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Imaginez un peu la “hauteur d’âme”, comme dirait l’acteur Fabrice Luchini… Le dénommé Satoshi Nakamoto, un pseudo derrière l’invention du bitcoin en 2008, est détenteur, sur le papier, d’une fortune de plusieurs dizaines de milliards de dollars grâce à un trésor constitué de près d’un million de jetons. Le cryptoactif est le joyau de la vitrine de puissants gestionnaires de fonds comme BlackRock ou Fidelity. Des millions d’adeptes le vénèrent, lui et sa création. Même un Donald Trump en a fait un atout de sa campagne victorieuse pour la présidence des Etats-Unis. Mais rien. Pas une apparition, un message, un bitcoin dépensé ou transféré. Satoshi reste un anonyme – glorieusement silencieux – et ce, depuis quatorze ans désormais. Est-il tout simplement mort ?Benjamin Wallace a un avis. L’auteur américain a publié à la mi-mars The Mysterious Mr. Nakamoto, une enquête sur cette énigme, la plus célèbre d’Internet. Disons-le de suite : il ne l’a pas résolue. Le véritable nom de Nakamoto serait le titre du livre, “et une nouvelle d’ordre internationale reprise jusqu’en Antarctique”, s’amuse-t-il auprès de L’Express. Cela étant dit, “il est probable que Satoshi soit décédé, affirme Wallace. Sinon, s’il n’est pas intéressé par l’argent, pourquoi ne brûlerait-il pas tous ses bitcoins ? L’actif serait encore plus déflationniste, ce qui arrangerait sa cause…” Et de poursuivre : “Qu’il ne voit aucune raison de se montrer, que personne ne le dénonce pour une foule de raisons, de l’inimitié au recueil de confidences saoules, par exemple, est presque impossible.” Enfin, à une condition. “Qu’il ait agi, seul ou en groupe, au nom d’une agence de renseignement”, assène-t-il. Loin de lui l’envie d’agiter une thèse aux allures complotistes. “Il n’existe tout simplement pas d’autre exemple d’une organisation capable de garder un secret aussi longtemps.”Les propos de Wallace ont même un certain crédit. Le journaliste est l’un des premiers à s’être penché sur le bitcoin, dans le cadre d’un article pour le magazine Wired, paru en 2011. Il extirpe cette histoire et le secret de son inventeur des tréfonds obscurs de forums d’informaticiens. Benjamin Wallace garde toutefois au départ une certaine distance avec son sujet – après tout, qui pouvait prédire que le bitcoin grimperait autant par la suite ? Tout ceci lui servira lorsqu’il lance sa phase de recherche intensive, au moment de la pandémie du Covid-19, lorsque le cryptoactif explose à la face du monde. “J’ai bénéficié des essais des autres pour identifier Nakamoto avant moi”, souffle-t-il. Des centaines de pistes fumeuses, à l’image de celle menant à Elon Musk. Ou des “coming-out” médiatisés de quidams comme Craig Wright, un informaticien et entrepreneur australien qui a prétendu être le créateur du bitcoin, sans jamais apporter de preuve à ses déclarations. Du bruit que Wallace s’épargne. Enfin, il arrive bien préparé. En plus des traditionnelles enquêtes de terrains et des interviews en pagaille, le journaliste engage des stylographes pour analyser les textes laissés par Nakamoto mais aussi son code informatique. Il s’offrira même au fil du chemin un détective privé. Sans succès donc. Mais pas sans intérêt. A-t-il cru percer le mystère au cours de l’enquête ? Oui. Par deux fois, admet-il.Hal Finney et James A. DonaldD’abord, dans la piste Hal Finney, un informaticien de génie et premier destinataire d’une transaction de Satoshi en personne. Un “suspect” de longue date de la communauté bitcoin. Ce que Wallace confirme, en parlant avec diverses sources très proches de Finney, jamais approchées par d’autres limiers. En y ajoutant de nouvelles preuves indirectes – une publication Facebook livrant son identité, mais vite supprimée sur demande de l’épouse de Finney – une concordance dans le style d’écriture et de codage selon les experts mobilisés par Wallace. Hal Finney est mort en 2014, après avoir souffert dans les dernières années de son existence de la maladie de Charcot. Une absence, et même une quasi-inaptitude physique qui coïncide avec les périodes d’activité de Satoshi Nakamoto. Benjamin Wallace reste convaincu que Finney a au moins aidé à la conception du bitcoin. Mais il n’a jamais pu le confirmer au-delà de tout doute raisonnable.Une autre “touche” l’a mené à James A. Donald. Un homme quant à lui toujours vivant, et une voie presque jamais explorée. L’homme coche plusieurs cases : style de codage ancien, proche du mouvement cypherpunks – cette communauté de cryptographe qui aurait influencé le créateur du bitcoin. Deux autres détails intriguent Benjamin Wallace : les termes anglais “fencible” (en français “capable