La France est devenue l’une des mauvaises élèves de l’Union européenne. Pas question ici de déficit ou de poids de la dette, mais de… mortalité infantile. Depuis 2015, Paris affiche un taux supérieur à la moyenne de l’UE. D’après un rapport de l’Institut national d’études démographiques, la France a désormais glissé au 23e rang sur 27. Sur un millier de bébés nés en France, 4,1 en moyenne sont morts avant leur premier anniversaire – souvent quelques jours après leur naissance. Partant de ce chiffre – dont ils ont fait le titre d’un livre publié ces jours-ci – les journalistes Anthony Cortes et Sébastien Leurquin ont enquêté sur les raisons de cette dégradation. Si les autorités médicales pointent la hausse de la pauvreté et de l’âge des mères, les deux auteurs insistent sur plusieurs hypothèses – éloignement des maternités, manque de médecins, politique du chiffre – pour expliquer cette régression qui nous fait revenir aux taux de mortalité infantile du début des années 2 000. Entretien.L’Express : Dans les années 1970, le démographe Emmanuel Todd prophétisait la fin de l’URSS en raison de la hausse de la mortalité infantile. La dégradation française laisse-t-elle présager un avenir aussi sombre ?Anthony Cortes : Loin de nous l’idée de nous poser en prophètes, d’autant qu’Emmanuel Todd est en partie revenu sur cette thèse, pour ajouter d’autres facteurs à cet effondrement. Maintenant, le taux de mortalité infantile dit beaucoup de choses sur l’état de santé d’une société, d’un système de santé qui n’arrive plus à répondre à certains besoins de sa population. De là à prédire qu’il annonce une dégradation intense des services publics qui pourrait être fatale à notre société, il y a un gouffre – que nous ne franchirons pas. Notre travail est d’interroger un certain nombre de facteurs afin de comprendre la raison de ce phénomène.Sébastien Leurquin : Nous sommes plus alarmistes que pessimistes. La volonté derrière ce livre est de croire à un sursaut possible, en alertant sur ce qui pourrait advenir si nous ne changeons pas les choses. La France est lancée dans une trajectoire négative rare en Europe. Si la mortalité infantile était mieux traitée dans les priorités politiques, nous pourrions changer les choses.Cette hausse de la mortalité infantile a-t-elle les mêmes causes partout en France ? Des territoires sont-ils plus touchés que d’autres ?Anthony Cortes : La question se pose dans le monde rural. Dans les années 70, l’Etat a choisi de fermer les petites maternités pour des raisons de sécurité. Cette politique a donné des résultats, puisqu’on est passé d’un taux de mortalité infantile de 18 pour 1 000 à 4,8 pour 1 000 en 1998. Mais à la fin des années 1990, des déserts médicaux ont commencé à apparaître sur le territoire, ce qui a contribué à éloigner les femmes des services de soins. Aujourd’hui, près de 900 000 femmes sont à plus de 30 minutes d’une maternité. Nous nous interrogeons donc : ne sommes-nous pas allés trop loin dans cette logique, sans interroger le maillage territorial ? Nous l’avons constaté en nous rendant dans le Lot. En quinze ans, trois de ses quatre maternités ont fermé. Le taux de femmes en âge de procréer habitant à plus de 45 minutes d’un établissement est passé de 6 à 24 %. Dans le même temps, le Lot est devenu le département avec le taux de mortalité infantile le plus élevé de France métropolitaine.La question se pose aussi dans les banlieues. La Seine-Saint-Denis a un taux de mortalité infantile bien supérieur à la moyenne nationale : 5,8 %. C’est aussi un département où 17 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, et où les structures de prévention se sont délitées. Les centres de protection maternelle et infantile, permettant d’accompagner les mères et les enfants, voient leurs financements diminuer d’année en année. En vingt ans, le nombre de femmes suivies a été divisé par deux. Il y a donc un double tableau, avec deux populations de plus en plus délaissées par la puissance publique dans ce domaine : le monde rural et la banlieue.Vous parlez longuement des décrets de périnatalité de 1998, qui fixent les conditions selon lesquelles les établissements de santé doivent pratiquer les activités obstétriques. Ces textes fixent justement des limites, présentant les critères selon lesquels des maternités peuvent devenir dangereuses…Sébastien Leurquin : L’idée était alors de continuer dans la lignée du décret de 1972, afin d’augmenter les standards de qualité et de sécurité des maternités, notamment en fixant le fameux seuil des 300 accouchements. En dessous de ce seuil, les autorités de santé considèrent que le personnel ne pratique pas suffisamment pour être en capacité de réagir efficacement dans les maternités à risque. Ils fixent aussi le taux d’encadrement dans les maternités. Aujourd’hui, une sage-femme peut s’occuper de quatre, cinq, voire six mères en même temps lors d’un accouchement. Dans les pays nordiques, si souvent pris en exemple par les médecins, on compte une sage-femme par patiente. Cela change tout, surtout à une époque