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L’Express a placé la défense de la rationalité au cœur de son ADN. C’est pourquoi, chaque semaine, nous mettons en lumière les bénéfices qu’apporte la recherche à la société, sans jamais hésiter, non plus, à apporter notre contribution à la lutte contre la désinformation scientifique. Nous avons choisi, cette année encore, de prolonger cet engagement en soutenant des chercheurs qui partagent ces combats grâce à un événement dédié : la remise des Prix des personnalités Sciences et santé. Saviez-vous qu’un Actimel contient autant, voire plus de sucre qu’un soda ? Cela lui a valu une note médiocre, D, lors de la dernière mise à jour du Nutri-Score. La nouvelle n’a pas plu au groupe Danone. L’industriel, connu pour communiquer largement sur son engagement pour la santé, a tout simplement retiré l’indication Nutri-Score de ses yaourts à boire.Revivez l’intégralité du Colloque Sciences et Santé de L’Express 2025 iciCet épisode illustre la persistance des attaques contre le logo nutritionnel lancé en 2017 par le professeur Serge Hercberg, qui a passé le flambeau en 2019 à Mathilde Touvier. Leur équipe, qui regroupe des chercheurs du Cnam, de l’Inserm, de l’Inrae et de l’université Sorbonne Paris Nord affronte, depuis le début de l’aventure, une industrie agroalimentaire réticente, pour ne pas dire hostile, à leur démarche. Informer les consommateurs sur ce qu’ils mangent et boivent, quitte à pointer les “mauvais” aliments, déplaît visiblement à certains. Malgré plus de 150 publications scientifiques montrant l’intérêt du Nutri-Score pour améliorer la santé, et en dépit d’un rapport signé par 320 scientifiques du monde entier, la Commission européenne n’a toujours pas rendu le système obligatoire. La faute aux groupes de pression industriels.Les 5 catégories du Nutri-Score, du A vert foncé au E rouge, sont définies par un algorithme calculant la composition d’un aliment ou d’une boisson. Elles offrent un repère précieux aux consommateurs et une base scientifique solide pour des applications comme Open Food Facts, que chacun peut télécharger gratuitement sur son smartphone. Adoptée dans six autres pays – l’Allemagne, l’Espagne, la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg -, la fameuse étiquette aux cinq couleurs est devenue “une composante essentielle de l’action de santé publique en matière d’amélioration de l’alimentation”, se félicite Serge Hercberg, épidémiologiste et nutritionniste, dont la recherche avait préalablement été à l’origine de la campagne “5 fruits et légumes par jour”. Ce petit-fils d’émigrés polonais a été marqué par ses deux années de coopération à El Jadida, au Maroc, en 1975-1976. Une expérience qu’il qualifie de “terriblement douloureuse”. “Nous nous sentions démunis face à des situations graves de malnutrition et de dénutrition”, raconte-t-il. De retour en France, il “découvre sa vocation” d’épidémiologiste de la nutrition en santé publique pendant ses études à la faculté de médecine de la Pitié Salpêtrière, en suivant les cours du professeur Henri Dupin.”Avec nos travaux, nous avons donné du pouvoir aux consommateurs et obligé les industriels à faire évoluer leur offre”, confirme sa consœur Mathilde Touvier, directrice de recherche en épidémiologie nutritionnelle à l’Inserm. L’enjeu est de taille : selon un article scientifique publié en septembre dans le Lancet Regional Health-Europe, la consommation d’aliments mal classés au Nutri-Score est associée à un risque accru de maladies cardiovasculaires. Selon l’OCDE, qui a publié un rapport éloquent sur le sujet l’an dernier, sa généralisation à l’échelle européenne éviterait deux millions de maladies d’ici à 2050, diminuerait les dépenses de santé et augmenterait le nombre de personnes en capacité de travailler. “J’ai hésité, pour mes études, entre la nutrition de santé publique et la médecine. Dans le second cas, j’aurais sauvé peut-être une personne par jour. Notre travail peut sauver des milliers de vies”, confie Mathilde Touvier.”Des puissances économiques se sont mobilisées contre le Nutri-Score”Le Nutri-Score s’est fait une place dans les rayons des supermarchés, et même dans le dictionnaire