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Moscou, 9 novembre 2016. En pleine séance parlementaire, Viatcheslav Nikonov, député à la Douma, prend soudain la parole et annonce, sourire aux lèvres, la victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine. Tonnerre d’applaudissements. Dans la capitale russe, on le sait depuis longtemps : Donald Trump est le meilleur allié de Vladimir Poutine. Visé par des sanctions occidentales depuis son annexion de la Crimée deux ans plus tôt, le chef du Kremlin, qui a multiplié les ingérences dans l’élection américaine pour faire élire l’ex-roi de l’immobilier new-yorkais, savoure le moment. Qui pourrait mieux servir ses intérêts que ce trublion égomaniaque qui veut dévitaliser l’Otan, affaiblir l’Union européenne… et apaiser les tensions avec Moscou ?Ce que Poutine ne savait pas à l’époque, c’est qu’il lui faudrait attendre huit ans, et la réélection d’un Trump débarrassé de tout contre-pouvoir, pour que les étoiles s’alignent complètement en sa faveur. Signe des temps : après l’annonce par le 47e président des Etats-Unis de discussions “immédiates” avec son homologue Vladimir Poutine pour mettre fin à la guerre en Ukraine, le 12 février, la bourse moscovite bondissait de 5,8 %. Tout le monde l’a bien compris – avec bonheur en Russie, et effroi en Ukraine et dans nombre de capitales européennes : l’agenda de Trump 2 est compatible avec celui de Poutine.A commencer par la méthode : traiter directement du sort de l’Ukraine et de la sécurité future de l’Europe en tête-à-tête, sans les principaux intéressés. “Trump veut faire un deal dans le dos des Ukrainiens. Leur pays va subir le même sort que la Tchécoslovaquie à la conférence de Munich en 1938 [NDLR : qui acte la cession des Sudètes à l’Allemagne nazie]”, s’inquiète Jacob Heilbrunn, directeur de la revue de géopolitique The National Interest, à Washington. Les Ukrainiens auront-ils leur mot à dire ? Les Européens, eux, ne seront en tout cas pas admis à la table des négociations, confirment les émissaires de Trump à Munich, lors d’une conférence sur la sécurité glaçante, qui restera dans les mémoires comme un moment de bascule. Le Vieux Continent a pris conscience que l’Amérique n’était plus son allié inconditionnel. Pis, qu’elle se désolidarisait de son avenir.”Trump est indifférent au sort de l’Ukraine et de l’Europe”Il aura fallu cette semaine de cauchemar, durant laquelle les Vingt-Sept ont appris, sidérés, par la bouche du vice-président J.D. Vance, que les Américains les considéraient désormais – davantage que la Russie et la Chine – comme une menace pour la démocratie, pour qu’ils ressentent enfin ce danger existentiel : être balayés de leur propre histoire. “Nous ne soutiendrons jamais une paix imposée”, réagit le chancelier allemand, Olaf Scholz. Mais que valent les déclarations de principes et les indignations face à un Trump omnipotent, qui rêve de mettre fin à la guerre, quelles qu’en soient les conditions ? “Trump est indifférent au sort de l’Ukraine et de l’Europe, prévient Dimitri Minic, spécialiste de la Russie à l’Institut français des relations internationales. Il maquillera ses concessions en ‘meilleur deal de toute l’histoire de l’humanité…'” Comme il l’a fait en 2020, lorsqu’il a signé avec la Chine un accord commercial qui n’a jamais été respecté par Pékin.Théoricien de la “pression maximale”, on ne peut pas dire que l’auteur de The Art of the Deal, expert autoproclamé en négociations, ait mis jusqu’ici Vladimir Poutine sur le gril… Lors de leur appel téléphonique, le 12 février, Trump a cédé, avant même le début des tractations, à deux exigences russes : l’acceptation de facto des territoires annexés par la Russie et la promesse que l’Ukraine n’entrera pas dans l’Otan.La tentation américaine du changement de régime à KievVolodymyr Zelensky, qui a tant misé sur l’aide américaine depuis le début du conflit, se retrouve pris dans un étau. “Kiev risque de devoir choisir entre la peste et le choléra : refuser les conditions négociées par Trump et Poutine et continuer une guerre qu’elle a peu de chances de remporter sans un soutien ferme de l’Occident ; ou accepter ces conditions et, tôt ou tard, devoir renoncer à son indépendance”, résume Dimitri Minic. Plus grave, “l’exclusion partielle ou totale de Zelensky des négociations, ainsi que l’allusion par Donald Trump aux mauvais sondages de popularité du président ukrainien et à la nécessité de nouvelles