Son idéal était de devenir psychologue. Mais au moment de postuler dans des universités publiques, Damien* a rapidement déchanté : toutes l’ont refusé. Alors, le jeune homme a intégré la Sigmund Freud University (SFU), une école privée parisienne qui propose un bachelor et un master en psychologie clinique. De 2015 à 2020, l’étudiant a déboursé 56 000 euros, convaincu que ce cursus serait valide pour exercer en France. “Sur le site Internet, il était indiqué que tous les pays de l’Union européenne le reconnaissaient, et lors de mon inscription, la directrice, optimiste, m’a affirmé qu’il y avait des négociations avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche français.” Pourtant, à l’issue de ces cinq années, nouveau coup dur : l’Etat refuse en réalité de reconnaître le diplôme, et Damien a dû chercher un autre travail pour payer son loyer – manager dans la grande distribution. “J’ai beaucoup de regrets. Si je pouvais revenir en arrière, je n’aurais jamais été dans cette école”, conclut-il, amer.Depuis plusieurs années, la SFU, antenne française de l’université du même nom à Vienne, en Autriche, et le ministère de l’Enseignement supérieur en France, s’affrontent dans une lutte pour la reconnaissance de la formation, multipliant les rencontres et les procès. Côté Etat, on rappelle que le master obtenu par les étudiants français de la SFU est un diplôme autrichien, et qu’il ne permet pas non plus, à lui seul, d’exercer la profession de psychologue clinicien en Autriche. En outre, le ministère renvoie à un rapport de 2018 réalisé par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), une autorité publique indépendante qui a évalué la formation de la SFU. On y lit que “l’équipe pédagogique du bachelor et du master de psychologie [de l’école] ne correspond en aucun cas à une équipe pédagogique d’une licence ou d’un master de psychologie, puisqu’elle ne comprend aucun enseignant-chercheur en psychologie”, ou encore que “l’encadrement des stagiaires [est] laissé à des non psychologues”. “Rarement un rapport aura été aussi lapidaire, sans que les observations de l’établissement n’arrivent à convaincre qui que ce soit”, appuie le ministère auprès de L’Express.La SFU, au contraire, soutient que plusieurs mesures ont été mises en place à la suite de ce document, comme le recrutement au poste de directrice adjointe d’Anna Cognet, docteure en psychologie clinique de l’Université de Picardie Jules Verne. “En près de dix ans, nous nous sommes rendus environ cinq fois au ministère. Les personnes qui nous ont reçus nous ont dit qu’elles étaient surprises qu’un établissement étranger vienne s’installer en France, et comme notre pays est attaché au monopole qu’il détient sur l’enseignement supérieur, elles craignent que la SFU le menace”, assure Jacques Schecroun, ancien directeur des études et avocat de l’établissement. A plusieurs reprises, ce dernier a représenté des étudiants de la SFU devant les tribunaux, pour contester les refus du ministère de reconnaître leur diplôme.Des procédures que l’école a systématiquement remportées, comme le 20 février 2024, lorsque la Cour administrative d’appel de Douai a estimé que la SFU comportait bien “plusieurs professeurs des universités et docteurs en psychologie.” Le 4 mars 2025, le ministère a également permis à l’un des diplômés d’exercer comme psychologue sans y être contraint par le tribunal ; une première. “Cette personne n’a fait qu’une petite partie de son cursus à la SFU, l’essentiel de son parcours étant constitué d’un cursus universitaire classique de psychologie et de stages réalisés quand elle était à l’université. Cette décision n’a donc pas valeur pour l’ensemble des diplômés de la SFU, et ne change pas la position du ministère sur l’école”, nuance l’administration à L’Express. Une annonce qui a de quoi inquiéter les 80 étudiants scolarisés cette année dans l’école, du bachelor au master.Des cours ésotériques ou “dérangeants”La SFU n’est pas uniquement critiquée par l’Etat : une quinzaine de témoignages d’anciens élèves et enseignants recueillis par L’Express étrillent la qualité de l’enseignement, dérivant parfois vers des concepts ésotériques ou pseudoscientifiques. A l’image des cours de Carole Sédillot, en troisième année de bachelor. Cette spécialiste de Carl Gustav Jung, un disciple de Freud, propose sur son site des formations “en symbolisme et mythologie” ou un voyage en Toscane, autour “de la symbolique du tarot de Marseille, de la langue des oiseaux et de l’astrologie”. A ce sujet, Marie*, étudiante à la SFU en 2023, se remémore un cours “très perché”, où l’enseignante disait que le signe astrologique était utile pour déterminer le profil clinique d’un patient. “C’était assez déroutant, car d’autres professeurs avaient au contraire une approche totalement scientifique. Une fois, elle nous a aussi demandé de piocher des mots au hasard et d’inventer une histoire, qui était selon elle le reflet de notre inconscient”, relate-t-elle.Dans un cours de la même enseignante, Damien se souvient de “méditations guidées”, où “tous les élèves devaient se figurer une couleur qu’ils n’aimaient pas et l’expirer”. Une autre professeure, qui a depuis quitté la SFU, leur avait quant à elle parlé de “l’orgone”, une énergie vitale et cosmique présente dans le corps d’après le psychanalyste Wilhelm Reich, “à l’origine de la santé mentale et émotionnelle” détaille un polycopié. Contactée, Carole Sédillot explique : “Dans l’étude de la psychologie des profondeurs de Jung, des sujets tels que l’astrologie sont envisagés comme des langages symboliques à visée psychologique, permettant une meilleure de connaissance de soi. A aucun moment il ne s’agit de prédictions, et jamais un étudiant ne s’est plaint auprès de moi.” Nicole Aknin, la directrice générale de la SFU, revendique de son côté une approche “multi-référentielle” : “Nous proposons à nos élèves d’avoir une vision globale de la psychothérapie”, résume-t-elle.D’autres pratiques, toujours mobilisées en classe, ont toutefois été jugées encore plus “dérangeantes” par des étudiants. Bruno Clavier, chargé du cours de “sexualité et psycho sexualité” à la SFU en 2023, est par exemple partisan de la “psychanalyse transgénérationnelle” selon laquelle une pathologie peut résulter d’un traumatisme transmis de génération en génération. Sur son site, le psychologue illustre sa théorie avec Aline, une enfant autiste de 7 ans : “Le décès d’enfants aux générations antérieures a pu créer ce que l’on appelle un fantôme transgénérationnel d’enfant mort se transmettant de génération en génération ; c’est le trauma psychique vécu par l’ancêtre – le parent de l’enfant mort – qui, n’ayant pas pu être métabolisé en son temps, va hanter les générations suivantes. Et c’est précisément ce qui me semble être arrivé à la petite Aline et je vais tenter de montrer comment elle porte les traumatismes des enfants non nés de sa fratrie”, écrit-il.”À ce jour, cette approche ne repose pas sur des études validées par la communauté scientifique. […] [et] il me semble important de souligner qu’elle peut parfois induire une forme de culpabilisation parentale, en suggérant que les troubles de l’enfant seraient liés à des traumatismes familiaux non résolus”, rappelle alors Hugo Peyre, pédopsychiatre au CHU de Montpellier. En 2007, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) avait aussi alerté des dangers de cette méthode. A la SFU, Bastien*, un ancien étudiant, se remémore un cours où Bruno Clavier avait demandé à chacun de réaliser chez soi un “tableau généalogique” avec des liens entre les membres de leur famille, comme “une relation difficile avec un oncle”, décrit le jeune homme. En classe, les élèves volontaires l’avaient ensuite évoqué devant les autres, ce qui l’a profondément dérangé. “La pression du groupe nous poussait à nous confier, et j’ai appris des choses