Décembre 1995 : la France est à l’arrêt. Trois semaines de grèves paralysent Paris et les grandes villes de province. Pourtant, dans certaines entreprises, grâce à l’émergence des “téléservices”, les difficultés se font un peu moins moins sentir. Au lendemain de ces grèves historiques, le supplément “Réussir” de L’Express du 4 janvier 1996 met à la une “La vogue du télétravail” et s’intéresse au développement des entreprises de secrétariat à distance qui ont su tirer leur épingle du jeu. A l’époque, si on ne parle pas encore de travail à domicile, l’apparition du travail à distance ouvre de nouvelles perspectives dans notre manière de travailler.La vogue du télétravail”Gênées par les grèves ? Pas le moins du monde. Pendant que leurs patrons et leurs consoeurs s’engluaient dans les embouteillages parisiens, Muriel et Marie-Claude, installées dans un bureau clair, au milieu des prairies ardennaises, frappaient comme à l’accoutumée le courrier juridique envoyé chaque nuit en exprès par leur principal client, la Mutuelle des architectes de France. Paris s’asphyxiait. De leurs maisons, en lisière de la forêt d’Argonne, les jeunes femmes ne mettaient pas dix minutes pour venir travailler à Grandpré.L’avènement du télétravail en couverture du supplément Réussir de L’Express du 4 janvier 1996Dans leurs locaux désertés des grandes villes, beaucoup de dirigeants ont dû rêver pendant ces trois semaines d’avoir ainsi, disponibles, des secrétaires compétences à distance. La formule est peu connue. Elle se développe pourtant rapidement depuis la fin des années 80, grâce à la banalisation des fax, modems et autres outils de communication, sans cesse plus performants et moins coûteux. Les sociétés spécialisées, telle Télergos, qui emploie Muriel et Marie-Claude, se multiplient. Selon le Sist, jeune syndicat de cette nouvelle profession, les téléservices emploient aujourd’hui quelque 15 000 personnes dans toutes les régions de France.”Les bouleversements à venirDeux mois après la premier article consacré au télétravail, dans une couverture sur le thème “Comment nous travaillerons demain”, L’Express se projette et met en lumière les grandes mutations engendrées par la modernisation des systèmes de communication.”En l’an 2000, plus de la moitié des salariés utiliseront le télétravail. Avec la baisse du prix des télécommunications, la France pourra exporter des services à forte valeur ajoutée. Pensez à la télémédecine, au téléenseignement, à la télémaintenance d’usine, aux téléexpertises en tout genre… Oui, les entreprises vont modifier de manière radicale leur implantation. Voyez les Etats-Unis : Microsoft, par exemple, n’est ni à New York ni dans la Silicon Valley, mais à 50 kilomètres de Seattle, à la campagne. De Corrèze ou des Cévennes, on pourra lire les ouvrages de toutes les bibliothèques, avoir accès à des formations professionnelles et, grâce au télédiagnostic, consulter les meilleurs spécialistes.”Le monde du travail en pleine mutation. Couverture de L’Express du 14 mars 1996Dans ce dossier, Richard de Vendeuil met un coup de projecteur sur la Finlande, pays pionnier en matière de télétravail.”Jukka, 31 ans, est télétravailleur. Comme 8% des salariés finlandais : le record européen du home office (le bureau à domicile), grâce à un réseau de communications très compétitif (un million de téléphones mobiles pour 5 millions d’habitants). En France, ils ne sont guère plus de 2%, et encore. “Quadra” high-tech, père de famille aux responsabilités affirmées, tel est le portrait-robot du télétravailleur finlandais.”La mode des travailleurs nomadesA la fin de l’année 1996, le travail à domicile émerge tout doucement. Agnès Baumier analyse les bénéfices de ce grand chambardement pour l’employeur et pour l’employé. Les premières réserves se font jour vite démenties par la pratique.”Le développement actuel du télétravail concerne aussi les salariés d’entreprises classiques, désormais autorisés à effectuer une partie de leur mission à domicile. Les personnels traditionnellement mobiles – consultants, commerciaux ou réparateurs en tout genre – sont les premiers touchés par la nouvelle mode. Munis de micro-ordinateurs et de téléphones portables, ces “travailleurs nomades” passent de plus en plus rarement au bureau. Pourquoi venir chaque jour prendre son planning ou mettre à jour ses dossiers ? Il suffit de connecter son micro au réseau de l’entreprise. On consulte en quelques minutes son courrier électronique. On inscrit ses rendez-vous sur l’agenda de l’entreprise. On imprime, à la demande, les documents nécessaires…L’employeur réduira d’autant son parc immobilier et, donc, ses coûts. Le salarié perdra moins d’heures dans les transports. Une solution idéale pour concilier productivité et qualité de vie ? Les conditions d’existence de ces télétravailleurs font rêver bien des cols blancs. Mais leurs responsables hiérarchiques restent réservés. “S’ils sont livrés à eux-mêmes, rien n’empêchera mes collaborateurs de lire le journal ou de partir au supermarché pendant leurs heures de travail”, affirme ainsi sans rire un chef de service administratif.Les mentalités évoluent moins vite que la technique : la pratique prouve, au contraire, que la plupart des télétravailleurs consacrent encore plus de temps à leurs dossiers. “Les heures gâchées chaque jour dans les embouteillages en Ile-de-France sont aussi nombreuses que les heures travaillées dans l’agglomération lyonnaise. Si 10% seulement des salariés travaillaient en partie à distance, ces tracas seraient résolus”, s’enflamme Christine Gauthier, secrétaire générale du Catral, agence pour l’aménagement du temps en Ile-de-France.”2 % des actifs français avant l’an 2000…A l’aube de l’an 2000, la pratique du travail à distance commence à sortir de la confidentialité. La France est à la traîne par rapport à ses voisins européens mais de plus en plus d’entreprises sautent le pas, constate Véronique Yvernaul, dans L’Express du 2 décembre 1999.”On estime le nombre de télétravailleurs à 400 000, soit plus de 2% de la population active. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter, mais qui place pourtant la France parmi les lanternes rouges européennes, loin derrière la Finlande (où le télétravail concerne 17% des actifs), les Pays-Bas (15%) et l’Allemagne (6%).Le développement du travail à distance concerne tous les secteurs et tous les métiers. De la comptabilité à la conception de logiciels, en passant par la gestion des ressources humaines, le choix des activités praticables à distance est large. En outre, plus rien ne s’oppose techniquement à leur mise en place : les entreprises travaillent de plus en plus en réseau, Internet et Intranet se généralisent, les outils informatiques et téléphoniques se perfectionnent sans cesse, le prix des communications baisse…”La distance entre mon domicile et mon bureau ? Un escalier de cinq marches !” Le télétravail à la une du supplément Réussir de L’Express du 2 décembre 1999.Cette formule, qui piétinait depuis dix ans, connaît un nouvel élan, grâce à la révolution du Net en France. Pour l’instant, seules quelques entreprises se sont lancées dans l’aventure, essentiellement des grands groupes ou des sociétés implantées sur le créneau des nouvelles technologies. “Le télétravail souffre encore d’une connotation négative auprès des employeurs, déplore Nicole Turbé-Suetens, présidente de l’Association française du télétravail et des téléactivités et coauteur du livre Travail et activités à distance. Mais son essor est inévitable, car il permet aux entreprises d’accroître leur compétitivité tout en améliorant le confort et l’efficacité de leurs salariés.”7 % quelques années plus tardEn 2005, les chiffres montent que la pratique du télétravail s’étend. Elle n’est pas encore encadrée et reste la plupart du temps informelle mais l’élan est lancé. Valérie Lion dresse le portrait-robot du télétravailleur français.”Selon le ministère de l’Emploi, la France compte désormais 1,5 million de télétravailleurs, soit 7% des salariés (5,6% en 2001). Il s’agit en général d’un homme, qualifié, cadre, en CDI, le plus souvent dans le secteur financier ou les services aux entreprises. Il fait un usage intensif de l’informatique à l’extérieur de son entreprise, à son domicile ou en d’autres lieux – il est alors dit “nomade”. C’est le nombre de ces salariés nomades, simplement reliés à leur entreprise par ordinateur et téléphone portables, qui est en hausse régulière.”Le télétravail informel, au cas par cas, au jour le jour, en fonction des besoins, semble se développer bien plus rapidement que le télétravail formel, organisé dans un cadre fixé au préalable, en vertu d’accords collectifs”, souligne Patricia Vendramin, sociologue, chercheuse à l’université de Namur. Il devient alors davantage un temps additionnel qu’un temps de substitution : les horaires sont plus souples, mais le travail le week-end ou même la nuit est bien plus fréquent.”2020 : plus le choixIl faudra une crise sanitaire mondiale pour que le monde de l’entreprise adopte largement le télétravail. Le 17 mars 2020, jour 1 du confinement en France, Agnès Laurent décrit ce basculement forcé dans sa chronique consacrée à la vie quotidienne au temps du confinement. Entre 2019 et 2023, la part des personnes salariées pratiquant le télétravail au moins occasionnellement passera de 9 % à 26 % selon la Dares.”Désormais, nos vies en période de “distanciation sociale” ont une tout autre allure. Le monde se divise en deux : ceux qui peuvent faire du télétravail et ceux qui n’ont d’autre choix que le chômage partiel. Les premiers apprennent à s’appeler, à partager des documents en ligne, à faire des réunions en visio. Des mots mystérieux font leur apparition, “VPN”, “Hangouts”, “Slack”… On n’en connaît pas toujours l’utilité, on en perçoit l’importance au ton employé pour en parler, les plus curieux filent vérifier sur Internet à quoi ils servent. Bien sûr, le télétravail numérique connaît quelques ratés. Les accès externes en nombre insuffisant, les micros/caméras/ applications qui refusent obstinément de marcher au moment de la réunion, les documents inaccessibles parce qu’enregistrés dans un disque dur d’ordinateur (fixe et au bureau de préférence) et non dans un cloud – un “nuage” pour les puristes. Les plus jeunes lèvent les yeux au ciel lorsqu’ils entendent les questions des technophobes, mais cahin-caha, l’entreprise tourne, le boulot se fait.Les grèves de décembre dernier ont permis aux travailleurs franciliens de prendre une longueur d’avance en matière de télétravail – près de la moitié d’entre eux s’y sont essayés. Et aux entreprises de “tester” leurs systèmes avant la mise à l’arrêt de ces derniers jours. Depuis, conscientes de leurs lacunes, certaines ont accéléré la formation de leurs salariés aux outils de travail collaboratif à distance.”
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Author : Anne Marion
Publish date : 2025-03-17 06:00:00
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