élections, sont un pas vers l’acceptation d’une autre exigence fondamentale de Moscou : le changement de régime à Kiev”, poursuit cet expert.Si le plan de Trump paraît encore bien flou, celui de Poutine est limpide : vassaliser l’Ukraine, lui interdire à jamais l’entrée dans l’Otan, pour la rendre inoffensive ; et obtenir un recul de l’Alliance atlantique à ses frontières. Les conséquences sont potentiellement vertigineuses. L’Europe pourrait se retrouver seule, abandonnée par son “allié” américain, face à un Poutine qui n’a pas renoncé à son dessein ultime : reconstituer l’empire de Pierre le Grand.Pauvres Européens, qui, après des mois de déni et d’optimisme candide (“Trump 2 ne sera pas pire que Trump 1” ; “les Etats-Unis seront toujours à nos côtés”…) se retrouvent au pied du mur. Aveuglement coupable, devant un dirigeant qui n’a pourtant fait que dérouler son programme de campagne. L’Américain n’a jamais caché son mépris pour l’Europe, ni son admiration pour Poutine. Dès 2007, Trump fait l’éloge de l’homme qui a “reconstruit la Russie”. Cette même année, Poutine dresse pourtant un réquisitoire féroce contre l’unilatéralisme américain à la conférence de Munich. En 2013, malgré les preuves accablantes, le républicain nie que Poutine ait assassiné des opposants : “Vous dites qu’il a tué des gens. Je n’ai pas vu cela.” Et si c’est vrai, ajoute-t-il, cela prouve qu’au moins, “c’est un leader”. A la veille de l’invasion de l’Ukraine, en 2022, il salue la stratégie du président russe (“C’est du génie !”). Un commentaire hallucinant, au moment même où celui-ci bafoue toutes les règles internationales instaurées à la fin de la Seconde Guerre mondiale.Un président américain fasciné par les leaders autoritairesLe dédain de l’ex-homme d’affaires à l’égard de la vieille Europe provoquera-t-il un sursaut salutaire ? L’Elysée a réuni en urgence, le 17 février, à Paris, des dirigeants d’Etats définis comme “capables et volontaires” (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Pologne, Espagne, Pays-Bas et Danemark) ainsi que de l’Otan et de l’UE, afin de contourner l’inertie de l’Union européenne. L’objectif : mettre un pied dans la porte des discussions, devant débuter le lendemain (ce mardi) en Arabie saoudite, avec la rencontre des chefs de la diplomatie russe et américaine, Sergueï Lavrov et Marco Rubio, censée préparer la poignée de main historique de leurs patrons.Comment les dirigeants européens ont-ils pu à ce point se bercer d’illusions sur leur “importance” vis-à-vis de Trump ? “Trump préfère traiter avec Xi Jinping ou Vladimir Poutine qu’avec des alliés démocratiques”, confie à L’Express son ancien conseiller à la sécurité nationale, John Bolton. Plus que tout, le président américain est fasciné par les leaders autoritaires, dont il envie la liberté d’action sans entrave. “Lorsque vous voyez Trump avec Poutine, comme je l’ai fait à plusieurs reprises, il est comme le garçon de 12 ans qui va au collège et rencontre le capitaine de l’équipe de football. Mon héros !”, raconte, sur X, l’ancien Premier ministre australien Malcolm Turnbull (2015-2018).Ce besoin de reconnaissance rend l’homme le plus puissant du monde vulnérable. “Trump pense que Vladimir Poutine et lui sont amis, poursuit John Bolton. Ce n’est pas l’avis de Poutine, je vous le garantis. Il pense que Trump est une cible facile et il va essayer de le manipuler – il a d’ailleurs déjà commencé. En revanche, Trump n’aime pas Macron, et il entretient des relations personnelles avec très peu de dirigeants européens : c’est un problème.”Même s’il avait noué des liens approfondis avec certains, les écouterait-il pour autant ? Au fond, Trump se moque pas mal de l’Ukraine et de l’Europe. Il cherche avant tout à s’afficher comme le plus grand faiseur de paix de l’Histoire. “Pour ses cent jours de mandat, il veut donner au peuple américain deux victoires en politique étrangère : la fin de la guerre en Ukraine et à Gaza. Ce que cela veut dire en matière de concession territoriale ou de perte de statut de l’Ukraine, c’est du détail pour lui”, pointe Tara Varma, chercheuse invitée à la Brookings Institution, à Washington. Un diagnostic d’autant plus inquiétant que Trump et Poutine semblent partager la même vision du monde. “Trump divise la planète en sphères d’influence. Il est d’accord avec l’idée que l’élargissement de l’Otan, et l’éventualité que l’Ukraine puisse y entrer, constitue une menace pour la Russie. Les Européens