“Tu sais comment ouvrir Zoom ?” Ofer Bronchtein a une maîtrise perfectible de l’informatique et le tutoiement rapide. C’est ainsi, à l’ancienne, que le chargé de mission d’Emmanuel Macron pour le rapprochement israélo-palestinien tente d’œuvrer à la reconstruction de Gaza. Ce mercredi 12 février après-midi, depuis son appartement parisien du XIe arrondissement, il enchaîne, barbe hirsute et épaisse chevelure blanche à l’écran, une visio en hébreu sur la chaîne parlementaire israélienne, outrée qu’il ait pu, dans un entretien de la veille, révéler que le chef d’Etat français échange avec l’Iran au sujet des otages du Hamas ; puis une vidéo en anglais avec des associations palestiniennes désireuses de parler à l’envoyé de l’Elysée. “Combien ? Je veux proposer au président Macron des projets concrets”, presse-t-il ses interlocuteurs qui lui décrivent leurs besoins en caravanes, en tentes et en panneaux solaires à Gaza. Va pour 10 000 panneaux et 60 000 caravanes.Aux Etats-Unis, on qualifierait Ofer Bronchtein, 67 ans, de “maverick”, leur mot pour désigner ces fortes têtes agissant en dehors des structures. Militant pacifiste de toujours, il connaît depuis quarante ans Benyamin Netanyahou, Mahmoud Abbas et les autres. Détenteur d’un triple passeport franco-israélo-palestinien, ce dernier obtenu en remerciement de ses efforts pour la paix, il conseilla Yitzhak Rabin au moment des accords d’Oslo. Fort du soutien d’Emmanuel Macron, qui apprécie ce franc-tireur et l’a nommé en 2020, il agit en marge du Quai d’Orsay, “juste avec mes deux portables”, rit-il, – et un gros budget billets d’avion, puisqu’il tient à régler lui-même ses frais. Il discute quotidiennement avec des ministres israéliens, il en a fait rencontrer plusieurs au chef d’Etat français ; à Paris, il a été informé de négociations en présence du Qatar et de diplomates américains.Est-il si soutenu par l’Elysée ? Le président ne l’a en tout cas jamais désavoué. Ils échangent régulièrement des messages la nuit, les derniers après les déclarations fracassantes de Donald Trump sur Gaza, qu’il a présentée comme une future “Côte d’Azur”, délestée de ses habitants palestiniens. “Je suis ravi que Trump secoue le cocotier. J’ai dit au président que maintenant il faut arrêter de réagir, il faut agir. Il m’a dit qu’il était d’accord”, nous assure-t-il. Il nous affirme avoir obtenu des garanties pour la tenue d’une conférence de rapprochement des positions diplomatiques, en juin 2025 à Paris.Plan à 50 milliardsC’est que, dans l’ombre, la France elle aussi avance des idées. Depuis mai 2024, le rapport de mission d’Ofer Bronchtein sur la paix à Gaza repose sur le bureau du président de la République. Pour L’Express, qui a pu consulter le document de 67 pages, il a accepté de détailler ce contre-plan. Dans son esprit, la France doit rapidement reconnaître l’Etat palestinien, et obtenir, en échange, la reconnaissance d’Israël par un nouveau pays arabe ou musulman. A Gaza, il imagine l’intervention d’une “force multinationale composée de pays arabes tels que l’Egypte, la Jordanie, le Maroc et l’Arabie saoudite”, sous “la supervision de l’ONU ou de l’Otan”, une proposition formulée après avoir auditionné des officiels de ces pays, dont André Azoulay, le conseiller du roi du Maroc.Il préconise surtout un “plan d’investissement massif”, dans les infrastructures : “un port maritime, la reconstruction de l’aéroport, un chemin de fer de 40 kilomètres”, qui pourrait être construit par le français Alstom. Un tel projet coûterait “environ 50 milliards de dollars”, chiffre Ofer Bronchtein dans son rapport. Une somme qu’il imagine trouver notamment en prélevant “un montant de 0,25 % sur les échanges pétroliers”, reversé à un fonds international d’investissement pour la paix. Utopiste, le chargé de mission ? Sûrement. Mais également bon VRP. En expert de la psychologie sociale, il sait que certaines négociations internationales marchent selon la rhétorique de la “porte au nez” : pour obtenir un peu, il faut demander beaucoup. La manœuvre n’est pas réservée à Donald Trump. EntretienL’Express : Vous vous dites “ravi” que Donald Trump “secoue le cocotier” sur Gaza. On ne peut pas imaginer que vous souteniez un plan qui prévoit le déplacement de force de Palestiniens.Ofer Bronchtein : Bien évidemment que non. On ne peut pas