Autrefois, le pseudonyme était l’abri des écrivains clandestins, des pamphlétaires en exil, des âmes trop libres par temps trop durs. Il portait en lui une part de mystère, une ombre de dissidence et de secret. Le pseudonyme était un art, une signature énigmatique choisie avec soin, un voile élégant jeté sur l’identité. Gary devenait Ajar, Poquelin devenait Molière, Beyle devenait Stendhal. Le pseudonyme a toujours été un moyen d’échapper à son identité civile, parfois pour se protéger, parfois pour se réinventer, mais aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, il est devenu une cagoule informe, une étiquette criarde. L’élégance a cédé la place à la vulgarité, le style à la brutalité : de Yourcenar nous sommes passés à DarkDestroyer94, GrosGamerXXL ou Gugus25. Le pseudo n’est plus une discrétion mais un exutoire, ouvrant la foire aux ego débridés. Le monde réel a ses limites ? Qu’importe ! L’espace virtuel est un espace où l’on peut tout dire, tout être. Sous un pseudo, les limites s’évanouissent. Le plus timoré d’entre nous, celui qui n’oserait pas lever la voix dans une assemblée, se découvre une verve assassine et une agressivité sans frein. Lui qui, sous son vrai nom, pèserait chaque mot de peur d’être mal vu, se laisse aller à la jubilation de la haine, de l’invective qui blesse, du ressentiment qui rassérène.Le pseudonyme abolit les conséquences, dissout les responsabilités et transforme toute retenue en outrance. La meute applaudit, elle qui raffole de ces gladiateurs anonymes qui s’écharpent dans l’arène des commentaires, de ces exécutions publiques en 280 caractères, de ces délations où l’on extermine une réputation d’un pouce-like triomphal. Il n’y a plus de courage, d’affrontement réel, de regard direct. Juste des noms d’emprunt qui s’entredéchirent, dans des threads infinis dont chacun peut, un jour ou l’autre, être la proie. Ainsi va notre époque, où le pseudonymat avilit plus qu’il ne mythifie. Si, certes, il n’embellit plus vraiment, il dévoile invariablement.L’anonymat est, paradoxalement, une vérité. Il dénude bien plus qu’il ne cache. Car l’homme, dès qu’on le libère du poids de son identité, redevient lui-même – non pas l’homme idéalisé qu’il aimerait être, mais l’homme brut, sans filtre, sans fard, sans politesse. L’homme anonyme numérique, ce Gygès des temps modernes, se révèle dans l’invisibilité que lui permet son pseudo. Ce qu’il tait sous son vrai nom, il l’écrit sans trembler sous un faux. L’anonymat n’est pas un masque, c’est un miroir. Il ne cache pas, il montre.Ce que l’identité maquille, l’anonymat le dévoileL’identité, elle, est une dissimulation sophistiquée. On la croit fidèle, mais l’homme qui parle en son nom ajuste son discours et corrige son image en fonction de ce qu’il souhaite renvoyer de lui-même. On croit naïvement que l’identité nous définit, nous dévoile, nous procure une réalité stable et authentique. Pourtant, elle peut aussi être un jeu, une façade, un rôle à tenir et conduire à une vie truquée, un vol de soi, lorsque au lieu d’être on joue à être. Nous croyons alors nous construire mais nous nous conformons et entrons dans des identités qui nous formatent autant qu’elles nous déguisent : l’ami loyal, l’homme viril, la mère de famille, la femme sexy, le patron autoritaire, le jeune écolo… Autant de rôles qui nous font entrer dans une identité et substituent au courage d’être authentiquement soi-même le confort illusoire d’incarner une image figée. C’est déguiser son être en parodie et ses conduites en schémas.Cette perte de soi est aisée, car très vite nous pouvons devenir des automates conscients agissant par conformisme plus que par volonté singulière. Il est tellement plus facile de se réfugier derrière un archétype déjà écrit par la société que de convoquer la totalité singulière de sa personne pour s’aventurer dans un avenir libre et sans balise. On croyait l’identité garante de la vérité et l’anonymat complice du mensonge. Mais c’est l’inverse. L’identité peut en ce sens nous éloigner de nous-mêmes, et l’anonymat nous mettre à nu. Ce que l’identité maquille, l’anonymat le dévoile. Ce que l’identité retient, l’anonymat l’exhibe. C’est l’anonymat, bien plus que l’identité, qui révèle ce que nous sommes.* Julia de Funès est docteur en philosophie.
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Publish date : 2025-03-31 11:00:00
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