Il n’est, dit-il, pas un “supporter inconditionnel” d’Israël, plutôt un “ami inquiet”. Dans La Question israélienne, Bruno Tertrais, directeur adjoint à la Fondation pour la recherche stratégique, s’interroge : comment un Etat plus petit que la Bretagne peut-il susciter autant de passions ? Le spécialiste de géopolitique traite le sujet à sa façon, dépassionnée et froide. L’occasion de démentir qu’Israël serait un Etat exceptionnel au niveau international, et de contredire quelques idées reçues.Non, le sionisme n’est pas un “colonialisme”Inspiré des mouvements d’émancipation nationale du XIXe siècle tout en étant une réaction aux pogroms en Europe de l’Est, le sionisme historique est, selon Bruno Tertrais, à l’opposé du colonialisme traditionnel : “Non pas expansionniste et prédateur, mais défensif et libérateur ; non pas imposé par la force, mais soucieux de respectabilité juridique nationale (l’achat de terres) et internationale (la légitimation par l’ONU ; non pas appliqué à une terra nullius, mais à une entité sous mandat) ; surtout, non pas sur des territoires lointains sans lien avec le peuple concerné, mais sur les terres de leurs ancêtres.” L’auteur rejoint l’analyse du professeur de sciences politiques Denis Charbit, qui estime que la création d’Israël en 1948 s’inscrit même dans la vague des décolonisations.Non, il n’y a pas d’ “apartheid” en IsraëlUn cinquième des citoyens d’Israël ne sont pas juifs. Sur les papiers, tous ont les mêmes droits, mais pas les mêmes devoirs, les Arabes (mais par les Druzes) étant dispensés de service militaire. Le judaïsme n’y est pas religion d’Etat, même si le jour de congé hebdomadaire (samedi) ou la nourriture casher imposée dans les organismes officiels proviennent du judaïsme. “Israël n’est pas au judaïsme ce que le Maroc ou l’Arabie saoudite sont à l’islam”, observe Bruno Tertrais. Poussée par l’extrême droite, une loi constitutionnelle a en 2018 définit Israël comme “Etat-nation du peuple juif”. Mais pour le géopolitologue, cela ne suffit pas à justifier les accusations d’”apartheid” qui visent régulièrement Israël, les Arabes israéliens étant présents à la Knesset comme à la Cour suprême : “Drôle d’apartheid que celui qui voit un parti islamiste (le Ra’am) participer pendant plus d’un an à une coalition gouvernementale, comme ce fut le cas en 2021-2022. Et une population arabe dont la part dans la population totale (21 % aujourd’hui) a doublé depuis 1961…”Non, l’occupation israélienne n’est pas uniqueLa Russie occupe près de 20 % du territoire de l’Ukraine, sans oublier l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud en Géorgie. Le nord de Chypre est occupé par la Turquie depuis 1974. Le Sahara occidental est occupé par le Maroc, alors que l’ONU le considère toujours comme un “territoire non autonome”. L’annexion du Tibet par la Chine est un fait accompli. Rappelons aussi que de 1948 à 1967, la Cisjordanie a été occupée par la Jordanie, et Gaza par l’Egypte.Si l’occupation par Israël de la Cisjordanie dure depuis plus de six décennies, Bruno Tertrais assure qu’il y a un “deux poids, deux mesures” manifeste à l’œuvre au niveau des Nations unies. Depuis vingt ans, Israël détient le record des pays condamnés à l’Assemblée générale de l’ONU, avec plus de 100 résolutions, soit deux fois plus que la Russie.Oui, la paix sera très compliquéeLes obstacles à une paix entre Israéliens et Palestiniens sont aujourd’hui nombreux, d’autant que le conflit s’est confessionnalisé. En Israël, les ultra-orthodoxes, grâce à un taux de fécondité très élevé, ne cessent de gagner du poids par rapport aux laïcs. Les sionistes religieux, longtemps marginaux, sont toujours au gouvernement et ont adopté un ton de plus en plus messianique, avec notamment l’ambition d’ériger un troisième temple à Jérusalem. En face, les forces islamistes ont également pris le dessus sur le nationalisme palestinien. Pour Bruno Tertrais, mettre un terme définitif au conflit supposerait ainsi “une révolution mentale et politique” des deux côtés, avec l’abandon par chacun de la tentation de vouloir dominer l’ensemble du territoire de l’ancienne Palestine mandataire (“du fleuve à la mer”).Longtemps en guerre avec ses voisins, Israël est de plus en plus inséré dans le Moyen-Orient, jusqu’à pouvoir envisager un accord avec l’Arabie saoudite. En revanche, la création d’un Etat palestinien a tout d’une arlésienne. Et les déclarations fracassantes de Donald Trump sur Gaza ne vont rien arranger.La Question israélienne, par Bruno Tertrais. L’Observatoire, 171 p., 20 €.
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Author : Thomas Mahler
Publish date : 2025-02-15 10:30:00
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