où les besoins, les aspirations et les profils des femmes ne sont plus les mêmes qu’en 1998. Or, ces décrets vont bientôt avoir trente ans, et n’ont pas été revisités depuis.Anthony Cortes : Le décret de 1998 fixait le nombre d’accouchements minimal à réaliser chaque année à 300, l’Académie de médecine pousse pour avoir 1 000 accouchements, mais l’on peut s’interroger sur la pertinence de son maintien. Aujourd’hui, dix départements n’ont plus qu’une seule maternité. Continue-t-on de raisonner selon un seuil ? Ne devrait-on pas changer de paradigme, s’interroger sur le maillage territorial ?Sébastien Leurquin : Reprenons l’exemple du Lot. Il ne reste plus qu’une seule maternité dans le département. Elle est environ à 650 accouchements par an. Si l’on poursuit dans cette logique, va-t-on dire aux femmes qu’elles ne peuvent plus accoucher dans leur département ?L’Académie de médecine évoque la hausse de la pauvreté et de l’âge des mères pour expliquer la hausse de la mortalité infantile. Vous préférez évoquer les fermetures de petites maternités. Pourquoi ces différences d’analyse ?Anthony Cortes : Evidemment, l’âge et le niveau de richesse jouent dans l’équation. Bien sûr que des grossesses plus tardives et des mères plus précaires sont des facteurs qui rendent les accouchements plus difficiles. Mais pourquoi se retrancher uniquement dans des explications individuelles quand la crise, comme l’ont déjà pointé les agences régionales de santé (ARS), est “multifactorielle” ? Si tel est le cas, il faut mesurer chaque élément, pour comprendre ce qui se joue dans le problème global.Sébastien Leurquin : La position des sociétés savantes est de fermer les petites maternités sans interroger la distance entre hôpital et lieu d’habitation. Certes, comme nous le disions, cette politique a fait ses preuves dans les années 70. Mais aujourd’hui, la situation a changé, les femmes ont changé, et l’augmentation du taux de mortalité infantile mérite que l’on s’attarde sur cette évolution. Nous ne contredisons pas les médecins sur le fait que des facteurs individuels jouent un rôle dans cette évolution. Quelle donnée, aujourd’hui, montre précisément que les petites maisons médicales sont intrinsèquement plus dangereuses que les grandes maternités ? Nous n’en avons pas assez pour alimenter le débat. Nous le regrettons, au même titre que des médecins qui ne partagent pourtant pas notre analyse sur la fermeture des petites maternités.Interrogé par L’Express en 2023, le Pr Yves Ville – que vous citez dans votre livre – défendait un modèle de grandes maternités, conçues pour les accouchements, accompagnées de plus petites structures, réparties sur le territoire, qui accompagneraient les femmes avant et après l’accouchement. N’est-ce pas la solution ?Anthony Cortes : Les autorités médicales militent effectivement plutôt pour l’adoption du modèle suédois : de grosses structures accompagnées de solutions de transports médicalisés. Cela pourrait être une très bonne chose, mais, en France, ça n’existe pas. Ajoutons que nous n’avons pas la même topographie que la Suède. Evoquons encore le Lot : nous avons fait les trajets jusqu’aux maternités, des routes sinueuses, compliquées. Accompagnez ce trajet d’une donnée météorologique particulière, qui rend la route impraticable, et imaginez une femme proche d’accoucher. Peut-on vraiment adapter la route à ce type de transport médicalisé ?Sébastien Leurquin : L’Académie de médecine estime qu’une femme peut toujours mieux accoucher dans un camion du Samu que dans une petite maternité. Mais prenons l’exemple des Pyrénées-Orientales, où certains villages de 1 000 à 2 000 habitants sont à plus de 45 minutes de Perpignan. Dans ces endroits, ce n’est souvent pas le camion du Samu qui vient chercher les femmes, mais les pompiers du village. Comment fait-on si une mère accouche avant son arrivée à la maternité ? Les pompiers n’y sont pas formés, et sont même souvent tétanisés à l’idée de pratiquer un accouchement.En quoi un registre des naissances dans les maternités, qui n’existe pas aujourd’hui, permettrait-il de lutter contre la mortalité infantile ?Sébastien Leurquin : Nous manquons clairement de données statistiques. Un registre des naissances avec un tableau de bord, une multitude de données, permettrait de mener des études afin de mieux comprendre la mortalité infantile. La dégradation du taux de mortalité infantile vient-elle de la responsabilité individuelle des mères ? Ce taux peut-il être croisé avec leurs poids, leurs éventuelles addictions, les facteurs polluants qui peuvent affecter leur grossesse ? Nous pourrions voir quels départements sont les plus touchés, quelles techniques d’accouchement peuvent être dangereuses… Sans ce registre, aujourd’hui, en réalité, nous sommes aveugles.
Source link : https://www.lexpress.fr/societe/mortalite-infantile-la-france-est-lancee-dans-une-trajectoire-negative-rare-en-europe-BXEXGNK4H5D45OF4VH5E4QIQDQ/
Author : Alexandra Saviana
Publish date : 2025-03-12 07:00:00
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