John Bolton a tenu dix-sept mois aux côtés de Donald Trump à la Maison-Blanche avant d’être éjecté, comme tant d’autres, par son patron. 27e conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, il dit aujourd’hui pis que pendre du président américain. Un danger pour les Etats-Unis et pour le monde, affirme-t-il. Et une proie facile pour Vladimir Poutine. “Il n’est pas difficile de mettre fin à une guerre rapidement quand on capitule. Voilà ce que fait Donald Trump : il capitule, au nom de l’Ukraine”, estime John Bolton. Entretien.L’Express : Il est désormais clair que l’administration Trump n’a pas l’intention d’inviter l’Europe à la table des négociations sur la guerre en Ukraine. Êtes-vous surpris ?John Bolton : Non, car Donald Trump veut négocier directement avec Poutine, qui, lui aussi, rêve de ce tête-à-tête. C’est la façon dont Trump fonctionne. Il préfère traiter avec Xi Jinping ou Vladimir Poutine qu’avec des amis ou des alliés.Les dirigeants européens s’indignent, mais Trump s’en contrefiche ?S’indigner ne changera rien, l’Europe et l’Ukraine doivent passer à l’acte. S’il existait une alternative crédible pour l’Ukraine en termes d’assistance militaire et économique, qui permettrait de résister à l’abandon des Etats-Unis, Volodymyr Zelensky n’aurait pas à accepter quoi que ce soit, car les Russes ne pourraient pas l’emporter sur le champ de bataille.Si vous ne tenez pas tête à Trump, il continuera à vous écraser.C’est bien ce qui a pêché, dans la gestion de Joe Biden et de l’Otan de l’assistance à l’Ukraine au cours des trois dernières années. Ce soutien a été important mais il n’a jamais été fourni de manière très stratégique, ce qui explique – en partie – l’impasse sur le champ de bataille. Si l’Ukraine recevait une aide adéquate de l’Europe, elle n’aurait même pas à négocier avec la Russie. Alors, tout pourrait basculer.Beaucoup de dirigeants européens se demandent comment s’y prendre avec Donald Trump. Vous qui avez travaillé avec lui, quelle est votre réponse ?Si vous ne lui tenez pas tête, il continuera à vous écraser. Trump dit à tout bout de champ que s’il a des relations personnelles avec un dirigeant étranger, alors les Etats-Unis ont de bonnes relations avec ce gouvernement. C’est excessivement simpliste, bien sûr. Les relations personnelles ont un rôle à jouer dans les affaires internationales, mais ce qui compte vraiment, ce sont les intérêts des Etats.Trump pense donc que Vladimir Poutine et lui sont amis. Ce n’est pas réciproque, je vous le garantis. Poutine pense juste que Trump est une cible facile. Et grâce à sa formation au KGB, il va essayer de le manipuler, ce qu’il a déjà commencé à faire. En revanche, Trump n’aime pas Emmanuel Macron, je ne pense pas qu’il connaisse Olaf Scholz, mais il ne s’est pas entendu avec Angela Merkel, c’est certain. Il ne s’est pas entendu non plus avec Theresa May. Et Keir Starmer ne le connaît pas bien. Il y a donc très peu d’Européens en position de pouvoir aujourd’hui avec lesquels Trump entretient des relations personnelles. C’est un problème.Trump semble faire toutes les concessions à la Russie avant même d’entrer dans les négociations….C’est terrible, mais prévisible. Donald Trump et son vice-président J.D. Vance ont annoncé leur programme pendant la campagne. Vance a fait un discours où il a dit, en substance, qu’une issue acceptable serait de déclarer un cessez-le-feu le long des lignes de front existantes sur le champ de bataille, de créer une zone démilitarisée, et d’écarter le projet d’adhésion de l’Ukraine à l’Otan. Cet accord aurait pu être écrit à Moscou. Et c’est, à peu de chose près, ce que Washington a proposé la semaine dernière. Dans ce scénario, l’Ukraine est perdante dans les négociations avant même que celles-ci n’aient commencé. C’est une capitulation.Trump se moque des conditions dans lesquelles la guerre se termine pour l’Ukraine. Face à Poutine, il capitule au nom de Kiev. Trump avait prévenu, mais beaucoup de gens ne voulaient pas le croire. Je me souviens en particulier de mes amis républicains, qui soutenaient mordicus que Trump voulait décrocher une victoire diplomatique, qu’il ne voudrait pas se coucher face à Poutine car il aurait l’air d’un perdant et qu’il avait horreur de ça…En réalité, ce que veut Trump plus que tout, c’est en