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Le mouvement s’est esquissé dans l’ombre et la sidération du premier mandat de Donald Trump entre 2016 et 2020, il s’est cristallisé avec l’invasion du Capitole en janvier 2021 et n’a pas cessé depuis. Longtemps, sous la présidence de Barack Obama, le roman noir américain s’est très majoritairement spécialisé dans le genre “serial killer” classique. Bien sûr, il y avait des exceptions, des auteurs soucieux de raconter “leur” Amérique, mais le roman social restait minoritaire.Désormais, les propositions de textes empreints de l’atmosphère politique du pays se multiplient. “Depuis la première élection de Donald Trump, on voit arriver du sud des Etats-Unis des livres non pas militants, ils ne dénoncent pas directement l’administration américaine, mais engagés, ils racontent les conséquences de cette nouvelle donne”, confirme Arnaud Hofmarcher, directeur éditorial de Sonatine. Une tendance déjà très sensible en librairie, que l’on retrouvera à Quais du polar, le festival du roman noir, à Lyon du 4 au 6 avril.Des enquêtes policières classiques dans le réelTous les auteurs n’embrassent pas de la même manière le changement de climat outre-Atlantique. Certains s’en servent pour ancrer leurs enquêtes policières classiques dans le réel, à la manière d’un Michael Connelly. Depuis trente ans, le romancier promène son héros Harry Bosch (et quelques autres) dans les grands épisodes de l’histoire récente, depuis les émeutes de Los Angeles en 1992, les attentats du 11 Septembre jusqu’à, dans son dernier roman A qui sait attendre (Calmann-Lévy), mettre en scène des partisans de Trump ayant participé à l’invasion du Capitole.D’autres racontent plus directement leurs inquiétudes face à un monde qui se disloque. “La prise du Capitole les a beaucoup marqués. Dans Le Présage de Peter Farris ou 2034 d’Elliot Ackerman, on ressent cette peur du fascisme, la crainte omniprésente d’une guerre civile dans un pays où les gens ne se parlent plus. C’est antérieur à Donald Trump mais il souffle sur les braises”, confirme Oliver Gallmeister, fondateur de la maison qui a fait de la littérature nord-américaine sa marque de fabrique. Fort de leur capacité à intégrer plus vite que les auteurs français les soubresauts de l’histoire dans leurs romans, ils donnent à voir les morceaux d’Amérique les plus malmenés dans la période récente.Après un large détour par le scénario et le roman historique, Dennis Lehane est ainsi revenu à un propos plus politique, avec Le silence (Gallmeister). Dans cette histoire d’une mère désireuse de venger sa fille, il dénonce la misère sociale et revient sur l’histoire raciale de Boston, sa ville fétiche. Dans Ces femmes-là (Christian Bourgois), la romancière Ivy Pochoda s’arrête sur le désintérêt suscité par les meurtres de plusieurs prostituées via un texte de fiction qui devient message militant. Au début de l’année 2026, Eli Cranor, déjà auteur de Chiens des Ozarks (Sonatine), publiera en France un roman autour d’un immigré mexicain travaillant dans une usine de l’Arkansas. “C’est presque un roman marxiste sur les conditions de travail, il raconte que le héros porte des couches car il n’y a pas de pause dans l’usine”, raconte Arnaud Hofmarcher.Comment Obama a déçu un électorat acquisPour le lecteur français, certains de ces écrits sont aussi l’occasion d’aller à l’encontre de leurs idées reçues sur l’Amérique d’aujourd’hui. Dans ce registre, mention toute particulière à Attica Locke avec son Il est long le chemin du retour (Liana Levi). On avait aimé son personnage de ranger texan noir dans ses précédents romans, en particulier dans Bluebird, Bluebird. On avait aussi aimé dans Pleasantville (Gallimard) sa manière de dévoiler les dessous de l’élection municipale de 1996 à Houston. Elle y racontait l’espoir suscité par un candidat de couleur qui avait toutes les chances de gagner, mais