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Que les gauches semblent irréconciliables lorsque les composantes du Nouveau Front populaire précisent leur propre doctrine géopolitique ! Parmi ces divergences, mises en lumière à l’Assemblée nationale le 3 mars au gré du débat sans vote sur la situation en Ukraine, le rapport des différentes formations avec la défense européenne, la dimension communautaire de la dissuasion nucléaire française, mais également l’aide à l’Ukraine. Donnant à voir à bâbord deux visions du monde aux antipodes. “Il existe, sur ce conflit, une fracture à gauche entre ‘les entrepreneurs d’Europe’ et les ‘promoteurs de la souveraineté’, analyse Samuel Faure, chercheur au laboratoire CNRS Printemps, spécialiste de la gouvernance de l’Union européenne, des transformations des politiques d’armement en Europe. Les premiers vont avoir tendance à investir dans des dispositifs européens à la fois intergouvernementaux et supranationaux, alors que les seconds vont percevoir comme légitimes les instruments strictement intergouvernementaux, considérant que la défense est une affaire qui doit rester le monopole des Etats-nations.” Un clivage exacerbé ces deux dernières semaines, alors que la Maison-Blanche, qui vient de geler l’aide militaire à Kiev, concrétise son désengagement du conflit aux portes de l’Europe.”Munichois” contre “va-t-en-guerre”Les divergences dans l’analyse géopolitique ne sont pas nouvelles. Les programmes de la Nupes et du Nouveau Front populaire (NFP) font d’ailleurs, peu ou prou, l’impasse sur ces sujets. “Il était impossible de trancher tant nos désaccords étaient grands”, se remémore l’un des négociateurs. Ainsi, la première version de l’alliance à gauche se contente de plaider pour la défense de “la souveraineté et la liberté de l’Ukraine et du peuple ukrainien ainsi que l’intégrité de ses frontières”. Et de coucher sur le papier les désaccords vis-à-vis du retrait ou du maintien de la France dans l’Otan : des points, disaient-ils, “mis à la sagesse de l’Assemblée”. Deux ans plus tard, l’impasse est similaire dans le programme du NFP : cette fois, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord n’y est même pas mentionnée. Les dernières échéances présidentielle et européenne, depuis le début de la guerre sur le sol continental, sont marquées par des querelles intestines à gauche, où l’un et l’autre s’invectivent, tantôt en “Munichois”, tantôt en “va-t-en-guerre”. “C’est un point prédominant parmi les débats de fond à l’intérieur de la gauche, admet Christian Picquet, tête pensante du Parti communiste français (PCF). Quelle doit être la contribution de la France au nouvel ordre mondial de paix et de sécurité collective ?”Selon la typologie définie par Samuel Faure, socialistes et écologistes appartiennent à la première catégorie. “Le pacifisme le plus exigeant, celui de Jaurès, ne tolère ni la servitude ni la soumission”, a ainsi mis en garde le patron des députés socialistes Boris Vallaud. A la tribune de l’Assemblée nationale, ce dernier a plaidé pour un “grand plan de redressement stratégique de l’Europe, qui sera militaire autant qu’industriel”, et pour un “grand emprunt commun d’au moins 500 milliards”. Et d’assumer que “la dissuasion nucléaire sera d’évidence l’une des questions majeures de la construction d’une sécurité commune européenne”, appelant enfin à la saisine des avoirs russes gelés pour financer la résistance ukrainienne et arrêter de laisser “transiter par nos ports, avec la complicité de nos entreprises, son gaz naturel liquéfié”. Du miel pour les oreilles de Raphaël Glucksmann, partisan de longue date de la concrétisation d’une défense européenne. “Le parapluie américain s’est refermé. ‘L’Europe-Tanguy’ qui rêvait de rester dans la maison de l’Oncle Sam ad vitam aeternam est aujourd’hui toute seule dehors”, déplore l’ancienne tête de liste PS-Place publique. Avec les Verts, la convergence de vue est forte. “Cela fait longtemps que nous tirons les sonnettes d’alarme, souffle l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint. Oui à la fin de nos dépendances, en particulier au gaz russe. Oui à une Europe plus intégrée, y compris sur la défense. Oui à l’ouverture du parapluie nucléaire français sur l’Europe. La seule perspective raisonnable c’est le désarmement nucléaire, mais ce n’est pas la pente que prend le monde.”Insoumis et communistes appartiendraient donc à la seconde catégorie de cette typologie. Résolument opposés au partage de la dissuasion française, au gel des avoirs russes en vertu du respect du droit international, les partis de gauche radicale s’attellent surtout à souligner l’impasse présumée d’une solution militaire au conflit. “Ils proposent l’Europe de la Défense, nous proposons l’Europe de la paix”, réplique