intimes et difficiles qu’ont vécu mes camarades. En les racontant, certains d’entre eux étaient très mal à l’aise”, déplore Bastien. Sollicité par L’Express, Bruno Clavier a décliné l’échange : “Je ne peux répondre à votre demande car je n’enseigne plus à la SFU.”Autre concept similaire : celui des “constellations familiales”, une thérapie transgénérationnelle là encore épinglée par la Miviludes, basée sur la mise au jour de “l’inconscient familial” par le biais de jeux de rôles qui auraient le pouvoir de résoudre les conflits. Teresa Pontes, une psychologue qui s’y réfère, l’a effectuée… sur des étudiants de la SFU, lorsqu’elle était enseignante de 2015 à 2022. “Je me souviens d’une situation qui m’a beaucoup touchée. Une élève était issue d’une fécondation in vitro, et elle ne se sentait pas bien avec son histoire. On a donc choisi de “consteller” cette émotion-là en classe, et je lui ai demandé de choisir parmi ses camarades quelqu’un pour représenter à la fois ses ancêtres paternels et maternels”, témoigne la professeure auprès de L’Express, convaincue de l’efficacité de sa démarche.D’après elle, les étudiants étaient “plutôt partants” pour cet exercice toujours basé sur le volontariat, bien qu’il y avait des “sceptiques”, concède-t-elle. Samira*, une ancienne enseignante de l’école, faisait aussi partie des réticents : “Certains de mes collègues confondaient leur rôle de professeur et de thérapeute, ce qui était dangereux parce que des étudiants pouvaient être sous emprise !”, fustige-t-elle. Nicole Aknin, au contraire, défend ce “travail sur soi-même”, car il est essentiel en tant que psychologue ou psychothérapeute “d’avoir conscience de qui on est”. “C’est important que l’on apporte aux étudiants une approche concrète de gens qui ont de l’expérience, et pas seulement universitaire. Cela peut donc parfois passer par la démonstration de leur pratique, oui, mais il y a une limite : les étudiants n’ont jamais été forcés, c’est uniquement à titre d’exemple et il y a toujours du dialogue avec eux”, complète Anna Cognet, la directrice adjointe.Des étudiants en pleursEn lien avec cette philosophie, la SFU organise des cours “d’intégration”, dont l’objectif est d’ “aider l’étudiant à entrer en contact avec les parties inconscientes de sa personnalité”, précise la maison mère de l’école, à Vienne. Une fois par mois, les étudiants évoquent ainsi en classe ce qu’ils ont retenu des enseignements, et ce qu’ils ont pu ressentir. “Sur le papier, l’idée est géniale : cela permet d’intégrer les connaissances et c’est formateur sur la posture à adopter en tant que psychologue. Le seul problème, c’est que ces séances étaient parfois menées par Jacques Schecroun, le mari de Nicole, qui n’avait pas de légitimité puisqu’il est avocat. Il insistait souvent pour que les élèves se confient, afin qu’ils puissent “avancer””, développe Damien, qui se rappelle cette scène où une étudiante s’était effondrée en larmes en parlant de sa cousine décédée dans un accident de voiture.Houda, une autre étudiante de la SFU diplômée en 2021, témoigne d’un malaise similaire lors de ces séances, “qui vrillaient toujours dans l’intime”. Interrogé sur ces cours, Jacques Schecroun reconnaît ne pas avoir de diplôme de psychologie, mais dit être “tombé dans la marmite de la psychothérapie il y a quarante ans”, s’étant par exemple intéressé à “la communication non violente”. “A la SFU, j’ai seulement animé quelques journées par an d’intégration, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Par ailleurs, personne n’a été obligé à quoi que ce soit, même si cela fait partie du contrat : ici, dans notre école, on vous demande d’être de vrais professionnels en travaillant sur vous-mêmes”, explicite-t-il.A la rentrée 2024-2025, les cours d’intégration ont toujours lieu, mais sont encadrées par Pascal Acklin, un psychologue, et Audrey Botbol, une ancienne étudiante de la SFU qui se présente sur Internet comme… chanteuse