ont sous-estimé ce point”, complète cette experte.Le temps ne joue pas en faveur de l’EuropeDonald Trump ne s’en cache pas : il veut que l’Europe prenne en charge sa propre sécurité ainsi que l’aide à l’Ukraine. Sauf que le Vieux Continent, qui ne s’est pas doté d’une défense autonome, n’est pas en mesure d’envoyer rapidement en Ukraine les 200 000 hommes qui, selon Volodymyr Zelensky, permettraient de faire respecter le cessez-le-feu et de protéger son pays.Et quand bien même les Français et les Britanniques déploieraient des soldats sur place, comme ils l’ont évoqué, ils ne seraient pas protégés par l’article 5 de l’accord de l’Otan, qui stipule que si l’un de ses membres est attaqué, les autres doivent le défendre, a précisé le chef du Pentagone, Pete Hegseth. Que se passerait-il si, par exemple, des “sécessionnistes ukrainiens” à la solde de Moscou s’infiltraient derrière la ligne de front pour semer le chaos en “Ukraine libre”, à l’image de ce qui s’est passé dans le Donbass en 2014 ? Et que Poutine utilise ce prétexte pour attaquer les forces européennes ? Les Américains resteraient-ils chez eux à compter les points ? A priori oui. Nul doute que Vladimir Poutine a déjà noté cette faille dans le dispositif. Et qu’il s’interroge aussi sur la façon dont son “ami” Trump réagirait s’il envahissait un pays balte, pourtant membre de l’Otan… Le républicain n’a-t-il pas affirmé qu’il “encouragerait” Moscou à attaquer les Etats qui ne dépensent pas suffisamment pour leur défense ?Lâché par son plus grand allié, le Vieux Continent vacille. Et le temps ne joue pas en sa faveur. A l’inverse, le chef du Kremlin, dont l’armée ne cesse de grignoter du terrain en Ukraine, n’est pas pressé. Car en réalité, Poutine n’a pas vraiment intérêt à mettre fin au conflit. La paix lui poserait toutes sortes de difficultés, comme la réintégration dans la société de soldats traumatisés ou le retour à la normale d’une économie artificiellement dopée par la guerre, note la chercheuse Anna Colin Lebedev. “Le scénario le plus favorable au Kremlin, celui qui lui permettrait de garder le contrôle interne, serait celui d’une baisse de l’intensité de la guerre sans démobilisation, sans abandon de la rhétorique guerrière, et sans ralentissement de l’économie de guerre et du réarmement”, écrit cette spécialiste de la Russie. Selon elle, “un cessez-le-feu instable et régulièrement violé serait peut-être le meilleur cadeau que l’on pourrait faire à Moscou”.De son côté, Trump cherche à tout prix à signer la paix. Mais il ne peut pas non plus accepter un accord trop fragile. “Si la Russie parvient à s’emparer de l’Ukraine, cela créera des problèmes de sécurité dans toute l’Europe de l’Est. Et l’alliance sino-russe en sortira aussi renforcée. Dans le pire des cas, l’effondrement de l’Ukraine, avec des images terribles en provenance de Kiev qui ressembleraient à celles de Kaboul en 2021, ternirait considérablement la réputation des Etats-Unis”, pointe Peter Rough, chercheur au Hudson Institute, un think tank conservateur, à Washington. Et celle de son président, dont l’ego surdimensionné supporterait mal cet affront. C’est l’un des rares leviers sur lesquels peuvent jouer les Européens.Quant à Volodymyr Zelensky, une capitulation totale équivaudrait pour lui à un suicide politique, après tous les sacrifices consentis par son peuple. “Cela voudrait dire que le combat que nous menons depuis trois ans aura été vain, soupire Denys Diatchenko, un soldat ukrainien capturé durant la bataille de Marioupol, en avril 2022, libéré il y a un an lors d’un échange de prisonniers. La déception et la colère des soldats seraient telles qu’il ne faudrait pas exclure un coup d’Etat militaire à Kiev.”Mais est-ce un argument à opposer à Donald Trump ? Des troubles en Ukraine pourraient juste le conforter dans l’idée d’organiser de nouvelles élections… Vladimir Poutine n’attend que ça. Plus la situation est chaotique à Kiev, plus cela sert ses noirs desseins – affaiblir “l’Ukraine libre” pour qu’elle tombe dans son escarcelle comme un fruit mûr. Le piège est en train de se refermer sur les Européens et sur les Ukrainiens, dont la réaction doit maintenant être à la hauteur des enjeux. Sous peine de perdre la main sur leur destin.



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Author : Charles Haquet, Charlotte Lalanne, Cyrille Pluyette

Publish date : 2025-02-18 16:31:00

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