le député LFI Hadrien Clouet, responsable de “L’Avenir en commun”. “Ce programme est destiné à devenir un hub des Américains”, poursuit l’élu, soulignant qu’une grande partie des Etats membres se fournissent militairement outre-Atlantique. Christian Picquet ne dit pas autre chose : “Il faut choisir une politique indépendante en France et en Europe, et ne pas se substituer aux Américains pour mener une politique de guerre à leur place.”Les deux formations politiques veulent surtout voir dans ces bouleversements la confirmation de leurs positions historiquement antiaméricaines. “Depuis le début, les Européens ne se sont jamais demandé pourquoi la Russie agissait, ni quels moyens d’éviter la guerre étaient possibles. […] Ils ont tendu l’élastique autant qu’ils pouvaient dans une indifférence totale à la réalité des rapports de force du nouvel ordre du monde”, a d’ailleurs écrit Jean-Luc Mélenchon dans sa dernière note de blog. Là aussi, Fabien Roussel, le patron du PCF, converge avec le triple candidat présidentiel, lorsqu’il appelle à “entendre ce que demande la Russie : la non-intégration de l’Ukraine dans l’Otan”.Le nouveau récit de la Maison-Blanche remet en question les dogmes de la gauche radicaleL’alignement de la Maison-Blanche sur les intérêts du Kremlin permet cependant aux différentes nuances de gauche, de Raphaël Glucksmann à Jean-Luc Mélenchon, de tomber d’accord sur un point : la nécessité de tourner la page de la dépendance aux Etats-Unis. “Cette pomme de discorde, très forte dans notre camp, n’est plus”, estime Clémentine Autain, députée du groupe Ecologiste et Social, qui siège au sein de la commission des affaires étrangères. C’est une rupture, et nous sommes à un moment où se cherche la doctrine du nouveau monde.””Le basculement géopolitique opère des transformations dans la demande politique, avant que l’offre ne se structure”, analyse Gilles Gressani, directeur de la revue Le Grand Continent. Une question notamment posée à la gauche souverainiste. “Le fait que Donald Trump assume depuis un mois un discours explicitement impérial en humiliant ses alliés et en allant jusqu’à exprimer sa volonté d’une expansion territoriale confirme ce qu’une bonne partie de la gauche a toujours cru : que les Etats-Unis n’étaient qu’un empire qui se cachait, affirme-t-il. Cette transformation pose toutefois une question difficile à gauche : celle de la puissance.” Et l’enseignant à Sciences Po d’interroger : “Si la seule règle des Empires sera le hard power, nos nations disposent-elles seules de moyens suffisants pour résister à l’étau qui se resserre sur l’Europe ? C’est une question qui a un corollaire pour tous ceux qui se réclament du souverainisme : pris entre la Russie, la Chine et les Etats-Unis, quel Etat dispose des moyens d’une autonomie militaire et numérique ?”Si les gauches radicales assurent avoir tiré la sonnette d’alarme de longue date, elles n’en demeurent pas moins forcées à repenser leur logiciel. “Le nouveau récit de la Maison-Blanche remet en question un dogme particulièrement présent à l’extrême gauche selon lequel l’Union européenne n’est qu’un instrument de domination américaine. Aujourd’hui, Trump répète de façon quasi obsessionnelle tout le contraire : l’UE aurait été créée pour détruire les Etats-Unis…”, ajoute Gilles Gressani, pour qui la nouvelle donne “brise l’analyse fantasmatique d’une partie de la gauche qui a parfois vu dans le régime de Poutine une possible force antiaméricaine”. “La convergence entre la Maison-Blanche et le Kremlin surprend presque tout le monde par sa profondeur, y compris en Russie, parce qu’elle réécrit l’histoire de la fin de la guerre froide”, conclut-il.Jean-Luc Mélenchon, qui a longtemps prôné un rapprochement avec la Russie sans croire à l’invasion ukrainienne, a depuis modéré ses positions, apportant son soutien au président ukrainien Volodymyr Zelensky, sans toutefois abandonner la thèse d’une provocation otanienne. Gilles Gressani a noté, dans la dernière publication de l’insoumis, que l’intéressé “n’aborde presque pas la question de l’alignement américain sur la Russie, comme s’il n’avait pas encore trouvé une ligne face à cet étau qui voit Trump et Poutine avancer sur un front commun”. “Réunion des Européens dans le seul pays sorti de l’UE. Et le plus directement lié aux USA. La ‘souveraineté européenne’ est bidon”, a affirmé sur X le leader insoumis au sujet de la réunion des alliés européens de Kiev, à Londres. L’initiative n’a pas convaincu le patriarche LFI. Il continue de prêcher pour “la sortie de l’Otan, le non-alignement et l’altermondialisme d’entraide”.



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Author : Mattias Corrasco

Publish date : 2025-03-05 15:00:00

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