Promesses d’argent facile, de retours sur investissement rapides, le tout sans connaissances poussées du monde de la finance… En quelques clics sur YouTube, des dizaines de vidéos d’influenceurs Français vendent à leurs millions d’abonnés la promesse d’un jackpot financier à moindre coût, en investissant dans les cryptoactifs. Parfois présentée comme un jeu, où les chances de gagner semblent être bien plus importantes que le risque de perdre, la proposition semble séduire de plus en plus de jeunes – voire très jeunes – investisseurs. Selon une étude Ipsos pour l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan) et KPMG, publiée en mars dernier, 57 % des Français ayant déjà détenu des cryptoactifs étaient âgés de moins de 35 ans début 2024 – soit une hausse de 7 points depuis 2023.La tranche d’âge des 18-24 ans voit même sa représentation doubler en un an, passant de 12 % de détenteurs en 2023 à 24 % en 2024. Un intérêt loin d’être anodin pour le sociologue de la consommation Patrice Duchemin, qui y voit une appétence des jeunes générations pour l’idée “d’un eldorado financier”, accessible à tous et “permettant de s’enrichir très rapidement à moindre coût”. Malgré les failles et les risques. Entretien.L’Express : Selon l’étude de l’Adan, 12 % des Français possédaient des cryptoactifs début 2024. L’immense majorité d’entre eux (57 %) avaient moins de 35 ans, et 24 % étaient même âgés de 18 à 24 ans. Comment expliquer, selon vous, un tel intérêt des plus jeunes générations pour ces actifs numériques ?Patrice Duchemin : Il faut selon moi replacer cet intérêt dans un contexte plus global : les jeunes de la génération Z [NDLR : nés entre 1997 et 2012] et une partie des millenials [NDLR : nés entre 1981 et 1996] ont grandi avec les réseaux sociaux, et ont baigné dans une mentalité très spécifique qui est celle de vouloir casser les codes, réinventer le monde du numérique et utiliser les nouvelles technologies pour investir facilement et rapidement dans de nouveaux marchés – ici, le marché financier. Pour ce faire, les outils technologiques mis à leur disposition n’ont jamais été si performants, leur donnant l’illusion qu’ils peuvent s’approprier bien plus facilement un monde – celui de la banque -, jusqu’alors réservé à une certaine élite.Alors que des dizaines, voire des centaines de tutoriels sont très facilement accessibles sur YouTube ou sur les réseaux sociaux pour leur apprendre à investir dans la crypto, et que des influenceurs se sont même spécialisés là-dedans, il y a cette idée selon laquelle les outils numériques leur permettront d’avoir un rapport à l’investissement plus malin que les générations précédentes. On place autrement que les parents ou que les grands-parents, sans avoir à sortir de chez soi, sans avoir besoin de beaucoup de liquidité, sans forcément s’engager sur du long terme, sans expertise spécifique dans le monde de la finance et sans effort apparent, en espérant un retour extrêmement facile et rapide sur investissement. On peut d’ailleurs observer ce rapport à l’immédiateté dans d’autres phénomènes qui ont séduit les plus jeunes sur Internet, promettant toujours de s’enrichir rapidement à moindre coût, comme le dropshipping ou la spéculation sur certaines marques de vêtement sur des plateformes de seconde main, comme Vinted.Quel est justement le poids des influenceurs et des réseaux sociaux dans cet attrait des plus jeunes pour les cryptoactifs ?Il est immense, puisque cette appétence fonctionne en grande partie sur une part de rêve. La crypto, c’est un peu le PMU des plus jeunes : on fantasme avec cet investissement comme on fantasme avec les paris sportifs en ligne, avec le loto, avec les chariots mystères ou avec les colis perdus, en espérant investir peu pour gagner beaucoup, avec une part de hasard. Les influenceurs en crypto, souvent basés à Dubaï ou dans des paradis fiscaux, partis de rien et qui mènent la grande