Avant le début de l’invasion russe, l’écrivain ukrainien Artem Chapeye se considérait comme pacifiste. Mais lorsque les chars russes ont lancé l’assaut sur son pays, il a décidé de prendre les armes. Après son livre Les gens ordinaires ne portent pas de mitraillettes (Ed. Bayard), publié en 2024, où il racontait son expérience de soldat et son cheminement personnel au fil du conflit, est sorti en ce mois de février The Ukraine (Ed. Bleu Et Jaune), un ouvrage initialement publié en 2018, désormais traduit en français, dans lequel il dresse un portrait captivant de son pays avant la guerre.A l’heure où les négociations entre Donald Trump et Vladimir Poutine autour du sort de l’Ukraine concentrent l’attention internationale, l’auteur fait part à la fois de ses inquiétudes et de sa détermination. “Certaines personnes espéraient que Trump ne se contenterait pas de céder l’Ukraine à la Russie et qu’il ferait pression sur Poutine. Mais c’était sans doute un vœu pieux”, livre-t-il. Entretien.L’Express : Comment avez-vous pris la décision de devenir soldat ?Artem Chapeye : Le premier jour de l’invasion, j’ai essayé de m’enfuir avec mes enfants, mais j’ai rapidement compris que si la Russie nous occupait, nous ne pourrions jamais revenir chez nous. A ce moment-là, chacun a dû décider du rôle qu’il allait jouer. Et je pense avoir été inspiré par ces gens qui, pendant que d’autres prenaient la fuite, ont fait le choix d’aller se battre. C’est un sujet que j’aborde dans mon livre Les gens ordinaires ne portent pas de mitraillette. Avant l’invasion, je me considérais comme pacifiste, et comme la plupart des personnes aujourd’hui dans l’armée, je fais partie de ces “gens ordinaires”, qui n’avaient jamais pensé devoir prendre les armes.Dans le fond, je pense avoir été très influencé par les livres que j’ai lus pendant mon adolescence, en particulier ceux d’Albert Camus et Jean-Paul Sartre. Ce dernier s’est notamment intéressé à la façon dont les gens, lors de l’occupation de la France par les nazis, ont dû faire un choix entre résister, collaborer, ou rester en retrait. Il explique ainsi qu’une personne n’est rien d’autre que la somme de ses actions : ce que nous faisons de manière répétée définit ce que nous sommes réellement, et ce que nous décidons de faire détermine ce que nous devenons. Je me suis moi-même retrouvé confronté à ce choix existentiel.Comment ces trois années de guerre vous ont-elles affecté ?Je me sens très traumatisé. Les deux années que j’ai passées loin de mes enfants, lorsque j’ai été envoyé dans l’Est de l’Ukraine, furent les plus difficiles de ma vie. Aujourd’hui, j’ai toutefois été transféré au quartier général de l’armée, à Kiev, et je peux donc à nouveau les voir. C’est une chance que n’ont malheureusement pas de très nombreux soldats.J’ai parfois l’impression d’avoir développé une forme de ressentiment à l’égard des personnes qui ont décidé de ne pas s’impliquer dans la lutte. Mais j’essaie de combattre ce sentiment, parce que je comprends que les gens ont leurs raisons, décident pour eux-mêmes, et nous ne pouvons pas les juger pour cela, même si l’on n’est pas d’accord avec eux. Néanmoins, il me semble important de garder à l’esprit que c’est la somme collective de nos décisions qui décidera du destin commun. S’il n’y avait pas eu des centaines de milliers de personnes courageuses, prêtes à prendre les armes et à se battre, nous aurions probablement été occupés dès les premières semaines.Quel regard portez-vous sur les récentes négociations lancées par Trump avec Poutine ?Tout le monde est choqué par ces récents développements. Certaines personnes espéraient que Trump ne se contenterait pas de céder l’Ukraine à la Russie et qu’il ferait pression sur Poutine. Mais c’était sans doute un vœu pieux. Il agit en réalité comme une brute d’école, qui s’entendrait avec une autre pour s’en prendre au plus faible. De