aussi les premières déchirures, ce moment où la communauté noire n’a plus voté seulement démocrate, mais s’est laissé tenter par les républicains. Dans son nouveau roman, elle part d’une trame policière assez classique, une jeune fille noire a disparu de l’université où elle était inscrite, pour raconter une Amérique sous influence trumpiste et comment cet homme qui nous paraît irrationnel et si éloigné des milieux populaires a pu les séduire.Sans jamais verser dans le démonstratif, ni le professoral, la romancière relate la déception suscitée par Barack Obama chez cette classe moyenne inférieure qui n’a gardé de l’espoir né de ses deux mandats que le sentiment de sa paupérisation. Une perte d’emploi, un enfant malade, des dettes, la rue. “A ce moment-là, Obama prenait possession du bureau Ovale et on commençait à parler d’un projet d’assurance-maladie qui permettrait aux gens comme eux de mieux résister aux coups du destin, aux mauvaises surprises cachées dans leur ADN”, écrit Attica Locke. Mais “c’est avec l’Obamacare qu’on a vraiment touché le fond”, racontent ses héros, la famille Fuller. Peu importe que le gouverneur du Texas soit responsable de cet échec, la certitude est là : “Obama s’est servi de nous pour se faire élire, mais il ne nous a pas laissés nous redresser, ni vivre dans la dignité comme la population blanche. Une fois qu’il a réussi lui, il nous a fait croire que nous, les Noirs, on tirait le système vers le bas.” Ne reste plus alors pour cette famille qu’une solution pour surnager : une ville nouvelle construite par une entreprise d’agroalimentaire où ils trouvent logement, école pour les enfants, centre médical, bibliothèque et assurance santé. Ils y sont surveillés en permanence et le chef de famille y est exploité, mais enfin ils peuvent souffler.Joseph, le père, se reconnaît alors “dans le discours républicain selon lequel les démocrates méprisaient les vrais travailleurs”, il s’affiche “dans une mer de casquettes rouges” au premier rang de “ce qui ressemblait atrocement à un meeting du 45e président des Etats-Unis”. Au ranger qui s’interroge : “Joseph Fuller, partisan de Donald Trump ? A peu près aussi dingue qu’un porc qui insisterait pour conduire le camion vers l’abattoir”, l’homme rétorque : “J’aime qu’un candidat vienne chercher mon vote. Qu’il ne pense pas que c’est dans la poche, qu’il ne me prenne pas de haut. Je veux un président qui me considère comme un homme, qui respecte mes idées et ma façon de voir les choses.” Tout ce que Donald Trump a promis.Dans un genre totalement différent puisqu’il s’agit d’espionnage, mais tout aussi passionnant et instructif sur l’Amérique d’aujourd’hui, Moscou X de David McCloskey (Seuil). Après nous avoir emmenés avec Mission Damas dans les méandres d’un régime syrien aujourd’hui disparu, mais alors confronté à la révolte de la rue, l’ancien analyste de la CIA nous entraîne cette fois dans la guerre sourde qui oppose les Etats-Unis et la Russie de Vladimir Poutine. Ou comment la CIA s’efforce de déstabiliser le régime en jouant des rivalités et des querelles entre proches de Poutine autour du trésor de guerre du “Khozyain”, le maître. Plus encore que l’intrigue, un brin complexe dans les premières pages, c’est le caractère très documenté du récit de David McCloskey qui fascine. On y découvre les méthodes brutales infligées à ceux qui menacent le pouvoir de Poutine, la férocité des luttes de pouvoir autour du “maître”, mais aussi les méthodes de la CIA, tout aussi retorses et aux moyens illimités. Elu par le Financial Times et le Sunday Times meilleur thriller de l’année 2024, Mission X sort à un moment où la donne semble avoir changé entre les Etats-Unis et la Russie. Mais est-ce si vrai ?



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Author : Agnès Laurent

Publish date : 2025-03-30 07:00:00

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