finir à tout prix avec cette guerre. Pendant la campagne, il a dit que ni la guerre en Ukraine ni la guerre au Moyen-Orient n’auraient commencé s’il avait été le président. Il les considère comme les guerres de Biden et ne veut pas qu’elles soient un fardeau pour son second mandat. Si sa priorité est d’en finir avec la guerre, cela implique, malheureusement pour l’Ukraine, qu’il se moque des conditions dans lesquelles la guerre se termine.Il n’est pas difficile de mettre fin à une guerre rapidement quand on capitule. Voilà ce que fait Donald Trump : il capitule, au nom de l’Ukraine. Il se laisse toutefois une marge de manœuvre en proposant un deal à Zelensky sur l’exploitation de minerais rares ukrainiens à hauteur de 500 milliards de dollars. C’est est une attitude typique de Trump : tout est une transaction au juste prix.Donc tous les gens qui pensaient que Trump tiendrait tête à Poutine pour ne pas avoir l’air d’un perdant avaient tort ?Tous ces gens-là ne comprennent pas Trump. Il est clair aujourd’hui qu’il a complètement ignoré les alliés européens et l’Ukraine pour entamer les négociations avec Poutine. Or, dans son esprit – pas dans l’esprit d’une personne raisonnable, mais dans l’esprit de Trump, cela fait de lui un homme fort. Précisément parce qu’il ignore royalement tous ces gens.Comment voit-il Poutine ? Vous les avez vus ensemble souvent, n’est-ce pas ?J’ai rencontré Vladimir Poutine pour la première fois en octobre 2001, lorsque je me suis rendu à Moscou avec Donald Rumsfeld juste après le 11 septembre, car nous avions des problèmes avec les Russes. Depuis, je l’ai vu à de multiples reprises. J’observe donc le président russe depuis plus de vingt ans. Je peux dire que c’est l’individu le plus froid et dépourvu de sentiments que j’ai jamais rencontré. Il sait quels sont les intérêts nationaux de la Russie, et c’est ce qu’il poursuit.Il n’a pas hésité à lancer une opération séduction vis-à-vis de Trump. Dans une interview à la télévision d’Etat russe, le 24 janvier, quatre jours après l’investiture de Trump, le président russe a fait écho aux propos de son homologue selon lesquels la guerre en Ukraine aurait pu être évitée s’il avait été à la Maison-Blanche en 2022. Il a poursuivi dans cette voie en libérant, la semaine dernière, l’otage américain Mark Fogel [NDLR : cet enseignant américain a été condamné en juin 2022 par un tribunal de Moscou à quatorze ans de prison pour avoir importé du cannabis, selon lui à usage médical]. Tout cela s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par Poutine pour dire au monde : “Je respecte Trump plus que je n’ai jamais respecté Biden”. Trump s’en délecte, alors que Poutine essaie simplement de le manipuler en utilisant la flatterie et une monnaie d’échange – la libération d’otages.Que nous enseigne le premier mandat de Trump quant aux accords conclus avec Xi Jinping ou Kim Jong-un ?Les gens ont peine à le croire, comme j’avais peine à le croire quand je travaillais pour Trump, mais Trump n’a aucune philosophie, pas de grande stratégie de sécurité nationale, il ne fait pas de politique au sens où nous entendons normalement ce mot. Tout est transactionnel. Et tout est vu au prisme de ce qui profitera à Donald Trump personnellement. Il a par exemple déclaré en 2018 que Kim Jong-un et lui étaient tombés amoureux ! Peut-être que Trump est tombé amoureux, mais pas son homologue. Il en va de même pour Xi Jinping. Trump pense que ces personnes l’aiment et qu’il les aime. Et pourquoi aime-t-il les leaders autoritaires ? Parce qu’ils ne s’encombrent pas de “détails” comme les lois, les tribunaux ou l’opinion publique.Est-il en train de rejoindre la catégorie des leaders autoritaires ?Pour l’heure, une grande partie de ce qu’il a fait relève de l’art de la performance, et beaucoup d’annonces sont bloquées devant les tribunaux. Depuis Franklin Roosevelt, on parle des cent premiers jours d’une administration présidentielle aux Etats-Unis. Trump avance plus vite qu’en cent jours, cela ne fait aucun doute, mais il est difficile de dire dans quelle mesure ses annonces fracassantes vont se concrétiser et si cela se traduira par des changements durables. Je m’attends à de nouvelles offensives sur le front des tarifs douaniers, même si cela met les Etats-Unis en porte-à-faux avec