sorte que les deux bras de l’Ukraine sont désormais tordus par la Russie et par les États-Unis. De mon point de vue, le nombre d’analogies avec ce qu’il se passait avant la Seconde Guerre mondiale est frappant.A quoi pensez-vous ?Cela me rappelle le pacte Molotov-Ribbentrop, qui avait été conclu entre l’Allemagne de Hitler et l’URSS de Staline pour se partager la Pologne en 1939. Il semble aujourd’hui que Donald Trump et Vladimir Poutine empruntent cette même voie, et essayent de diviser l’Europe en sphères d’influence. Ils traitent l’Ukraine comme une colonie, avec d’un côté une partie du territoire cédée à la Russie, et de l’autre les Etats-Unis qui s’approprient toutes les ressources minières du pays. Cela donne l’impression d’assister à un tournant fasciste et autoritaire dans le monde, et je n’imaginais pas qu’une telle chose puisse se produire au XXIe siècle.Avant la Seconde Guerre mondiale, il y avait aussi eu les accords de Munich, en 1938, qui avaient sacrifié la Tchécoslovaquie pour une paix illusoire. Et c’est dans cette même ville que l’administration du nouveau président américain a, il y a quelques semaines, amorcé une rupture avec les Européens. Je sais que nous ne vivons pas dans un film hollywoodien, et qu’il n’y a pas toujours de fin heureuse, cependant, on aurait pu espérer que les gens tireraient des leçons de l’Histoire.Est-il vraiment possible de faire la paix avec Poutine ?La Russie violera tous ses engagements dès qu’elle le pourra – c’est ce qu’elle a toujours fait. Elle ne respectera rien, sauf si elle y est contrainte. L’objectif est donc de l’empêcher de pouvoir le faire. Souvenons-nous que Moscou avait signé le Mémorandum de Budapest, par lequel la Russie, et d’autres pays, s’étaient engagés à respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine en échange de nos armes nucléaires. On en voit le résultat aujourd’hui. Aucun accord ne pourra fonctionner avec la Russie, si elle décide qu’il est dans son intérêt de le violer.La France et le Royaume-Uni envisagent d’envoyer des troupes en Ukraine comme garantie de sécurité. Que pensez-vous de ces initiatives ?Il semble qu’aujourd’hui la France et le Royaume-Uni sont devenus les principaux soutiens de l’Ukraine. Nous espérons vraiment qu’ils feront quelque chose, et l’envoi de troupes nous rassurerait un peu. Toutefois, beaucoup de gens en Ukraine partagent le sentiment que le monde a changé, et qu’il va nous falloir compter davantage sur nous-mêmes. Nous voulons donc continuer à nous accrocher, même si les Etats-Unis cessent de nous soutenir. Par ailleurs, les Russes ne progressent que très lentement ces derniers temps. Je vois donc mal l’Ukraine s’effondrer et la Russie occuper l’ensemble de notre territoire.Dans votre livre The Ukraine, publié en 2018, vous dressiez un portrait de l’Ukraine. Comment celui-ci a-t-il évolué depuis ?Je pense que depuis, les Ukrainiens se sont surpris eux-mêmes – moi compris. Lorsque je me suis engagé dans l’armée, je craignais que l’on perde notre pays en seulement quelques semaines. Mais être parvenu à tenir tête à l’Empire russe depuis trois ans est quelque chose d’incroyable. Quelle que soit la façon dont cela se terminera, cette page d’histoire restera comme une forme de légende pour l’Ukraine. Comme les Cosaques il y a plusieurs siècles, qui avaient combattu le servage pour être un peuple libre. Encore aujourd’hui, nous nous souvenons de cette histoire, et je pense qu’il en sera de même pour cette guerre. Il existe aujourd’hui une fierté collective en Ukraine, même si le pays est épuisé. A la fin, quoi qu’il arrive, cette mémoire de la résistance perdurera. Et cela poussera les gens à continuer, le peuple ukrainien n’abandonnera pas le combat.
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Author : Paul Véronique
Publish date : 2025-03-02 06:45:00
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