Et si l’Ukraine était privée de Starlink ? Depuis le début de l’invasion russe, le service d’accès à Internet est utilisé par le gouvernement et l’armée ukrainienne, qui en ont fait un pilier de leur stratégie. Selon les révélations de Reuters, Washington s’est largement servi de cette dépendance pour obtenir de l’Ukraine un accord sur un accès privilégié à ses minéraux critiques -il devrait être officiellement signé ce 28 février. Cette dépendance pèse également lourd dans les négociations autour d’un accord de paix.L’Ukraine a beau avoir annoncé être à la recherche “d’alternatives” à Starlink, il lui sera difficile d’en trouver. La filiale de SpaceX, propriété d’Elon Musk, fournit un accès à Internet grâce à une constellation de satellites installés en basse orbite, ce qui permet une connexion fiable, sans latence, et accessible partout grâce à des antennes mobiles. Une coupure du service serait un scénario catastrophe pour l’armée ukrainienne.Starlink, un outil essentielAu sol, “les infrastructures télécoms font l’objet d’attaques russes depuis le début du conflit, et beaucoup ont été détruites”, souligne ainsi Philippe Steininger, conseiller militaire du président du CNES, le Centre national d’études spatiales. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a commencé par le franchissement de la frontière du pays par l’armée russe, mais aussi de manière invisible, avec la cyberattaque attribuée à la Russie sur le satellite Viasat-2. Cet assaut avait rendu inutilisable des milliers de modems à travers l’Ukraine et coupé l’accès à Internet pendant les premières heures de l’invasion.Dans les six premiers mois de la guerre, la Russie s’est également employée à détruire les réseaux de télécommunication ukrainiens, démolissant complètement ou s’appropriant les infrastructures dans 10 des 24 régions ukrainiennes, selon un rapport de l’Onu de 2023. L’Ukraine ne dispose par ailleurs pas de satellites souverains, “ce qui fragilise encore l’aptitude des forces armées à être connectées”, reprend le conseiller militaire. Starlink a fourni très tôt une aide providentielle au pays.La constellation s’est affirmée comme “un outil essentiel, utilisé partout, que ce soit pour les communications ou sur le champ de bataille”, explique Maxime Puteaux, conseiller pour les questions spatiales chez Nova Space. Ces satellites basse orbite permettent en effet d’avoir des communications longue distance avec très peu de latence, ce qui est essentiel pour piloter les drones. Un facteur clé de la riposte ukrainienne. “Cette guerre fait appel à des moyens civils, avec des drones, des téléphones portables classiques… Starlink a rapidement pu connecter tous ces appareils”, reprend Philippe Steininger.La constellation d’Elon Musk présente d’autres avantages. “C’est une solution plus difficile à neutraliser car il y a de nombreux satellites”, souligne Maxime Puteaux. Contrairement à Viasat-2, dont le piratage a mis à genoux plusieurs milliers de modems, Starlink est composé de milliers de satellites différents. En hacker un seul n’aurait pas d’effet sur la capacité du réseau entier à fonctionner.L’importance de cette technologie se ressent au-delà du champ de bataille. “Quand l’armée ukrainienne reprend une localité, ils installent Starlink pour la population locale. Cela devient une infrastructure très importante dans une zone sinistrée”, explique Maxime Puteaux.Mais aujourd’hui, la situation de l’Ukraine par rapport à Starlink illustre sa dépendance technologique aux États-Unis. Ce manque de souveraineté est “extrêmement dangereux pour l’Ukraine, observe Philippe Steininger. Mais en 2022, ils n’avaient pas le choix. Ils n’avaient plus de moyens de communication, et pas de satellites souverains. Starlink étaient les seuls à proposer ce qu’ils cherchaient. Aujourd’hui, ils sont dans une impasse”.Peu d’alternatives efficacesDifficile de trouver une alternative à Starlink viable. Il n’existe que de très rares concurrents : Viasat ne dispose que de quelques centaines de satellites, et vise surtout des clients professionnels, HughesNet n’est disponible qu’aux États-Unis, et Kuiper, la constellation d’Amazon, ne devrait être disponible qu’en fin d’année 2025. La constellation Qianfan est exclue de l’équation pour des raisons géopolitiques, la Chine étant un allié de Moscou.Un seul acteur coche certaines cases : la constellation OneWeb d’EutelSat. Mais changer d’opération poserait de nombreux défis. “Cela impliquerait de repartir de zéro et changer, aussi bien les terminaux utilisés par les troupes au sol que les technologies”, souligne Philippe Steininger. Un challenge logistique qui pourrait faire perdre beaucoup de temps aux troupes ukrainiennes. Surtout, les satellites de OneWeb orbitent beaucoup plus haut que ceux de Starlink, à 1 200 km d’altitude contre 550 km, ce qui augmente le temps de latence, rendant le pilotage des drones beaucoup plus complexe.En termes de mobilité aussi, Starlink est imbattable. “Les terminaux utilisés pour recevoir le signal sont extrêmement petits et légers, plus ou moins la taille d’une boîte à pizza, illustre Maxime Puteaux. Ils peuvent être transportés dans des sacs à dos par les troupes au sol, ou embarqués par des drones marins ou volants”. Légers, facilement disponibles et peu chers, ces terminaux sont devenus un équipement indispensable des soldats ukrainiens.Manque de volume pour OneWebLes terminaux de OneWeb, pensés non pas pour des particuliers mais pour des clients professionnels, sont plus puissants, mais beaucoup plus chers et plus lourds. Le plus léger fait une dizaine de kilos, contre 3 kilos pour le plus petit terminal mis en vente par Starlink. Ils n’existent du reste pas dans les volumes dont l’Ukraine a besoin. “Starlink en produit des milliers tous les mois, tandis qu’Oneweb fait appel à des revendeurs pour ses terminaux et ne maîtrise pas vraiment sa chaîne de production”, précise Maxime Puteaux.L’actionnariat de OneWeb “pose également question, pointe un expert du secteur souhaitant rester anonyme. Il y a des acteurs français, mais aussi anglais, japonais, et indiens”. Or, l’Inde s’est abstenue lors du vote de l’ONU pour condamner l’agression russe en Ukraine, et entretient toujours de très bonnes relations diplomatiques et commerciales avec Moscou. “Il serait délicat pour une telle entreprise de se positionner dans la guerre en Ukraine et de prendre part à un conflit”, précise le spécialiste.Reste une autre option, utilisable en dernier recours : les satellites géostationnaires de pays alliés. Ces appareils, en orbite à 36 000 kilomètres de la Terre, présentent tout de même un défaut de taille par rapport aux satellites en basse orbite : un temps de latence beaucoup plus important. Embêtant pour des communications classiques, mais impossible pour le pilotage de drones. Sans Starlink et sans alternative viable, l’Ukraine ferait face à d’immenses difficultés sur le terrain.
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Author : Aurore Gayte
Publish date : 2025-02-26 15:25:00
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