Larousse. Pourtant, sa saga a été d’emblée celle d’une confrontation entre un groupe de scientifiques et des géants de l’alimentation aussi puissants que Mars ou Lactalis. Des mastodontes aux intérêts financiers colossaux. “Au début de l’aventure, les représentants du secteur ont écrit aux ministères de la Santé, de l’Agriculture et de l’Economie pour demander la suspension de nos travaux. Heureusement, dans notre pays, une telle tentative d’obstruction n’aboutit pas”, rappelle Mathilde Touvier, récompensée par le Prix de recherche de l’Inserm (2019), celui de la Fondation Bettencourt (2021), ainsi que par un financement de 2 millions d’euros du très sélectif Conseil européen de la recherche (ERC).Serge Hercberg relate leur combat et les coups durs qu’ils ont dû encaisser dans son livre Mange et tais-toi (HumenSciences, 2022). “Des puissances économiques se sont mobilisées pour bloquer, retarder ou dénaturer des mesures de santé publique que nous préconisons. Le combat est totalement inégal, mais nous avons la science avec nous et nous bénéficions du soutien de la société : les professionnels de santé, les associations de consommateurs et de patients, les ONG, les médias… », estime le professeur de 74 ans. Il continue pourtant de recevoir des attaques personnelles, des insultes antisémites et des menaces de mort sur les réseaux sociaux.L’adoption de l’étiquette, pour l’instant facultative, dépend encore du bon vouloir des fabricants. Comment aller plus loin ? Il y a quelques mois, plus d’un millier de scientifiques et professionnels de santé ont appelé, dans une tribune, à rendre le Nutri-Score obligatoire en France. Surtout, un bras de fer est engagé avec la Commission européenne, dont la stratégie Farm to fork (de la ferme à la fourchette) prévoit la mise en place obligatoire d’un étiquetage nutritionnel simplifié, pour lequel le Nutri-Score est favori. Mais la présidente du conseil Giorgia Meloni lui reproche de nuire aux produits traditionnels italiens. Soumise à la pression de Rome, la nouvelle Commission procrastine.”Nous ne lâcherons rien”Des frustrations comme celle-ci, Serge Hercberg et Mathilde Touvier en ont connu beaucoup. Des échecs, aussi. Leurs plaidoyers pour taxer la malbouffe, par exemple, ou pour réglementer la publicité alimentaire, n’ont pas abouti. Pas de quoi décourager les deux scientifiques, dont l’équipe s’est étoffée et compte aujourd’hui une centaine de personnes – chercheurs, diététiciens et autres statisticiens qui décryptent leur cohorte NutriNet-Santé composée de quelque 180 000 participants. “Nous allons dans le sens de l’histoire. Les lobbies arriveront peut-être à reporter de quelques mois ou années les mesures de santé publique comme le Nutri-Score, mais pas à les empêcher”, veut croire Serge Hercberg. “Le rouleau compresseur de l’opinion publique et des médias est lancé. Quant à nous, nous ne lâcherons rien”, renchérit Mathilde Touvier, qui compare la stratégie de désinformation de l’agroalimentaire à celle de l’industrie du tabac.Cette chercheuse de 45 ans, originaire du Var, s’intéresse également à un autre pan essentiel de la qualité de nos repas : les aliments ultratransformés, qui représentent un tiers de l’apport énergétique en France. Elle souhaiterait intégrer cette donnée importante au Nutri-Score, par exemple sous la forme d’un bandeau noir. L’an dernier, son équipe a mis en évidence un lien entre additifs émulsifiants, édulcorants, nitrites et développement de cancers, maladies cardiovasculaires, diabète de type 2 et hypertension.Bourreau de travail, elle a également lancé le mois dernier [MOU2] une nouvelle étude, consacrée cette fois aux contaminants provenant des emballages. “On dénombre plus de 12 000 composés chimiques pouvant entrer dans la composition des matériaux au contact des aliments, mais on ne sait quasiment rien de leur impact sur la santé”, pointe Mathilde Touvier. Un défi de plus pour nos deux scientifiques.Un article de notre dossier spécial “Personnalités de L’Expresss Les Prix 2025 des sciences et de la santé”, publié le 13 mars.



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Publish date : 2025-03-11 09:00:00

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