faire.” On n’est pas plus modeste quand on est aspirant président.Depuis toujours, et même depuis avant, Emmanuel Macron, comme tout président de la Ve, nourrit avec l’Algérie un fantasme. “Il rêve de trouver l’équilibre”, dit-on sobrement dans son entourage. Réussir là où ses prédécesseurs ont échoué, moteur classique du macronisme. Pour cela, il ne manque pas d’imagination. Avant de faire claquer la “rente mémorielle” aux oreilles du pouvoir algérien en 2021, il envisage une autre méthode : faire montre de considération en nommant ambassadeur en Algérie “le meilleur de lui-même” – selon l’un de ses confidents – et accessoirement ancien ministre de l’Intérieur : Christophe Castaner.Un temps, autour de lui, les plus téméraires ou les plus insouciants ont fait un rêve : qu’un geste, une image symbolise avant la fin de ses quinquennats cette réconciliation que les sceptiques considèrent impossible. Alors qu’il dirige la communication élyséenne, Joseph Zimet adresse une photo au président. Sur le cliché en noir et blanc, on observe le chancelier allemand Willy Brandt agenouillé à Varsovie, le 7 décembre 1970, devant le monument qui commémore le soulèvement du ghetto où des centaines de milliers de juifs connurent la mort, tués ou déportés. Zimet ne s’en tient pas là. Il assortit son envoi d’un message : un geste similaire d’Emmanuel Macron le ferait entrer dans l’Histoire comme l’homme de la réconciliation avec l’Algérie. La petite histoire, quant à elle, ne dit pas ce que le destinataire a répondu à son communicant. Mais l’un de ses conseillers s’esclaffe : “Vous imaginez le président à genoux ?”Et c’est précisément, croit-il, pour s’épargner toute forme de génuflexion que le chef de l’Etat ménage l’actuel dirigeant algérien. Son prédécesseur, Abdelaziz Bouteflika, était coriace, rigide, lourd de son passé. Emmanuel Macron en a fait l’expérience dès décembre 2017 lors de son premier voyage présidentiel en Algérie. Il glisse à l’oreille du chef de l’Etat âgé et malade un mot sur les harkis : “Monsieur le président, ne serait-ce pas le moment de pardonner ?” “Ces traîtres ? Jamais.”Il y a chez Emmanuel Macron l’intime conviction qu’avec un autre qu’Abdelmadjid Tebboune, tout serait pire. Bien sûr, il aimerait des progrès, mais il s’est réjoui devant plusieurs interlocuteurs de ses conversations pleines d’espoir avec Tebboune. Et ce dernier n’est pas loin d’élaborer le même raisonnement. Selon l’un de ses visiteurs récents, le président anticiperait la victoire en 2027 d’un candidat “anti-algérien”. Tout ce petit monde a quelques raisons de s’entendre.
Source link : https://www.lexpress.fr/politique/emmanuel-macron-bruno-retailleau-et-les-diplomates-face-a-lalgerie-la-bataille-secrete-WELOHEK755HZDCHEHG6PP7S4IA/
Author : Paul Chaulet, Laureline Dupont, Eric Mandonnet
Publish date : 2025-04-01 03:45:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
Trending
- Sind die Tage von Elon Musk an der Seite von Donald Trump gezählt?
- US-Zölle: “Das ist kein America first, das ist America alone”
- Mit grimmigem Blick verfolgt Klopp Leipzigs Pokal-Pleite
- Russland greift Charkiw mit Drohnen an
- Illegal immigrant who allegedly escaped Colorado ICE site during power outage captured on bus
- Charge dropped against foster advocate accused of assaulting Rep. Nancy Mace
- After Briefly Disappearing, TikTok Went Back to Normal. Or Did It?
- Les enfants sont-ils prêts à partager ? Ces parents font le test dans des vidéos aussi drôles qu’adorables
Wednesday, April 2