Réfléchir à la défense d’un pays suppose d’avoir une vision précise de son contenu, à la fois dans le temps et dans l’espace. Au fil des décennies, l’approche doctrinale de la France a clairement évolué, avec la fin de la guerre froide, de la conscription et les interrogations sur les interventions extérieures, notamment en Afrique. Quant à la comparaison dans l’espace, elle conduit à faire la différence entre l’effort national de défense mesuré par l’Otan et le budget voté par le Parlement. Depuis le sommet de l’Alliance atlantique de Vilnius, en 2023, la France consacre au moins 2 % de son PIB à sa défense. L’an dernier, le montant s’élevait à près de 60 milliards d’euros. Cependant, le budget des armées stricto sensu, c’est-à-dire hors les retraites des anciens militaires, n’a représenté, en fait, que 48,2 milliards, soit 1,6 % du PIB.A entendre les discours du moment, ce budget serait le dernier de la séquence ouverte par la chute du mur de Berlin, qui restera comme celle des “dividendes de la paix”. Comparons-le à celui de 1988, qui fut la dernière année de la période précédente, celle de la guerre froide. Le montant du budget hors pensions de 1988, en euros d’aujourd’hui, était de 50 milliards, soit peu ou prou le même que celui de 2024. Mais rapporté au PIB, il en absorbait 3,6 %, au lieu des 1,6 % de l’an dernier.”La première des puissances moyennes”Quand on prend du recul, on note que, sur le long terme, la France a plutôt cherché à maintenir une dépense militaire élevée. Cette constance a correspondu à sa volonté d’être considérée comme une grande puissance, aujourd’hui membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU et dotée de l’arme nucléaire, ou à tout le moins d’être considérée, pour reprendre une expression du roi Louis-Philippe, actualisée par Valéry Giscard d’Estaing, comme la “première des puissances moyennes”.Pour s’en convaincre, on peut examiner le budget militaire hors pensions, celui dont le périmètre actuel est de 1,6 % du PIB, en remontant jusqu’à la fin du XIXe siècle. En 1889, l’adoption de la loi Freycinet sur la réorganisation des armées, qui réaffirme en particulier le principe de la conscription, entérine l’adoption par la IIIe République d’une organisation sociale agro-militariste fondée sur la promotion d’une armée dédiée à la revanche après la défaite de 1870, d’une agriculture protégée par les droits de douane Méline et d’une école publique obligatoire axée sur le patriotisme.En 1953, les dépenses militaires atteignaient 8,7 % du PIBLe budget militaire de 1890, qui est l’équivalent de 3 milliards d’euros d’aujourd’hui, absorbe 3,7 % du PIB. Cette part se maintient à 4 % en 1900 et à 3,7 % en 1910. Elle monte jusqu’à 9 % en 1920 avant de baisser à 3,2 % en 1930 puis de remonter à 8,5 % en 1938. Après 1945, l’effort ne se relâche pas. La menace soviétique et la guerre d’Indochine font de 1953 l’une des années où le poids des dépenses militaires est le plus élevé. Il atteint 8,7 % du PIB, sachant qu’une partie de cet effort est prise en charge par l’aide américaine, dont le montant global représente 64 % du budget d’équipement. A la mort de Staline, ce poids se met à décliner, lentement d’abord, plus rapidement après la fin de la guerre d’Algérie, pour atteindre les 3,6 % en 1988. Il faut noter, au passage, que l’édification de l’arsenal nucléaire s’est, en partie, substituée et non pas ajoutée à l’entretien d’une armée conventionnelle.Retrouver le niveau de 1988 en part de richesse nationale supposerait aujourd’hui une hausse de 60 milliards d’euros. Mais cette augmentation de la dépense militaire exige au préalable une réflexion approfondie sur la menace et les réponses à y apporter. En 1988, l’armée est encore une armée de conscription qui rassemble 558 000 individus. Désormais, elle en compte 264 000. Et alors que l’armée de terre représentait 54 % de ces effectifs, celle d’aujourd’hui n’en constitue que 42 %.Lors de la présidentielle de 2017, un débat s’était engagé sur la nécessité de doter la France d’un deuxième porte-avions, afin de compenser l’indisponibilité périodique – dix-huit mois, tous les dix ans – pendant laquelle l’entretien du Charles de Gaulle handicape la marine. A présent, certains militent plutôt pour donner la priorité à la dissuasion nucléaire, dont l’enveloppe s’élevait à 6 milliards d’euros l’an dernier, contre 30 milliards de francs en 1988, soit 8 milliards d’euros d’aujourd’hui. Les choix stratégiques qui s’imposent en 2025 pour protéger le pays ne peuvent se résumer à de simples points de PIB.* Jean-Marc Daniel est économiste, professeur émérite à ESCP Business School et auteur de Nouvelles Leçons d’histoire économique (Odile Jacob, 2024).
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Publish date : 2025-03-12 04:45:00
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