A la veille de l’invasion de l’Irak en 2003, le président George W. Bush ignorait tout du monde musulman et de la Mésopotamie. Le Texan avait ainsi découvert, lors d’une réunion à la Maison-Blanche, la différence entre sunnites et chiites. “Ah bon, je croyais que les Irakiens étaient tous musulmans !”, avait-il déclaré. Désigné par Donald Trump pour négocier la paix entre l’Ukraine et la Russie, le magnat de l’immobilier Steve Witkoff a, pour sa part, raconté ses deux récentes visites chez Vladimir Poutine avec une candeur désarmante. Sur le plateau du journaliste – trumpiste et poutiniste – Tucker Carlson, il a détaillé les propos échangés avec ce “type super intelligent” que “l’on peut croire sur parole”.Ainsi, après la tentative d’assassinat contre Trump, “Poutine est allé prier pour son ami [Trump] dans sa chapelle privée”, s’est émerveillé Witkoff. “Poutine a aussi commandé à un grand peintre russe un portrait de Trump” pour l’offrir à la Maison-Blanche. Une attention “tellement formidable”, selon l’Américain pour qui le maître du Kremlin “n’est pas un mauvais gars”. Enfin, il a adopté tous les éléments de langage de Moscou pour légitimer l’invasion de l’Ukraine. Selon lui, les revendications de la Russie sur les quatre provinces occupées – dont il ignore toutefois les noms – sont “légitimes”.Steve Witkoff, émissaire spécial des Etats-Unis au Moyen-Orient, s’adresse à la presse devant la Maison Blanche, le 6 mars 2025, à WashingtonMultimilliardaire ayant fait fortune dans l’immobilier – comme Trump –, Steve Witkoff est certainement un habitué des négociations difficiles avec la mafia de New York – comme Trump. Mais une chose est de maîtriser “l’art du deal” dans le milieu frelaté de l’immobilier new-yorkais ; une autre est de conduire des discussions avec des négociateurs chevronnés formés à l’école du KGB. Witkoff, comme Bush avant lui au sujet de l’islam, semble découvrir le monde russe. La posture de l’administration américaine face au Kremlin peut ainsi se définir en trois mots : naïveté, ignorance, arrogance. Naïveté vis-à-vis d’un “tsar” hyperexpérimenté au pouvoir depuis vingt-cinq ans. Ignorance de l’histoire impériale et de la psyché russe. Arrogance de se proclamer “faiseur de paix en vingt-quatre heures”.Il faut revoir Le Parrain de Francis Ford CoppolaIl existe cependant une autre lecture de la situation. Car, selon les professionnels de la négociation, ce que déclare Witkoff à la télévision n’a strictement aucune d’importance. Le vrai travail diplomatique commence en effet lorsque les caméras sont éteintes. Pour comprendre sa posture, il faut peut-être revoir Le Parrain, de Francis Ford Coppola. On y voit des chefs mafieux qui, en public, s’embrassent et se congratulent. Il s’agit que personne ne perde la face. Cela ne préjuge en rien de ce qui se passe en coulisse… Selon cette version, Steve Witkoff serait un négociateur habile et adapté aux circonstances. La première étape de toute négociation consiste en effet à comprendre les intérêts de la partie adverse, de prendre en compte ses besoins, de mesurer ses ambitions et ses lignes rouges, éventuellement de le flatter – du moins lui accorder de marques de respect. Peu importe que le représentant du camp d’en face, c’est-à-dire Vladimir Poutine, soit sympathique ou non.Quoi qu’il en soit, la guerre est entrée dans une nouvelle étape. Elle n’est plus seulement militaire et géopolitique mais aussi diplomatique. “Chaque partie veut payer le prix politique le plus bas possible”, écrit George Friedman dans Geopolitical futures. “La Russie voulait récupérer l’Ukraine pour faire tampon avec l’Occident. Les États-Unis ne voulaient pas que la Russie soit frontalière de l’Otan. La guerre a eu lieu et il semble que la Russie ait déjà obtenu sa zone tampon dans l’est de l’Ukraine, même si celle-ci est de moindre taille que ce qu’elle souhaitait. Quant aux États-Unis, ils veulent mettre fin à la guerre d’une manière qui les satisfasse.” Voilà les termes de la discussion.La difficulté tient à ce que la méthode du “coup de pied dans la fourmilière” chère à Donald Trump sous-entend que le président américain veut des résultats rapides. Face à cela, l’approche des Russes est antinomique : empreinte de patience orientale, ils pensent avoir le temps avec eux et n’éprouvent aucun sentiment d’urgence à épargner les vies de leurs propres soldats. En sacrifier encore dix mille, voire cent mille, ne provoque aucun état d’âme chez Vladimir Poutine. Les négociations en sont à leurs balbutiements et pourraient durer encore longtemps. Pour mémoire, celles de la guerre du Vietnam, conclues par les accords de paix de Paris en janvier 1973, avaient duré… cinq ans.
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Author : Axel Gyldén
Publish date : 2025-03-26 04:45:00
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