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Il n’est pas donné à tous les écrivains de devenir des personnages de roman. Nicolas d’Estienne d’Orves fut la vedette de la dernière rentrée littéraire, réinventé sous les traits d’Antonin de Quincy d’Avricourt dans l’excellent Mal joli, de sa compagne, Emma Becker. Les scènes érotiques, où la vigueur de l’homme aux pantalons rouges était portée aux nues, ont suscité tour à tour amusement, moqueries et envie. Six mois plus tard, qu’en pense le principal intéressé ? Dans son rez-de-chaussée de Saint-Germain-des-Prés, où il nous reçoit sous une tête de sanglier empaillée, il en sourit encore : “C’était passionnant à vivre ! Quelques pisse-froid ont été choqués, il y a eu des réactions grotesques et démesurées. Deux ou trois personnes avaient légitimité à mal prendre le livre – les autres se sont drapés dans de fausses dignités. Pour ma part, j’ai été très heureux de tout ça… Je suis très pudique dans la vie, mais je ne l’ai pas été du tout dans cette histoire-là. C’est de la littérature. Emma est un véritable écrivain, et je suis fier de lui avoir inspiré l’Antonin de son livre. Je souhaite à tout le monde de recevoir une lettre d’amour de 400 pages ! Je ne pouvais rêver meilleur cadeau pour mes 50 ans.”Fêter son demi-siècle est-il le moment idéal pour se renouveler ? Porté par le couple “joyeux et fécond” qu’il forme avec Emma Becker, il est en pleine métamorphose. Jusqu’à présent, ce membre truculent du Club des cent était réputé pour sa passion de l’andouillette et autres abats. On l’imaginait attablé dans des brasseries, se gavant de gras jusqu’au milieu de l’après-midi. Au sous-sol de chez lui, il nous montre le vélo d’appartement sur lequel, tous les matins, il s’astreint depuis deux mois à une heure de pédalage intensif. On voyait en lui une réincarnation potache d’Oscar Wilde, on découvre un cycliste aussi rigoureux que Bernard Hinault. En parallèle à cette pratique sportive, il a décidé de publier sous son acronyme “NéO” la série de sept livres sur les sept péchés capitaux qu’il est en train de préparer. Le premier tome, L’Ile de l’orgueil, très inspiré du Bouc émissaire, de Daphné du Maurier, parle de deux écrivains qui échangent leurs identités. On y retrouve la manière si singulière de NéO, mêlant un esprit aristo franchouillard plutôt rétro à un sens de la narration digne des meilleures séries actuelles.Où se situerait-il, lui qui refuse de choisir entre le swing de Paul Morand et le suspense de Stephen King ? “J’aime avant tout le romanesque. Il y a ce syndrome très français de mettre les gens dans des clapiers. Daphné du Maurier, c’est du roman populaire mais c’est très bien écrit, intelligent et profond. Pour moi, il n’y a pas d’un côté la littérature de premier plan et de l’autre celle de gare. Il y a des bons et des mauvais livres. Des livres qu’on prend et qu’on ne lâche plus et d’autres qui vous tombent des mains. Je mets très haut le grand roman-feuilleton du XIXe – Le Comte de Monte-Cristo, c’est le roman absolu, jusque dans ses défauts. Mais je suis soucieux de la forme, de l’équilibre, du sens. Et j’essaie de maintenir une distance élégante par rapport au livre lui-même – je n’aime pas surécrire, je disparais derrière mon intrigue. Morand est mon écrivain préféré, c’est un styliste extraordinaire, mais l’imagination et la forme longue ne sont pas son fort. Toutes proportions gardées, je me placerais plus dans l’héritage de Marcel Aymé ou de Simenon. Je veux comme eux raconter des histoires.””Je défendrai toujours Yann Moix”Au fond, n’est-ce pas de Jacques Laurent (prix Goncourt en 1971 pour Les Bêtises) dont il est le plus proche ? “Il était capable de faire Les Corps tranquilles, une œuvre de vrai formaliste, mais aussi des essais, des pamphlets politiques ou des best-sellers remarquablement foutus comme Caroline chérie ou Prénom : Clotilde. C’était le nouvel Alexandre Dumas, hélas il est un peu oublié de nos jours…” Aimant