De l’aveu même de l’un de ses membres, ce fut l’un des “plus beaux débats” que l’on n’ait jamais connu au sein du Conseil constitutionnel. Un débat qui pose des questions aussi fondamentales que celles de l’unité du pays et du respect de sa diversité interne. Une page d’histoire désormais accessible au grand public : vingt-six ans après, en effet, les délibérations qui ont abouti au rejet de la charte européenne des langues régionales et minoritaires viennent d’être mises en ligne sur le site de la haute juridiction. Et ce que l’on y découvre est particulièrement révélateur.VOUS SOUHAITEZ RECEVOIR AUTOMATIQUEMENT CETTE INFOLETTRE ? >> Cliquez iciRappelons le contexte. En 1999, la France doit dire si elle entend ou non appliquer ce texte qui, comme son nom l’indique, vise à protéger la diversité culturelle en Europe. Le gouvernement de Lionel Jospin y est favorable et le signe. Jacques Chirac, qui n’entend pas le ratifier, saisit le Conseil constitutionnel en sachant pertinemment que celui-ci y est hostile. Il ne sera pas déçu.Georges Abadie, le rapporteur chargé d’instruire la séance, donne le ton d’entrée. “Avant d’entrer dans le vif de l’analyse constitutionnelle, je voudrais dire, au titre de mon moi profond, combien l’esprit qui préside à cette charte me heurte et me blesse dans la conception que j’ai de la République et de son unicité”, lance-t-il en introduction. Tous ses collègues ou presque sont sur la même ligne, à commencer par le président de l’institution, Yves Guéna, qui a ce cri du cœur : “J’ai horreur de cette charte !” La suite en découle. Le texte finira par être rejeté, à l’issue d’une séance où, bien souvent, les arguments avancés paraissent en contradiction avec les faits établis. En voici quelques illustrations (j’indique entre parenthèses le nom du conseiller auteur de la citation) :– “La charte part de l’idée que les groupes minoritaires […] sont opprimés dans leur culture et dans leurs droits. Cette oppression, je ne la ressens pas en ce qui concerne la France” (Georges Abadie).Selon l’Unesco, toutes les langues minoritaires de l’Hexagone sont menacées de disparition d’ici à la fin du siècle.– “Développer l’enseignement des langues régionales alors qu’on est incapable d’enseigner correctement le français [est une] aberration” (Michel Ameller).Les scientifiques ont démontré depuis longtemps les effets favorables du bilinguisme précoce sur les résultats scolaires. D’ailleurs, d’après le ministère de l’Education nationale lui-même, les établissements où les élèves suivent la majorité de leurs cours en breton ou en basque obtiennent des résultats au bac supérieurs à la moyenne, et ce y compris dans les épreuves de français.– En 1992, la phrase “la langue de la République est le français” a été ajoutée à l’article 2 de la Constitution. “Il s’agissait d’éviter l’usage des langues étrangères, mais aussi des langues minoritaires, comme cela ressort nettement des débats” (Pierre Mazeaud).Cette affirmation est inexacte. L’introduction du français dans la Loi fondamentale avait pour seul adversaire l’anglais. Plusieurs parlementaires, méfiants, avaient même publiquement exigé que ledit article ne soit jamais utilisé contre les langues régionales, ce à quoi le gouvernement s’était explicitement engagé, comme en témoigne le compte rendu des débats de l’Assemblée nationale publiés au Journal officiel (page 1021) : “Aucune atteinte ne sera portée à la politique et au respect de la diversité de nos cultures régionales qui est un élément essentiel du patrimoine national”, avait ainsi assuré le garde des Sceaux d’alors, Michel Vauzelle.– “Ce texte est nocif pour tout le monde – pour les citoyens mais aussi pour les politiques eux-mêmes” (Simone Veil).Est-il abusif de considérer qu’il s’agit là d’un point de vue totalement “parisiano-centré” ? Il est en effet peu probable que les citoyens français locuteurs du basque, de l’occitan, de l’alsacien ou du créole réunionnais jugent “nocive” la préservation de leurs langues historiques.On pourrait multiplier les exemples de ce type (je renvoie les lecteurs intéressés à la page Facebook de cette infolettre, où je reproduis d’autres citations), mais on aura compris l’essentiel. Il serait difficile d’affirmer que le Conseil a abordé ce texte avec une parfaite neutralité. Un signe : le rapporteur, malgré son opposition résolue, n’en était pas moins parvenu à cette conclusion : “La charte ne comporte pas de disposition contraire à la Constitution.” Il en avait exposé la raison : parmi les 98 mesures proposées, la France n’en avait retenu que 39, pour la plupart déjà “mises en œuvre” ou “anodines”, selon ses propres termes. Illustration : l’une d’entre elles prévoyait de “permettre ou encourager la publication par les collectivités locales de leurs textes officiels également dans les langues régionales ou minoritaires”. Pas de quoi, soulignait-il, fragiliser les grands principes républicains.Bien ennuyés, ses collègues ont donc dû chercher une autre solution pour bloquer le texte. Ils ont cru la trouver en affirmant que l’objectif fixé par la charte – favoriser l’usage de ces langues “dans la vie privée et la vie publique” – revêtait une valeur “contraignante”. Une interprétation pour le moins acrobatique : et le rapporteur et le professeur de droit constitutionnel Guy Carcassonne, dans un rapport très détaillé, avaient chacun démontré le contraire. Qu’importe. Les