vie sur les réseaux sociaux, ont évidemment une part de responsabilité dans cette “machine à rêve”. Alors que les générations précédentes se donnaient des tuyaux en famille pour gagner au tiercé, les influenceurs jouent ce rôle parfois très superficiel de “conseillers financiers”, proposant des investissements plus ou moins bancals. Il y a cette notion très américaine du : “Si tu veux, tu peux”, avec cette illusion d’un eldorado financier accessible à tous, qui peut évidemment se révéler très dangereuse.Il y a également eu un important travail des acteurs du secteur pour crédibiliser et vulgariser le monde des cryptos, comme on peut le voir avec cette fameuse publicité pour une plateforme spécialisée mettant en scène des stars très populaires en France comme Antoine Dupont, par exemple – c’est de l’image de marque. On se dit que si le capitaine de l’équipe de France de rugby fait confiance à une plateforme de cryptomonnaie et accepte d’en être l’égérie, c’est que c’est un marché honnête. Ce sentiment est d’ailleurs renforcé par le fait que certaines banques et marques de luxe commencent à accepter les paiements en cryptomonnaie. Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’impact de l’entourage dans l’investissement des plus jeunes : on va souvent investir après avoir reçu le conseil d’un ami, le ‘bon plan’ d’un cousin, ou après avoir visionné une vidéo envoyée par un camarade de classe… Les plus jeunes sont rarement seuls avec leur intuition au moment d’investir.L’Adan indique d’ailleurs dans son étude que la plus forte proportion des détenteurs de cryptoactifs en France se trouve désormais dans la tranche des foyers à revenus inférieurs : 31 % d’entre eux gagnent moins de 18 000 euros par mois, contre 22 % l’année précédente. Comment analyser cette nouvelle appétence des foyers les plus modestes pour les cryptoactifs ?Outre la notion déjà évoquée d’argent facile et d’investissement rapide, il existe à mon sens un vrai principe de “revanche sociale” sur le sujet : il y a vingt ans, les jeunes qui réussissaient dans la finance étaient plutôt issus de l’élite, des bonnes familles, qui faisaient Sciences Po ou HEC avant de partir à Londres pour trouver un poste dans une banque. Avec les cryptoactifs, il y a cette idée qu’il n’y aurait plus besoin d’un tel confort financier et/ou social pour investir, ni de diplômes universitaires pour comprendre comment fonctionne le monde des traders : cela séduit ainsi les jeunes plutôt issus des zones périurbaines ou des quartiers prioritaires, qui y voient une manière de tenter, eux aussi, leur chance dans ce monde autrefois perçu comme très fermé.Pourtant, ces investissements ne rapportent pas toujours, voire peuvent s’avérer néfastes pour les jeunes investisseurs. Toujours selon l’étude de l’Adan, 23 % des Français envisageaient ainsi d’acquérir des cryptomonnaies début 2024, contre 26 % en 2023, et 29 % en 2022 – une baisse de 6 points en trois ans, qui pourrait être expliquée selon l’association “par les doutes suscités par les faillites et les fraudes” et “un contexte macroéconomique réduisant pour partie l’épargne disponible”.Pour certains jeunes, cette notion de pari fait justement partie du jeu. C’est exactement le même phénomène que pour le poker en ligne ou les paris sportifs : les investisseurs savent très bien qu’ils peuvent perdre, mais ils pensent aussi qu’ils peuvent gagner. Et c’est cette adrénaline-là qui fonctionne. Aujourd’hui, cela se traduit par l’engouement pour les cryptos, parti des grandes villes ou des zones périurbaines pour ensuite ruisseler sur les communes plus rurales. Demain, ça pourrait être autre chose.
Source link : https://www.lexpress.fr/societe/quand-les-18-24-ans-sinteressent-aux-cryptomonnaies-cest-le-nouveau-pmu-des-plus-jeunes-2F5D3C2DCJDW7CJHYXXVLUCHPA/
Author : Céline Delbecque
Publish date : 2025-03-01 11:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.