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C’est une histoire – hélas – trop française, au scénario presque connu d’avance : une start-up née du génie tricolore, rachetée par des investisseurs étrangers et qui, asphyxiée financièrement, finit par se retrouver à la barre du tribunal. Le 17 février, Aldebaran devrait être placée en redressement judiciaire, première étape avant une possible liquidation. Un curieux télescopage, alors que sous les voûtes du Grand Palais, lors du récent sommet sur l’IA, des milliards d’euros d’investissements ont été annoncés par le président de la République.Pendant longtemps, l’entreprise a été présentée comme un champion national de la robotique et de l’intelligence artificielle. Nao, le premier robot humanoïde développé par ses équipes à la fin des années 2000, avait tout pour être le porte-étendard d’une réussite bleu, blanc, rouge : 5 kilos, 58 centimètres de haut, deux bras, deux jambes, une bouille sympathique et deux yeux ronds comme des billes. Dès ses premiers pas, on le voit se déhancher sur du Michael Jackson. L’animateur Thierry Ardisson en fait la mascotte de son émission Salut les Terriens sur Canal +. Certains modèles entrent dans les écoles, les Ehpad ou les hôpitaux où des soignants les utilisent pour la prise en charge d’enfants atteints de troubles autistiques. Quelques années plus tard, son cousin Pepper, capable de détecter les émotions sera, lui, surtout vendu au Japon comme “hôtesse d’accueil” dans des magasins.Sauf que derrière la vitrine, les résultats commerciaux d’Aldebaran ne décollent pas. Quelque 30 000 robots seulement auraient été vendus dans le monde depuis la création de l’entreprise, dont 19 000 Nao. Vingt ans après sa naissance, l‘entreprise n’a plus que 2 millions d’euros de trésorerie, d’après les informations recueillies par L’Express. Insuffisant pour payer les salaires de février des 160 employés. Un plan de licenciement portant sur quasiment la moitié des effectifs devrait être annoncé dans les jours qui viennent. L’opération de la dernière chance, pour éviter la disparition.Aux manettes, une fondation allemandeComment en est-on arrivé là ? Par un cocktail de choix stratégiques discutables – la volonté de se spécialiser seulement sur les robots humanoïdes –, de virages pris un peu tardivement – celui de l’IA – et de cessions à répétition qui ont fini par affaiblir la société. En 2005, tout commence pourtant bien avec son fondateur Bruno Maisonnier. A coups de levée de fonds et de subventions publiques, la start-up grandit vite. Mais pour financer la recherche et continuer à grossir, elle a besoin de beaucoup plus d’argent. En France, les investisseurs sont frileux et c’est un japonais, le gigantesque conglomérat SoftBank, qui investit 100 millions d’euros en 2012. Trois ans plus tard, le groupe prend le contrôle de près de 95 % de la boîte. Au sommet de l’Etat français, la cession à un investisseur étranger d’une des pépites de la tech ne dérange alors personne. “Je vends mes parts pour permettre à Aldebaran d’aller plus loin encore avec SoftBank et pour me permettre de me dégager de l’opérationnel en prenant de la hauteur”, déclare alors Bruno Maisonnier.Le Covid et les investissements hasardeux de SoftBank, notamment dans le géant du coworking WeWork, chamboulent tout : le japonais réduit la voilure, a besoin d’argent frais et finit par revendre Aldebaran en 2022 à un groupe allemand, URG, United Robotics Group. Mais la structure financière de ces nouveaux actionnaires est plutôt baroque, avec une cascade de filiales. Tout en haut de la pyramide, une fondation, alimentée par de l’argent public allemand et dont l’objectif est de dépolluer les eaux souterraines de la Ruhr… On est loin des robots.Une simple “business unit”Surtout, le modèle économique imposé par les Allemands est singulier : à la société française d’assumer les frais de recherche et de production, et aux Allemands de s’occuper du marketing et de la commercialisation des machines. Aldebaran ne reçoit in fine que de maigres subsides des ventes. Pas de quoi couvrir ses dépenses. “Nous n’étions en réalité qu’une “business unit” du groupe et donc un centre de coût”, commente sobrement Jean-Marc Bollmann, le patron français d’Aldebaran. En août, URG a coupé le robinet, ne répondant même pas aux injonctions de l’administrateur judiciaire ni aux sollicitations du ministère de l’Economie.Le Ciri, la cellule de Bercy en charge du sauvetage des entreprises en difficulté, a bien été saisi, mais n’a pas souhaité répondre à nos questions. Le cabinet EY, lui, aurait été mandaté un temps pour trouver des repreneurs, mais aucun n’a donné suite. Alors, Jean-Marc Bollmann a repris son bâton de pèlerin, toquant à toutes les portes. “Des groupes suisses seraient sur les rangs”, assure le patron. En attendant, les ingénieurs continuent de plancher sur une version 7 de Nao. Mais le petit robot n’a plus envie de danser.



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Author : Béatrice Mathieu

Publish date : 2025-02-15 06:45:00

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