le cinéma en noir et blanc et “les époques décalées”, NéO se sent-il moderne ou vintage ? “Oh j’ai le cul entre deux chaises ! Il n’y a rien de pire que d’être à la mode. Je suis vintage dans ce que je suis, dans le nom que je porte, je suis estampillé par un biotope, un patrimoine. Mais je suis aussi de mon époque – m’attirent les contrastes et les paradoxes. Mon premier livre a été publié en 2001. Ce qui est difficile, c’est d’être encore là, de trouver des éditeurs avec lesquels on a envie de se lancer dans des projets, quand on voit ce qui plaît… Les chiffres de ventes ont beaucoup baissé depuis mes débuts. Il y avait alors un téléviseur par foyer. Le soir, les gens avaient un livre sur leur table de nuit ; maintenant, ils ont un iPad. Mais je ne me décourage pas, j’avance.”Au fil de la conversation, il nous apprend qu’il connaît David Foenkinos depuis 1995 : “Nous étions à la Sorbonne ensemble ! On ne se voit pas tout le temps mais c’est un bon camarade. Je me souviens encore du jour où il m’avait présenté une bande de gens de Sciences Po, plus jeunes que nous, parmi lesquels il y avait Florian Zeller. On est toute une génération à avoir commencé en même temps, certains sont devenus des mégastars, d’autres ont disparu. J’ai une amitié profonde et une grande tendresse pour Yann Moix, le plus écrivain de nous tous. Je le défendrai toujours, malgré ses excès.”Avant cela, collégien puis lycéen, NéO a été scolarisé à Juilly, l’austère pensionnat où étudièrent La Fontaine, Philippe Noiret, Jacques Mesrine ou Michel Polnareff. Lui y était en même temps que Laurent de Gourcuff, l’actuel baron des nuits parisiennes. Y a-t-il souffert du spleen de la pension dont Beigbeder parle au sujet de son père dans son dernier livre, Un homme seul ? “J’y ai vécu une année douloureuse puis quatre années géniales. J’y suis arrivé tel que j’étais alors : un petit garçon qui avait grandi entouré d’adultes. Tous les dimanches, ma mère mettait dans mon sac quatre ou cinq livres pour la semaine. Et toutes les nuits, dans mon dortoir de huit élèves, j’écoutais des cassettes de classique dans mon walkman. J’ai découvert à Juilly la lecture et la musique, et j’y ai rencontré mes plus vieux copains, avec lesquels j’ai fait beaucoup de théâtre. Saviez-vous que j’ai ainsi joué dans une pièce d’Harold Pinter, Hot House, au Festival d’Avignon en 1993 ?””L’idée qu’il y ait un pétomane à la Maison-Blanche…”Par le passé, NéO a publié deux livres très amusants sur le mauvais goût, l’un de ses tropismes. On lui demande s’il a de bonnes découvertes récentes dans ce domaine : “Ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis dépasse l’entendement. Sans faire du tout de politique, je suis sidéré par le trio Trump-Vance-Musk : ils ont tous les trois des noms de déodorants bon marché ! Vu sous l’angle du mauvais goût, c’est stupéfiant – pour le reste, ça fout les jetons. Ma mère est américaine, et j’adore ce pays où je passe tous mes étés depuis toujours. Quand je pense à mon grand-père, un banquier bostonien démocrate, sorte de gauche caviar locale… Heureusement qu’il est mort. L’idée qu’il y ait un pétomane à la Maison-Blanche l’aurait fait souffrir !”Alors qu’il nous raccompagne à la porte, on interroge cet homme surprenant sur ses chantiers en cours. A la fois petit-neveu du résistant Honoré d’Estienne d’Orves et ayant droit de Lucien Rebatet, fasciné par les figures les plus troubles de la collaboration, il nous répond qu’il prépare pour les éditions Plon un Dictionnaire amoureux des maudits. Il ne pourra pas y faire une entrée sur lui-même : à l’écouter et à le lire, il semble traverser en ce moment la période la plus bénie de sa vie.L’Île de l’orgueil, Par Nicolas d’Estienne d’Orves. Albin Michel, 308 p., 21,90 €.



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Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld

Publish date : 2025-03-15 12:00:00

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