et doubleuse de films. “Elle n’a aucune légitimité, mais c’est la belle-fille de Nicole Aknin, la directrice. Forcément, ça aide !”, ironise Samira. “Mon éthique, c’est d’observer l’efficacité des pratiques. Si ma belle-fille n’était pas compétente, on aurait immédiatement pris des mesures. Or, les évaluations de son enseignement par les étudiants sont très bonnes”, se défend Nicole Aknin, qui assure qu’Audrey Botbol a également une pratique clinique en tant que “psychopraticienne” – un titre non reconnu et une activité qui n’apparaît nulle part sur Internet.Une “clinique solidaire” non encadréeLe 18 octobre 2023, Audrey Botbol a aussi fait de la “supervision”, un cours destiné à discuter avec les étudiants des patients qu’ils ont pu prendre en consultation. Car au sein de la SFU figure une “clinique solidaire”, où des personnes souffrant de “difficultés existentielles ou de troubles psychologiques” trouvent ici des suivis psychologiques abordables – de 1 à 20 euros la séance. De leur côté, les étudiants de master volontaires y mettent en pratique les bases théoriques acquises au cours de leur formation. Seul bémol et non des moindres : tous les anciens élèves interrogés par L’Express disent s’être retrouvés directement seuls face aux patients, sans sélection préalable des profils ou accompagnement d’un professeur pendant la séance. “Le premier cas qu’on m’a soumis était une personne en pleine détresse psychologique. Ce n’était pas du tout adapté pour un élève en situation d’apprentissage”, revit Steven*, un ancien élève de la SFU diplômé en 2021. Deux ans plus tôt, un camarade faisait état de la même inquiétude, comme en témoigne un mail consulté par L’Express : “Un point m’étonne, où en sommes-nous avec la systématisation de faire voir les patients par un professionnel avant de les dispatcher aux différents étudiants ? J’avais compris […] qu’il s’agissait bien d’une obligation venant de Vienne. Quels sont les freins à la bonne mise en place de cette procédure ?”, écrit-il à Audrey Botbol, alors en charge de gérer… cette clinique solidaire.En 2024, d’autres points autour de ce lieu interpellent. Comme le profil de la nouvelle coordinatrice de la clinique – et aussi enseignante à la SFU -, Stéphanie Larchanché, une doctorante en anthropologie formée à “l’Ecole européenne des philosophies et psychothérapie appliquées”, une structure créée par… Nicole Aknin, qui n’a pas non plus de diplôme de psychologie. Ou ce mail d’Anna Cognet, qui indique qu’”à partir de maintenant, les heures réalisées à la clinique solidaire sont valides en termes de stage clinique”. A L’Express, les deux directrices de la SFU se justifient : “A propos de Stéphanie Larchanché, il faut rappeler qu’il y a beaucoup d’universités où les anthropologues donnent des cours de psychologie, car ce sont des matières transdisciplinaires. Quant à la reconnaissance du stage, c’est uniquement lorsqu’un psychologue clinicien encadre l’élève. Dans tous les cas, même avant ce changement, les étudiants en première année de master n’étaient jamais seuls face aux patients, hormis s’ils avaient déjà eu une expérience de stage qui paraissait suffisante”, contestent-elles. Jacques Schecroun, lui, annonce le recrutement d’un psychologue adossé en permanence à la clinique solidaire “à la demande de Vienne”, tout comme la mise en place prochaine d’un vitrage sans teint, permettant aux étudiants d’observer une consultation sans être vus. Nicolas*, un ancien diplômé qui travaille dans l’associatif, digère mal ces annonces : “C’est un peu facile de faire tous ces changements maintenant. Rien ne pourra rattraper les années qu’on a perdues.”
Source link : https://www.lexpress.fr/sciences-sante/a-paris-les-derives-dune-ecole-privee-de-psychologie-enquete-sur-la-sigmund-freud-university-5MXN7R4UXBB6XMXZOGBKDF62IY/
Author : Alexis Da Silva
Publish date : 2025-03-29 07:45:00
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