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Focalisés sur la seconde investiture de Donald Trump, les Européens ont à peine prêté attention à une sortie inédite, le 23 janvier, du leader conservateur allemand alors en campagne, Friedrich Merz. Avec gravité, lors d’un discours de politique internationale, à Berlin, il a déclaré que “l’architecture de la sécurité européenne n’existe plus”. Le lendemain des élections, il précisait sa pensée : “Donald Trump ne respectera pas l’article 5 de l’Otan” – celui qui stipule qu’une attaque contre l’un des membres de l’Alliance atlantique est une attaque contre tous. Autrement dit : le républicain pourrait ne pas bouger le petit doigt si la Russie s’en prend à un pays européen plus à l’ouest que l’Ukraine.Après une victoire loin du succès espéré (28,5 % des voix), Merz est allé plus loin encore. Le futur chancelier a affirmé qu’il fallait même impérativement émanciper l’Europe de Washington, partenaire considéré comme infaillible en Allemagne avant le retour à la Maison-Blanche de Donald Trump. Cette révolution copernicienne concerne autant son pays que lui-même car, durant toute sa carrière politique et jusqu’à récemment, il a été un atlantiste convaincu.35 000 soldats américains en AllemagneFriedrich Merz a été élevé dans la passion des Etats-Unis, à l’origine de la prospérité de l’Allemagne pendant quatre-vingts ans, du moins dans la partie ouest, et qui a assuré dans le même temps sa protection – 35 000 soldats américains stationnent toujours sur le territoire allemand. Il a ainsi été pendant dix ans le président de la fondation allemande Atlantik-Brücke (2009-2019), dont le but est de resserrer les liens des deux pays dans les domaines de l’économie, des finances, de l’éducation et de la politique militaire.Merz est considéré comme l’un des derniers spécimens de la “génération Adenauer” (du nom du chancelier à la tête du pays de 1949 à 1963), pour qui l’Europe, mais aussi la protection militaire américaine, était une évidence. C’est pourtant cet “homme du passé” (son surnom) qui doit faire accepter à l’Allemagne la rupture du lien transatlantique et mettre en œuvre, dans les faits, le “changement d’époque” (Zeitenwende) que son prédécesseur social-démocrate, Olaf Scholz, a décrété, avant de le laisser en suspens.L’Allemagne prend tout juste conscience de la perte de son “ami américain”, encore sous le choc de la conférence de Munich sur la sécurité de mi-février. A cette occasion, le vice-président américain, J.D. Vance, a officialisé le divorce en prenant fait et cause pour l’extrême droite, après avoir critiqué les principes démocratiques européens, dans un discours très offensif.Merz avait cependant anticipé “cette rupture depuis longtemps”, estime Stefan Meister, expert des questions de défense à l’Institut allemand de politique étrangère. “Il faut se rendre à l’évidence. Les Américains, en tout cas une partie des Américains, sont désormais indifférents au sort de l’Europe”, a en effet répété Merz tout au long de sa campagne.Sa vision de la défense continentale reste floueBeaucoup voient à présent en lui le chancelier providentiel dans une période tourmentée, quand bien même sa vision de la défense continentale reste floue. Toutefois, contrairement à Olaf Scholz, enfermé dans un mutisme consternant pendant plus de trois ans, le conservateur a décidé de renouer le dialogue sur cette question avec ses voisins. “Il n’a pas de plan concret pour la défense européenne, mais il a l’ambition d’assurer un leadership et de renforcer le rôle de l’Allemagne, estime Stefan Meister. Merz est une chance pour l’Europe.”Il veut ainsi relancer le dialogue avec Paris et Varsovie, à l’aune de cet éloignement des Américains. Il a d’ailleurs déjà été reçu mercredi soir à l’Elysée, trois jours seulement après les législatives. “Ensemble, nos pays peuvent accomplir de grandes choses pour l’Europe”, a-t-il écrit sur X après sa rencontre avec Emmanuel Macron. “Pour lui, les relations franco-allemandes sont incontournables, remarque Stefan Meister. Mais il veut déplacer le curseur vers l’est. La Pologne devient plus importante du fait de sa situation géostratégique.”Vielen Dank, lieber @EmmanuelMacron, für Deine Freundschaft und Dein Vertrauen in die deutsch-französischen Beziehungen. Zusammen können unsere Länder Großes für Europa erreichen.

Merci beaucoup, cher @EmmanuelMacron, pour ton amitié et la confiance que tu accordes aux relations… pic.twitter.com/eXv0tWqQ3h— Friedrich Merz (@_FriedrichMerz) February 26, 2025Dans le cadre de l’Otan, l’Allemagne accueille sur son sol des bombes nucléaires américaines que ses avions sont susceptibles d’emporter, en cas de décision de frappe atomique. Un “partage” considéré comme une assurance-vie, mais qui pourrait être mis à mal si Trump décide de tourner complètement le dos aux Européens. A l’avant-veille des élections, Friedrich Merz a donc proposé de discuter avec Paris et Londres de l’extension du parapluie nucléaire français et britannique à l’Allemagne. Début 2024, Emmanuel Macron avait proposé aux Européens la création d’un nouveau “dialogue stratégique” et des exercices de dissuasion communs. “Nous n’avons jamais répondu”, a déploré le conservateur.Encore faut-il se donner la structure adéquate pour préparer de tels échanges. Pour éviter la cacophonie diplomatique du gouvernement précédent, le futur chancelier prévoit donc la création d’un conseil de sécurité. Cela permettrait de concentrer les décisions de politique étrangère à la chancellerie, en réduisant les organes décisionnels et en simplifiant les procédures fédérales, en limitant la concurrence entre les différents ministères sur l’international.La modernisation de la BundeswehrTous ces efforts accompagneraient un processus de réarmement de l’Allemagne. Friedrich Merz prévoit de débloquer 200 milliards d’euros de fonds supplémentaires pour poursuivre la modernisation de la Bundeswehr, l’armée allemande. Pour y arriver, il va devoir revenir sur le “frein à la dette”, une règle qui limite constitutionnellement les déficits publics. Sa victoire du 23 février ne lui assure cependant pas les deux tiers des voix nécessaires pour modifier la Constitution, en comptant celles de son futur allié social-démocrate (SPD). Et pris ensemble, les deux partis populistes de droite (AfD) et de gauche (Die Linke), opposés au réarmement, détiennent une minorité de blocage.La coalition qu’il compte former avec le SPD, sonné par la pire défaite son histoire (16,4 %), ne s’annonce pas non plus de tout repos. Friedrich Merz devra compter avec des réticences traditionnelles d’une partie des sociaux-démocrates, encore marqués par l’Ostpolitik de l’ancien chancelier Willy Brandt, qui prônait la “détente” avec Moscou pendant la guerre froide. Les deux “réalistes” du SPD, son actuel président Lars Klingbeil et le populaire ministre de la Défense Boris Pistorius tentent de s’imposer à la base encore très pacifiste et antimilitariste, qui réclamera un droit de vote sur le “contrat de coalition” avec la CDU. “Mais les Allemands ont compris dans quelle nouvelle réalité ils se trouvent”, se rassure Stefan Meister. Avant d’ajouter : “S’il fait preuve de fermeté, une grande majorité sera prête à suivre Merz.”



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Author : Christophe Bourdoiseau

Publish date : 2025-02-27 07:00:00

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