Il devait être aux premières loges sous la coupole du Capitole. Sans doute à côté de Bernard Arnault et derrière Joe Biden, Bill Clinton, ou encore George W. Bush. La veille de la prestation de serment de Donald Trump du 20 janvier, Rodolphe Saadé était bien à Washington pour participer à une série d’événements en marge de la cérémonie. D’après La Lettre, il s’en est fallu de peu, mais un impératif l’a contraint à revenir à Marseille, où se situe le siège du groupe qu’il dirige, CMA CGM, troisième transporteur maritime mondial. Partie remise, une nouvelle occasion s’est présentée un mois et demi plus tard. Car, entre autres velléités, Donald Trump a des projets susceptibles de concerner l’armateur tricolore.Dans son discours devant le Congrès le 4 mars, le 47e président des Etats-Unis déclame, offensif : “Pour stimuler notre base industrielle de défense, nous allons également ressusciter l’industrie navale américaine, y compris la construction commerciale et militaire. […] Nous avions l’habitude de construire beaucoup de navires. Nous n’en fabriquons plus beaucoup, mais nous allons en produire très vite.” Deux jours plus tard, Rodolphe Saadé est convié dans le bureau Ovale.Sous l’œil des caméras et des journalistes, le patron franco-libanais se tient droit comme un i devant une carte illustrant le fraîchement renommé “golfe d’Amérique” – anciennement golfe du Mexique –, tandis que le milliardaire républicain est assis, les mains croisées, derrière le resolute desk. Le dirigeant de CMA CGM présente son projet d’investissement de 20 milliards d’euros sur quatre ans outre-Atlantique. Le choix du moment déconcerte. La veille, déplorant le tournant idéologique des Etats-Unis à l’égard de l’Ukraine, Emmanuel Macron – dont la proximité avec Rodolphe Saadé est de notoriété publique – annonçait aux Français “un changement d’ère”. Dans le même temps, Donald Trump se glorifiait du projet de rachat par un consortium mené par le gestionnaire d’actifs BlackRock des participations majoritaires du conglomérat hongkongais CK Hutchison dans deux ports situés de part et d’autre du canal de Panama, autre obsession du président américain depuis quelques mois.Relégués dans la division inférieureCes deals en cascade s’inscrivent dans une stratégie plus large, qui vise à remettre les Etats-Unis au centre du commerce maritime international. Géographiquement, la première puissance économique reste une destination majeure des porte-conteneurs mondiaux, tant elle dépend de ses importations en provenance de ses partenaires – la Chine et l’Union européenne en tête. En revanche, industriellement et matériellement parlant, le pays a depuis longtemps été relégué en division inférieure. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis avaient abandonné l’idée d’être une grande nation maritime. Un choix assumé : le pays a trouvé d’autres leviers pour développer son économie sans posséder de grandes compagnies ni arborer un pavillon national dominant. Il disposait bien d’une industrie de construction navale, mais celle-ci a décliné à partir des années 1980, lorsque les subventions publiques ont fondu.D’autres acteurs ont pris la place. “Aujourd’hui, 75 % des grands porte-conteneurs sont assemblés en Asie, dont plus de la moitié en Chine. La construction navale exige des infrastructures adaptées, du savoir-faire et une main-d’œuvre qualifiée, explique Frédéric Moncany de Saint-Aignan, président de l’Ecole nationale supérieure maritime (ENSM). Or, dans un secteur où les marges sont faibles, la compétitivité repose d’abord sur des coûts salariaux réduits, un modèle que la Chine maîtrise, ce qui a entraîné la disparition des chantiers navals en Amérique, mais aussi en Europe.”Les Etats-Unis ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmesDonald Trump part donc d’une page blanche, ou presque. “Il cherche à relancer une industrie vieille de deux siècles, alors que nous n’avons ni l’infrastructure nécessaire ni les matières premières à un coût compétitif [NDLR : en particulier l’acier]. Les Etats-Unis sont dominants dans l’intelligence artificielle, la robotique, l’informatique quantique, ou encore les logiciels. Mais nous sommes bien moins performants dans l’industrie navale lourde”, reconnaît Christopher Padilla, sous-secrétaire du Commerce international de 2007 à 2009, sous George W. Bush. Autre point noir : une main-d’œuvre quasi inexistante pour construire et faire naviguer les navires. “Au bout de la chaîne, il faut des marins. Or les Etats-Unis en comptent peu au regard de la taille du pays, et le métier n’attire pas en raison de ses contraintes. Pour séduire les candidats, il faudrait proposer des salaires très élevés, ce qui alourdirait davantage les coûts de la filière et nuirait à la compétitivité”, estime Frédéric Moncany de Saint-Aignan.De même qu’il accuse – faussement – Taïwan d’avoir “volé” aux Américains le leadership dans les puces électroniques, le président use ici de son argutie fétiche : blâmer les concurrents des Etats-Unis pour justifier, derrière, des mesures coercitives destinées à recréer une industrie manufacturière sur le sol américain. “Cette vision géopolitique ne correspond pas à la réalité de l’économie mondiale. Le capitalisme américain s’est désengagé du secteur maritime, et personne n’a tué son industrie. Trump est mû par un sentiment de revanche”, constate Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime (Isemar).Les moyens d’action sont désormais connus. Non seulement l’administration américaine envisage de taxer les navires battant pavillon chinois dès qu’ils accosteront dans un port des Etats-Unis, mais aussi ceux construits en Chine ! Un séisme dans le commerce maritime mondial : quasiment toutes les compagnies seront concernées. “Comme tout homme politique, Donald Trump tente des choses, puis revient en arrière si cela ne fonctionne pas. Il expérimente, avec l’objectif, toujours, de promouvoir les intérêts américains. Au départ, ses propositions peuvent paraître déraisonnables, mais, ensuite, il proposera des solutions plus modérées”, veut croire le Canadien Jean-Paul Rodrigue, professeur au département d’administration des affaires maritimes de l’université A & M du Texas.Le consommateur américain paiera la facture finaleEn attendant, c’est tout l’équilibre du secteur qui menace de s’effondrer. Pour éviter d’être taxés à chaque nouvelle escale, les porte-conteneurs vont concentrer leurs livraisons aux Etats-Unis sur les quatre plus grands ports : Long Beach et Los Angeles, à l’ouest ; New York-New Jersey et Norfolk, à l’est. Ce qui va les conduire à délaisser les infrastructures intermédiaires. Avec pour conséquence d’augmenter significativement les risques de congestion. “En pratique, les ports américains sont relativement inefficaces. A cause des syndicats, ils fonctionnent non pas en continu, mais plutôt sur des horaires de bureau, en semaine uniquement. Des embouteillages portuaires sont inévitables, assure Christopher Padilla. On pourrait se retrouver dans une situation similaire à celle de la pandémie, avec des cargos bloqués en pleine mer dans l’attente de pouvoir accoster.”A l’arrivée, et contrairement à ce que prétend Donald Trump, le consommateur paiera la facture. “Le propriétaire du navire finira par répercuter les taxes sur les importateurs, qui feront de même sur le prix des produits. C’est une mesure qui n’a pour but que de cibler la Chine, à des fins politiques”, considère John D. McCown, chercheur au Center for Maritime Strategy. Sans compter, ajoute l’économiste de l’OCDE Olaf Merk, les répercussions “sur d’autres industries aux Etats-Unis, notamment l’agriculture et le pétrole, qui exportent massivement”. Au risque que l’économie américaine prenne définitivement l’eau.
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Author : Thibault Marotte
Publish date : 2025-03-14 04:45:00
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