Le Donbass recèle depuis toujours d’importantes richesses minérales, et le modeste village de Chevtchenko ne fait pas exception. En 1982, lors d’une campagne de cartographie des ressources, les géologues soviétiques y découvrent un gisement de 40 hectares regorgeant de lithium, de césium, de tantale, de niobium, de béryllium et d’autres terres rares. Si ces minerais suscitent alors moins d’engouement que le charbon, véritable or noir de la région, le lithium incarne aujourd’hui un enjeu stratégique crucial. Ce site figure parmi les quatre gisements ukrainiens riches de cet “or blanc”, ces minerais devenus essentiels pour les batteries des véhicules électriques et le stockage des énergies renouvelables.Depuis plusieurs années, Kiev tente de vendre aux enchères en ligne les droits d’exploitation de plusieurs de ces gisements. Mais Chevtchenko, autrefois située à 60 kilomètres de la ligne de front, s’en trouve maintenant à 10 kilomètres. Quant au bassin de Krouta Balka, proche de Marioupol, également exploitable, il est contrôlé depuis 2022 par les Russes.Une approche transactionnelle initiée par KievLes richesses minérales ukrainiennes ont fait irruption dans le débat public lorsque Donald Trump, qui se plaint que les Etats-Unis déversent “des centaines de milliards de dollars” dans le pays, a proposé, le 5 février, un marché à Kiev : un accès aux terres rares contre la poursuite de l’aide militaire américaine.Si la nature exacte de la proposition reste floue, des sources ukrainiennes évoquent un accord portant sur l’ensemble des matériaux critiques, dont les terres rares constituent une sous-catégorie. L’Ukraine recèle en effet d’importants gisements de minéraux stratégiques, incluant 22 des 34 matériaux jugés critiques par l’Union européenne. Elle détiendrait environ 5 % des ressources minérales mondiales connues, avec plus de 8 761 gisements de 117 types de minéraux différents, dont 3 055 font l’objet d’une exploitation active. Selon Kiev, ces ressources minérales représentent 11,1 billions d’euros, et jusqu’à 24,1 billions en comptant le charbon et le gaz naturel.La proposition de Donald Trump découle en réalité du “plan pour la victoire” présenté par Zelensky au candidat républicain dès septembre 2024 lors de son déplacement aux Etats-Unis. Cette suggestion, tout comme celle de substituer les forces américaines en Europe par des troupes européennes, ciblait spécifiquement le républicain. Une approche transactionnelle qui a suffisamment piqué l’intérêt du milliardaire pour qu’il mentionne les terres rares à plusieurs reprises lors de ses récentes apparitions dans les médias.Le président américain a même dépêché en Ukraine le secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, afin de faire le point sur les ressources en terres rares. “Nous ne parlons pas seulement de sécurité, mais aussi d’argent… Des ressources naturelles précieuses dans lesquelles nous pouvons offrir à nos partenaires des possibilités d’investissement qui n’existaient pas auparavant… Pour nous, cela créera des emplois, pour les entreprises américaines, cela créera des profits”, a résumé Zelensky dans une interview au Guardian. Le président ukrainien pourrait en discuter avec Donald Trump lors de la conférence de sécurité de Munich cette semaine, ou dans les jours suivants à Washington. Le temps presse alors que le président américain a convenu, mercredi 12 février, avec Vladimir Poutine de lancer des négociations “immédiates” sur l’Ukraine et promis une rencontre en personne avec son homologue russe.Le volume exact des réserves est classifiéVolodymyr Zelensky s’efforce donc de “trouver des leviers pour accroître la volonté des alliés d’aider l’Ukraine” et de “présenter le pays comme une solution à leurs problèmes”, analyse Natalia Shapoval, vice-présidente de la Kyiv School of Economics. L’intérêt de Trump pour les matériaux critiques ukrainiens s’explique notamment par l’actuelle domination chinoise sur le marché des terres rares. La Chine contrôle 70 % de la capacité mondiale d’extraction et 90 % de la capacité de traitement. Parmi les mesures annoncées par Pékin en réponse