faire quelque chose contre la volonté des gens. On parle de plus de 2 millions de personnes. L’Egypte vit une crise économique terrible, elle ne peut pas s’en occuper seule. Donald Trump veut que les Palestiniens quittent Gaza pendant la reconstruction ? Qu’il leur donne à tous un passeport américain. Je pense qu’ils seront 100 % à accepter. Ou alors qu’il donne aux Egyptiens et aux Jordaniens des moyens. Il est vrai qu’il va falloir qu’une partie de la population de Gaza soit déplacée à l’intérieur de Gaza ou aux frontières de Gaza le temps qu’on reconstruise le territoire. Ils vivent dans des ruines. D’où l’idée de caravanes, pour une partie de la population.Par où commencer pour reconstruire Gaza ?Gaza, ce n’est pas un projet immobilier, ce n’est pas Las Vegas, où il y avait un désert et où on a construit des casinos. Que Gaza devienne un endroit où on se plaît à vivre, oui, tout le monde est pour. Mais pourquoi Trump dit ça ? Parce qu’il veut que les promoteurs immobiliers soient américains, qu’ils lancent des chaînes et qu’ils s’enrichissent. On n’en est pas là. Le Gaza de demain doit être ouvert sur le monde, écologique. C’est un Gaza qui a un aéroport, il y en avait un an avant, je l’ai emprunté. C’est un Gaza qui a un port, c’est un Gaza qui a des routes, c’est un Gaza qui a un train, c’est un Gaza qui a des infrastructures.Il faut investir de manière massive dans des usines de dessalinisation, afin que les Palestiniens exploitent leur propre eau, comme l’ont fait les Israéliens. Dans la mer de Gaza, il y a des gisements de pétrole et de gaz que, jusqu’à aujourd’hui, on n’a pas donnés aux Palestiniens. Il faut qu’on leur donne les moyens de profiter désormais de leur pétrole, de leur gaz. Certains des ministres israéliens avec lesquels je discute sont d’accord. Et puis, il faut créer une zone industrielle entre Gaza et Israël, où les Palestiniens pourraient travailler. Les enfants qui vivent dans la vermine de Gaza, ce sont pour certains de futurs terroristes. C’est en supprimant l’extrême pauvreté qu’on affaiblira le Hamas.Vous défendez également un projet étonnant de data centers dans les tunnels de Gaza.Oui, c’est une idée d’un général israélien, un ex-chef de l’unité 8200, les spécialistes cyber de l’armée israélienne. Il préconise d’utiliser les tunnels de la bande de Gaza pour y construire des data centers, des centres informatiques où on regrouperait les serveurs pour offrir Internet à une partie du Proche et du Moyen-Orient. Les conditions de température y sont idéales. On ferait venir les Gafa, et nos entreprises européennes, pour y investir.Qui serait chargé de reconstruire ? Comment procéder ?Dans mon rapport, je préconise la sécurisation de Gaza par une force composée d’armées de plusieurs pays arabes, dont l’Autorité palestinienne évidemment. Le Maroc, la Jordanie sont d’accord. Les Etats-Unis pourront être présents sous une certaine forme, on a besoin de l’aide de tous, mais d’égal à égal, pas en considérant les autres comme leurs larbins. Une des propositions que je fais dans mon plan au niveau des financements, c’est de dire que tous les pays producteurs de pétrole et de gaz vont abonder, via une taxe de 0,25 % sur les flux financiers de ces matières premières, un fonds qui servira à la reconstruction de la Palestine. Ces pays sont tous solidaires avec la Palestine. Ce serait une façon géniale de le montrer.Plus globalement, reconstruire Gaza en cinq ans, cela coûte 50 à 80 milliards de dollars. Ça se trouve ! La guerre a déjà coûté le double… On pourrait mettre certaines entreprises françaises à contribution. Il y a dix ans, j’avais obtenu l’accord écrit du ministre palestinien des Transports, pour qu’Alstom construise un chemin de fer dans les territoires palestiniens. J’ai encore l’accord de tous, y compris d’Israël. Ce serait un merveilleux symbole.Comment s’assurer que les Palestiniens soient associés aux décisions qui les concernent et non victimes d’une prédation occidentale ?C’est une question cardinale, et difficile. Il ne faut rien imposer aux Palestiniens, il faut le faire avec eux. Nous, on est là seulement pour aider, pour donner de la technologie. Il faut avant tout s’appuyer sur l’Autorité palestinienne, lui redonner de la force. Il existe déjà une coopération sécuritaire quotidienne entre Israël et cette Autorité ; Mahmoud Abbas a toujours dit que ce qui se passe à Gaza, c’est la faute du Hamas. Quand le Hamas prend le pouvoir à Gaza, en 2007, il tue un millier de Palestiniens d’une façon terrible. Concernant les investissements, il faut un mécanisme de contrôle de l’argent, avec des règles claires.Je propose dans mon rapport de soutenir l’organisation rapide d’élections en Palestine, de manière à légitimer les décisions qui seront prises. Vous allez me dire, des élections, cela signifie indirectement qu’on légitimera la branche politique du Hamas, qui y participera. Ça ne va pas plaire, mais je ne suis pas dupe : il y aura une présence du Hamas dans les institutions palestiniennes. Un Hamas qui mettrait de côté la lutte armée. Ça ne me plaît pas non plus, mais c’est ainsi. Il va falloir composer avec eux, le temps de les affaiblir. Il y a un proverbe hébreu et arabe qui dit : “Ce qui est important, c’est de manger les raisins, pas de frapper le gardien.” Il faut sortir de l’esprit de vengeance. La destruction de Gaza a-t-elle permis de récupérer les otages, de détruire le Hamas ? Hélas non. Il faut procéder autrement. Regardez le Qatar, on a dit que ce n’était pas bien de parler avec le Hamas. N’empêche que ça a été utile.Vous souhaitez aussi la suppression de l’UNRWA, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient…Oui. On me dit, mais comment tu oses ? L’UNRWA, ce sont 5 milliards de dollars par an, 40 000 employés qui donnent de l’humanité aux Palestiniens… C’est exactement ça le problème de l’UNRWA, sans même évoquer en plus certains incidents graves qui ont entaché sa crédibilité. On considère les Palestiniens depuis soixante-quinze ans comme des mendiants, des assistés. Il y a des camps de réfugiés, notamment dans les territoires palestiniens. L’Autorité palestinienne doit les gérer. Qu’on leur donne les moyens. Il faut leur permettre de créer un Etat.Pourquoi faire de la reconnaissance de l’Etat palestinien une priorité côté français ?C’est cette position qui donnera à la France l’autorité pour être à la manœuvre. En parallèle, il faut obtenir la reconnaissance d’Israël par les pays arabes, au moins un nouveau pays musulman. Je m’y attelle, j’ai plusieurs pistes. C’est l’occasion pour Emmanuel Macron de marquer l’Histoire, même si je regrette qu’il soit contesté. Que veut-il que l’on retienne de ses mandats ? S’il reconnaît la Palestine, il serait un grand président.Avez-vous réellement le soutien d’Emmanuel Macron concernant les propositions que vous formulez ? Vous avez rendu votre rapport en mai 2024, et rien ne semble avoir avancé…A chaque fois, le président de la République me dit : “Continue, ça me sert.” Il me soutient mais je n’ai pas d’assurances. Je travaille dans mon coin et je vois comment je peux être utile. Je dis : la paix est une affaire trop sérieuse pour être laissée seulement entre les mains des diplomates. Attention, certains sont très bien, j’en connais qui ont du courage, de la pertinence. D’autres sont planqués, peureux. Mes enfants ne vont pas dans les mêmes écoles et on ne se rencontre pas le soir dans les mêmes cocktails. Je ne suis pas un énarque, je suis un immigré, fils d’immigré, autodidacte, je fais des fautes d’orthographe et je ne sais pas écrire des rapports. Et je ne dépends de personne, tout ce que j’ai, c’est ma liberté. Ce sont des choses qui ne plaisent pas, je pense.On vous rétorquera que certaines de vos propositions paraissent bien idéalistes…Et alors ? Le président Macron m’a justement pris, je pense, car je suis “out of the box”, quelqu’un qui vient avec des idées différentes qui peuvent paraître farfelues, irréalisables. Je crois que c’est ce qu’il recherche en moi. Et je pense que c’est ce que je lui donne. Au début, le président Macron et son équipe ont vu comment j’ai été reçu par les leaders israéliens, par l’Autorité palestinienne. Ils se disent, ce petit Bronchtein qui vit dans ce petit appartement du XIe arrondissement, comment il connaît celui-là, comment il a le portable de celui-là, c’est quoi ce mec ? Mes quarante ans de relations avec eux sont basés sur le respect, sur l’honnêteté, sur l’humilité, et oui, l’idéalisme.
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Author : Etienne Girard
Publish date : 2025-02-20 05:00:00
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