quasiment toutes les économies du monde.Donald Trump est-il un danger pour la sécurité du monde, à vos yeux ?Les observateurs essaient toujours de savoir quelle est la stratégie de Trump, mais encore une fois, il n’en a aucune. Il suit une série d’impulsions. La conséquence ? Un monde beaucoup plus dangereux. La semaine dernière, il a déclaré qu’il voulait ouvrir des négociations avec la Russie et la Chine pour réduire leurs dépenses en armement et commencer la dénucléarisation du monde. Ce qui permettrait aux Etats-Unis, dixit Trump, d’économiser des centaines de milliards de dollars.Trump ne connaît rien à rien. En 2018, il a demandé à son chef de cabinet, John Kelly, si la Finlande faisait toujours partie de la Russie !J’ai vécu à l’époque de l’Union soviétique, puis de la Russie, et croyez-moi, je suis payé pour savoir que les Russes n’adhèrent jamais à leurs accords de contrôle des armements, notamment le traité sur les missiles antibalistiques, le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, les programmes Start et New Start et les divers accords qui l’ont précédé… Penser qu’un accord de maîtrise des armements avec la Chine et la Russie résoudrait tous nos problèmes est donc particulièrement ironique et naïf.Mais il faut bien se rendre compte de l’ignorance de Trump, comme de son vice-président J.D. Vance.Lorsque John Kelly était son chef de cabinet (avant mon arrivée), Trump lui a demandé si la Finlande faisait toujours partie de la Russie ! Un autre exemple, cette fois je travaillais déjà avec lui : nous étions en Angleterre après le sommet de l’Otan à Bruxelles en 2018, quand il a failli se retirer de l’organisation transatlantique. Il rencontrait la Première ministre Theresa May, nous parlions de l’attaque chimique contre les Skripal [NDLR : Sergueï Skripal, un ancien agent double russe victime, avec sa fille, d’un empoisonnement au Novitchok à Salisbury, en mars 2018].Un membre de l’équipe britannique dit que c’est une attaque gravissime, une attaque à l’arme chimique contre une puissance nucléaire. Trump se tourne alors vers Theresa May et lui dit : “Ah, vous avez des armes nucléaires ?” Cette anecdote signifie tout simplement que Trump ne connaît rien à rien. Il n’a pas appris grand-chose au cours de son premier mandat car il pense qu’il n’a pas besoin de savoir quoi que ce soit, et que ses relations personnelles avec les autres dirigeants feront la différence, pas son expertise technique…Quel regard portez-vous sur le projet que Trump est en train de mettre à exécution sur la scène intérieure, notamment le démantèlement de l’appareil d’Etat piloté par Elon Musk et sa “Doge” ?Je suis un républicain conservateur, j’estime que le gouvernement fédéral est obèse aujourd’hui. Il n’empêche que Donald Trump agit de manière très autoritaire. Nous verrons ce que donnent les contestations judiciaires mais aussi la réaction du Congrès. Va-t-il se réveiller, Républicains et Démocrates réunis, pour dire : “Nous n’avons pas donné notre accord pour ça” ? Je pense que Trump causera des dégâts, comme il en a causé lors de son premier mandat, mais la Constitution américaine est beaucoup plus forte que lui.Dans les vingt-quatre heures suivant son investiture, Donald Trump a révoqué la protection des services secrets dont vous bénéficiez après des menaces de l’Iran en 2021. Quelle est votre réaction ?Cela montre à quel point il est mesquin et vindicatif. Il a aussi privé de protection Mike Pompeo, son ancien secrétaire d’Etat, Mark Esper, son ancien secrétaire à la Défense, simplement parce que nous n’étions pas d’accord avec lui d’une manière ou d’une autre. Pourtant, il sait que la menace iranienne est réelle, c’est la raison pour laquelle cette protection avait été maintenue jusqu’à présent. Il le sait parce qu’il est en tête de la liste noire iranienne en raison de l’opération qu’il a commanditée pour l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani, à la tête de la force al-Qods, l’unité d’élite des Gardiens de la révolution. Je le déplore, mais je ne suis pas surpris, je redoutais, comme beaucoup d’autres, cette vendetta de Trump… Nous y sommes.
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Author : Charlotte Lalanne
Publish date : 2025-02-17 19:00:00
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