d’être défendu”) et hosed (“arrosé”). Des mots rarement utilisés… sauf par Satoshi Nakamoto et James A. Donald, s’est aperçu l’auteur grâce à son analyse des écrits du “Dieu bitcoin”. Fort de cette découverte, Wallace engage un détective privé pour localiser le codeur. C’est le moment “thriller” du récit. L’auteur se retrouve en Australie, face à la porte d’un pavillon des plus banal. Il aurait aimé une fin hollywoodienne, où le suspect ouvre la porte et avoue, souriant : “Vous m’avez eu.” Happy end. La réalité est moins glamour. Wallace a une conversation de trois minutes sur le palier du suspect qui se montre distant et sibyllin. L’enquêteur regrette de n’avoir réussi à obtenir aucune information. La théorie James A. Donald a toutefois, elle aussi, de réelles limites. Car la personnalité extrême, radicale du personnage scruté par Benjamin Wallace tranche avec le caractère plutôt calme, posé et aimable de Nakamoto, dans ses messages.Le cas James A. Donald a au moins un mérite : celui d’introduire les questions “tabou” dans la sphère crypto. “Et si Nakamoto était en réalité un sale type ? Et si Satoshi ne s’avérait pas être un noble informaticien aux tendances libertariennes, mais plutôt une agence de renseignement chinoise pour déstabiliser le dollar en tant que monnaie de réserve mondiale ?” L’impossible enquête de Wallace vaut également pour ces réflexions.De la crypto à la cryo”Alors qu’elle lançait une idée très marginale, qui aurait pu ne mener nulle part – pourquoi cette personne a-t-elle pris des mesures aussi extraordinaires pour rester anonyme ?” s’interroge l’auteur de l’ouvrage. Rien n’a été laissé au hasard. Aucun moyen d’identifier Nakamoto avec ses e-mails, son nom de domaine. “Il s’exprimait avec une opacité travaillée. Il répondait à des questions techniques mais ignorait les tentatives de l’attirer sur des questions personnelles”, note également Benjamin Wallace dans les bonnes feuilles de son œuvre publiée dans le New York Magazine.Un “mauvais” Satoshi Nakamoto serait un brusque retournement de situation pour le bitcoin. “Fidelity ne vous proposerait sûrement pas d’en acheter par le biais de fonds négociés en Bourse…”, souligne Wallace. Son prix à l’unité s’effondrerait, et beaucoup de personnes intéressées par ses caractéristiques financières s’en détourneraient – ce qui constitue la plupart des nouveaux convertis au bitcoin, estime Wallace. Ainsi, “les maximalistes du bitcoin n’envisagent pas la possibilité qu’il existe une version de Satoshi qui ne serait pas bonne pour le bitcoin”, poursuit l’auteur. Les plus fervents partisans préféreraient en réalité ne rien savoir, même si une personnalité comme Hal Finney est vue positivement. N’avoir aucun créateur réel est conforme à l’idéal de décentralisation de bitcoin. Il ne sera de ce fait pas en mesure de l’influencer. De quoi, peut-être, lui permettre de survivre au Trumpisme, qui joue actuellement avec le crypto-actif comme un chat avec sa pelote de laine. Et pourquoi pas plus loin. Le dernier bitcoin devrait être miné d’ici à 2140.Entre-temps, les méthodes d’enquêtes comme celles utilisées par Wallace risquent de devenir inopérantes. La mémoire joue des tours, trouble les souvenirs. Les sources meurent. Ce qui créera le doute sur la véracité de prochaines découvertes. Dès lors, qui voudra se lancer dans une telle entreprise ? Il existe, par ailleurs, un certain nombre d’éléments qui permettent de replacer Nakamoto dans un univers, un contexte. Son origine – anglo-saxonne -, une idée de son âge (ou du moins de sa génération), ses influences libertariennes, liées en partie au groupe informel des cypherpunks. Y a-t-il besoin d’aller plus loin, sauf à aimer les chasses au trésor ? Découvrir le pot aux roses n’intéressera peut-être plus, si le bitcoin devient ringard et retombe à zéro.Benjamin Wallace, lui, ne se relancera plus dans une investigation aussi poussée sur le sujet. Mais il ne désespère pas d’assister un jour à l’éclatement de la vérité. L’IA et l’informatique quantique feront sans doute faire des bonds de géant à l’analyse numérique. Et, dans l’hypothèse de l’implication d’une agence de renseignement, une déclassification pourrait amener à ses questions avant sa mort (Wallace n’a que 56 ans). L’éventualité la plus extravagante serait une réapparition de Hal Finney. L’informaticien a mystérieusement choisi, à son décès, d’être conservé dans un caisson de cryogénisation. Pour, si la science le permet un jour, pouvoir prêcher la bonne parole bitcoin ?



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Author : Maxime Recoquillé

Publish date : 2025-03-31 05:30:00

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