prétendus sages sont passés outre et ont considéré que le texte menaçait tout à la fois “l’indivisibilité du peuple français”, “l’unité nationale” et “l’indivisibilité de la République”.C’est ainsi que la charte a fini par être déclarée contraire à la Constitution à l’unanimité moins une voix, celle d’Alain Lancelot, ancien directeur de Sciences Po. Curieusement, même le rapporteur s’est résolu à se rallier à la thèse de la majorité, après avoir démontré qu’elle était indéfendable… Ce qui conduit la constitutionnaliste Véronique Bertile, spécialiste de ces questions, à cette conclusion : “En la circonstance, le Conseil n’a pas suivi un raisonnement juridique. Il a eu une approche idéologique, voire dogmatique.” C’est peu dire que la lecture de ces débats semble lui donner raison.RETROUVEZ DES VIDÉOS CONSACRÉES AU FRANÇAIS ET AUX LANGUES DE FRANCE SUR MA CHAÎNE YOUTUBEA lire – du côté de la langue françaiseLe slam, un bon moyen d’apprendre le français ?A Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), Anthony Heuzé utilise le slam pour enseigner le français à des élèves étrangers récemment arrivés en France. Et ça marche.La préfète des Landes communique… en anglaisLa cause soutenue par la préfète des Landes est noble, mais la langue qu’elle a choisie pour communiquer est surprenante. C’est en effet l’anglais qu’elle a choisi pour manifester son soutien au peuple ukrainien avec ce slogan #StandWithUkraine. Un procédé conforme à la loi Toubon ?Pourquoi prononce-t-on “W.-C.” [vécé] ?La lettre w a été la dernière introduite dans l’alphabet français et est employée dans la plupart des cas pour écrire des mots d’origine étrangère. D’où le flottement qui règne quant à sa prononciation. Parfois [w] comme pour “watt”, “wapiti” ou “water-polo”. Et parfois [v] comme pour “wagon”, “wisigoth” ou… “W.-C.”, qui n’est pourtant rien d’autre que l’abréviation de “water-closet”.L’asservissement par l’anglais, par Yves BouchereauPourquoi préférer “I love Nice” à “J’aime Nice” ? “Pop-corn” à “maïs soufflé” ? Dans son dernier ouvrage, Yves Bouchereau part en guerre contre les anglicismes abusifs. Et ce après avoir vécu cinq ans au Québec, où l’on sait ce que signifie lutter pour la diversité culturelle.L’Asservissement par l’anglais, par Yves Bouchereau. Ed. Baudelaire, 120 p., 13,50 €.A lire – du côté des langues minoritairesPourquoi le bilinguisme retarde la démencePlusieurs études ont établi un lien entre la maîtrise d’au moins deux langues et l’apparition différée des premiers signes de démence. De nouveaux travaux permettent d’en savoir plus sur les mécanismes cérébraux à l’œuvre.Ecrivez à votre député pour défendre les prénoms comme Fañch ou ArtúsUne proposition de loi visant à “autoriser les signes diacritiques des langues régionales de la France figurant dans les prénoms et les noms des personnes dénommées dans les actes d’état civil” a été déposée à l’Assemblée nationale le mois dernier et a déjà été signée par une cinquantaine de députés. Un appel vient d’être lancé pour demander à leurs collègues de la soutenir. Un modèle de lettre est disponible ici.Cheûzier, une revue consacrée au galloCheûzier, la toute première revue consacrée à l’enseignement du gallo, vient de paraître. Gratuite, elle comprend notamment des outils pédagogiques et s’adresse en particulier aux enseignants du premier degré et à tous ceux qui œuvrent à la transmission de cette langue romane parlée dans l’est de la Bretagne.“A quoi sert de parler basque ?” Retrouvons-nous le 19 mars à Saint-Jean-de-Luz.C’est à cette question que je répondrai le mercredi 19 mars à 18 heures à la Grillerie du port, à Saint-Jean-de-Luz. Une conférence qui s’inscrit dans le cadre d’une quinzaine de sensibilisation à l’euskara prévue du 15 au 29 mars dans quatre communes de la côte basque. Au programme : concerts, lectures, ateliers et interventions diverses.A lire ailleursComment encourager les Français à apprendre l’allemand ?Le nombre d’élèves français apprenant la langue de Goethe chute d’année en année. Et si, pour inverser la tendance, il fallait miser sur l’économie ? Telle est l’hypothèse qu’explore ici cet article des Echos.A écouterQui a inventé l’expression “hip hip hip, hourra” ?Géraldine Moinard, directrice des éditions Le Robert, répond à cette question posée par un enfant dans l’émission Les Petits Bateaux, sur France Inter. Où l’on apprend notamment que “hourra” est dérivé d’un cri utilisé par les marins anglais.A regarderSplendeur des chants polyphoniques gasconsOn dira qu’en la matière, je ne suis pas objectif et l’on aura raison. Mais je doute que quiconque puisse rester de marbre en écoutant ce chant traditionnel béarnais, M’a près per fantaisie (“Il m’a pris pour fantaisie”), interprété ici par deux groupes réunis pour l’occasion : Cop de cap et Rambalh.L’IA va-t-elle remplacer les traducteurs ?Il y a quelques années, on se moquait des traductions fournies par Google Translate. Depuis, les progrès de l’intelligence artificielle ont révolutionné le secteur. Ce documentaire d’Arte s’interroge sur les conséquences de cette évolution.RÉAGISSEZ, DÉBATTEZ ET TROUVEZ PLUS D’INFOS SUR LES LANGUES DE FRANCE SUR la page Facebook dédiée à cette lettre d’information
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Author : Michel Feltin-Palas
Publish date : 2025-03-11 06:15:00
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