Le 9 février, la Suisse a parlé d’une seule voix. Tous les cantons ont refusé d’inscrire dans la Constitution le concept de “limites planétaires”, cette classification dynamique qui permet, dans neuf domaines, de quantifier et suivre les impacts environnementaux de l’activité humaine. Une analyse paresseuse du résultat de cette votation y verra la patte d’un trumpisme insidieux : même en Suisse, la lutte contre le changement climatique ne ferait donc plus recette ? L’unanimité suisse nous dit autre chose : et si ce vote était un rejet de la simplification outrancière qui prévaut depuis la signature de l’accord de Paris sur les questions environnementales ? Une simplification, voire un simplisme, qui a transformé un slogan, “Ecoutez la science !”, en une injonction à réagir par une solution politique unique, en l’occurrence une potion indigeste faite d’anticapitalisme, de malthusianisme et d’antilibéralisme.Le changement climatique n’est pas l’alpha et l’oméga”Quand on n’a qu’un marteau, tout ressemble à un clou”, dit l’adage. Depuis dix ans, l’écologisation des questions humaines, en postulant que le changement climatique serait l’alpha et l’oméga de nos problèmes et que tout – le droit, nos modes de vie, la politique, les relations internationales, etc. – devrait être réécrit à cette aune, nous a rendus aveugles sur le monde. Daniel Sarewitz, professeur à l’Arizona State University et spécialiste des relations entre science et société, l’avait brillamment exprimé dès 2014 : “Le changement climatique pourrait bien exacerber toute une série de problèmes graves et potentiellement désastreux [mais] la version monomaniaque et apocalyptique du changement climatique nous donne une image du monde si incomplète qu’elle est bien pire que simplement fausse.”Dès 2022, avec l’attaque russe contre l’Ukraine, le monde s’est rappelé à notre bon souvenir. Nous n’avons pas voulu le voir. Aujourd’hui, c’est l’Amérique de Trump qui nous rappelle la complexité du réel, avec brutalité. Ce n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes que ce soit un président que d’aucuns considéreront comme intellectuellement peu sophistiqué qui mette la subtile Europe face à son manque d’intelligence politique. Là encore, Daniel Sarewitz l’avait bien vu, dans cet article au titre précurseur, “It’s the end of the world as we prefer it, and I feel stupid” : “Alors que le changement climatique est aujourd’hui accusé de presque tout, le seul phénomène qui semble avoir échappé à l’attention des scientifiques, des écologistes et des médias est que, peut-être par-dessus tout, le changement climatique nous rend stupides.”La politique ou “l’art de choisir entre plusieurs inconforts”L’Europe doit réapprendre l’usage du monde et intégrer un nouveau slogan : “Ecoutez les sciences !” Premier cours intensif : l’histoire, au moment où l’Amérique de Trump la ramène à sa longue et douloureuse expérience, celle de nombreux pays, petits ou moyens, divisés et incapables de se défendre seuls face aux menaces extérieures. Deuxième cours intensif : l’économie. Certes, Bruxelles parle de compétitivité. La copie est cependant peu convaincante alors que le choc de simplification supposé remettre l’économie européenne sur pied va se traduire par l’adoption de… 47 textes.D’où l’urgence d’un troisième cours, de sciences politiques. La politique ne signifie pas adopter des lois, des interdictions et des réglementations sur la base de concepts scientifiques plus ou moins maîtrisés, elle consiste à proposer une vision du monde. Les Etats-Unis de Trump en ont une : la domination américaine. La Russie de Poutine aussi, la reconquête de ce qu’elle estime être son espace impérial. L’Europe n’en a pas car elle a oublié la définition de la politique que donne Raymond Aron, dans son ouvrage Paix et Guerre entre les nations, comme étant “l’art de choisir entre plusieurs inconforts”. Le monde ouvert, vert et vertueux qu’elle voulait n’existera pas avant longtemps, si jamais il existe. Les mois qui viennent diront si elle est capable, cette fois, de repousser ses limites, planétaires ou pas.Cécile Maisonneuve est fondatrice de Decysive et conseillère auprès du centre Energie et Climat de l’Ifri
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Author : Cécile Maisonneuve
Publish date : 2025-02-16 07:00:00
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