aux tarifs douaniers américains figure d’ailleurs le contrôle des exportations de certains minéraux critiques. “La logique de Kiev est la suivante : si les Etats-Unis et l’Europe investissaient davantage en Ukraine, le soutien des partenaires s’amplifierait”, poursuit Natalia Shapoval.Difficile cependant d’évaluer précisément l’ampleur des ressources ukrainiennes. “Les cartographies remontent principalement à l’époque soviétique et nécessitent une mise à jour, un processus onéreux et chronophage”, indique Olena Pavlenko, présidente du think-tank ukrainien DiXi spécialisé dans l’énergie. Contrairement aux pratiques courantes (où les Etats financent les prospections avant la vente de licences), l’Ukraine commercialise des dizaines de permis d’exploitation sans estimation détaillée, comme pour le gisement de lithium de Chevtchenko.L’Ukraine détient un quart des réserves prouvées européennes de cet “or blanc”, d’après le Service géologique national ukrainien. Toutefois, les volumes exacts de lithium, comme d’uranium et de titane, demeurent classifiés. Les spécialistes consultés anticipent une diffusion prochaine de ces données, alors que Kiev s’oriente vers une ouverture du marché.Problème : les gisements de lithium ukrainiens s’avèrent moins rentables que les exploitations à ciel ouvert sud-américaines actuelles, car ils exigent une extraction souterraine. “Mais les prévisions montrent que l’offre ne suffira plus à satisfaire la demande mondiale. C’est là que l’exploitation ukrainienne prendra tout son sens. Ces projets s’étendent sur dix ans, et le marché aura évolué d’ici leur aboutissement”, pronostique Natalia Shapoval.Des réserves sous occupation russeOutre le gaz, le charbon, l’Ukraine exploite déjà plusieurs autres minéraux stratégiques. Le pays se classe au onzième rang mondial et au premier à l’échelle de l’Europe pour la production d’uranium, représentant 2 à 4 % des réserves mondiales. Cependant, l’extraction s’avère plus complexe que dans les autres pays leaders, selon la chercheuse Olga Kosharna, les gisements ukrainiens moins concentrés nécessitant des infrastructures minières plus coûteuses.Le titane constitue une autre ressource historique majeure, Kiev exploitant des dizaines de mines qui représentent 7 % de la production mondiale. Avec plusieurs dizaines de gisements exploités, l’Ukraine figure également parmi les cinq premiers pays mondiaux pour les réserves de graphite, matériau crucial pour l’aéronautique. Le pays occupe aussi des positions notables en Europe pour ses gisements de cuivre (4e), de plomb (5e), de zinc (6e) et d’argent (9e).Entre la phase d’exploration et les investissements nécessaires, l’exploitation de ces ressources pourrait prendre plusieurs années. “L’Ukraine doit développer sa propre vision stratégique pour ces minéraux essentiels”, souligne Olena Pavlenko. “Si nous voulons développer les technologies aérospatiales ukrainiennes dans vingt ans, telles que les avions ou les satellites, nous avons besoin d’un cadre politique approprié, sans quoi nous courons le risque de devoir acheter ces matériaux à d’autres pays producteurs, et non aux sites ukrainiens.”Principal obstacle, une partie significative de ces matières critiques demeure sous occupation russe, même si les chiffres précis restent difficiles à établir. Selon SecDev, un groupe de réflexion canadien qui cartographie les ressources sous occupation depuis février 2022, la Russie contrôle 27 % des gisements de minerai de fer ukrainiens, 50 % de ceux de manganèse, 100 % des réserves de strontium, et environ 20 % pour les métaux précieux.”La question fondamentale est de savoir comment garantir un accord équitable avec les Etats-Unis”, analyse Natalia Shapoval. “Il faut éviter le chantage – soit vous donnez les droits miniers, soit nous n’apportons pas d’aide militaire. L’Ukraine peut tomber dans ce piège si l’accord est précipité.” Reste à savoir quelles seront ses marges de négociation réelles face à Trump.
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Publish date : 2025-02-13 05:30:00
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Thursday, February 13