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Jalousie. C’est le sentiment qui vous flétrit le cœur quand vous avez le malheur d’être journaliste politique et que vous tenez dans vos mains un livre de Giuliano da Empoli. Immédiatement prolongé par la honte d’éprouver une telle passion triste à l’égard d’un auteur si humble, si courtois. Mais c’est ainsi. L’écrivain qui publie L’Heure des Prédateurs (Gallimard) a l’élégance – et le luxe – de la distance, que n’a pas ou ne peut plus avoir le journalisme politique tel qu’on le pratique à l’heure de l’urgence.Voilà longtemps, voilà toujours que l’ancien stratège du président du Conseil italien Matteo Renzi est devenu écrivain. Le Mage du Kremlin (Gallimard, Grand prix du roman de l’Académie française 2022), son roman-vrai paru en 2022, l’a sans doute conforté dans sa certitude qu’en politique, le discernement augmente avec la profondeur de champ. Il n’a jamais rencontré son personnage principal Vladislav Sourkov, ancienne éminence grise de Vladimir Poutine, devenu sous sa plume Vadim Baranov. Pourtant, il l’atteint. Le décortique. Dépeint son observation minutieuse de la Révolution orange de 2004 et l’exploitation de cette contestation par la Russie. C’est ce qu’on appelle sentir l’époque. Cataclysme, voici da Empoli brutalement transformé par la guerre, la vraie, et par la presse paresseuse en sorte de Paco Rabanne aux justes prédictions. Lui qui n’aspire qu’à la rigueur du “scribe aztèque” n’entend pas virer devin et encore moins s’il s’agit d’annoncer des apocalypses.Son regard en biaisEst-ce pour cette raison qu’il revient en 2025 avec un essai ? Il rassure : il a un roman sur le feu. Mais il ne pouvait pas laisser croupir au fond d’un carnet la matière accumulée lors de ses expéditions passées à interpréter “son rôle préféré : celui du type dont on ne comprend pas très bien ce qu’il fait là”. C’eût été regrettable, en effet. Terrible même. Pas tant parce que Giuliano da Empoli pénètre les terrains de jeux des puissants, autocrates et rois de la tech, mais parce qu’il le fait avec son regard en biais, celui qui offre à ses lecteurs des saynètes et des portraits à mi-chemin entre ceux des moralistes du XVIIe et les Croquis de mémoire de Jean Cau. Le résultat est aussi lumineux que vespéral. Tranquillement assassin. Mais l’écrivain fauche avec une affabilité… Et que dire de cet accent italien traînant et berceur qu’on entend presque quand il écrit en français ? Emmanuel Macron le veut à ses côtés quand il se rend aux Nations unies, Henry Kissinger le fait intervenir devant un échantillon de “son légendaire carnet d’adresses”, Justin Trudeau le convie à son déjeuner sur l’intelligence artificielle et, à vingt ans déjà, il tape dans l’œil de Francesco Cossiga, modestement président de la République italienne de 1985 à 1992.Mais jamais depuis qu’il a cessé de travailler auprès de Renzi, il n’a cédé sur son obsession : la conservation de sa marge de liberté, celle qui lui garantit ce coup d’œil atypique. Da Empoli ne conseille personne, il décrypte tout le monde. Dans Les Ingénieurs du Chaos, paru en 2019 (JC Lattès), c’était le temps des leaders qui instrumentalisent la colère. Dans L’Heure des Prédateurs, le voici parvenu à l’étape suivante, celle où le chaos devient la signature des tyrans. Prédateur en chef, Donald Trump a de sérieux concurrents. Ils œuvrent en Russie, en Arabie saoudite – lire puis assimiler sans trembler le chapitre consacré à la sidérante opération du Ritz-Carlton organisée par Mohammed ben Salmane pour condamner les traîtres et instaurer la peur -, au Salvador… Et dans ce néoroyaume dirigé par les géants de la tech “où tout ce qui avait constitué l’essence de l’aventure humaine jusqu’alors, à commencer par l’autonomie de l’individu, avait cessé de revêtir le moindre sens”.Pour résister, qu’avons-nous en notre pouvoir ? A en croire da Empoli et son humour pessimiste, pas grand-chose. Ainsi narre-t-il le dîner de la Fondation Obama auquel il se rend, un an après l’élection de Trump à la Maison-Blanche, mû par l’espoir de trouver quelques idées encourageantes près de celui qui a été “le phare des libéraux-démocrates de la planète”. Entre le discours introductif sur les mérites du potager bio entretenu par Michelle Obama et Heather, “le facilitateur de conversation” installé à sa table, on sent que l’auteur hésite. Plouf, plouf… Quel est le pire ? Sans hésiter, que ce qui reste de démocratie et de modération se révèle à ce point dépassé. Quand le progressisme se change en proie.L’Heure des Prédateurs, par Giuliano da Empoli. Gallimard, 160 p., 19 euros.



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Author : Laureline Dupont

Publish date : 2025-03-31 14:42:00

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