Philippe Brun est un député fatigué, et patraque. Le corps a lâché après des jours de négociations avec le gouvernement pour parvenir à un accord de non-censure, deux semaines de discussions à l’Assemblée nationale sur le budget, cette commission mixte paritaire avec les sénateurs pour faire atterrir le texte ou encore ces heures de débats au sein du Parti socialiste sur l’intérêt de ne pas faire tomber le gouvernement Bayrou. Et il y a aussi eu ces dizaines de passages à la télé pour faire le service après-vente du choix socialiste, un désaccord avec les partenaires du Nouveau Front populaire qui ont déposé, sous l’égide de LFI, une motion de censure. Le député de l’Eure ne regrette rien, toujours plus convaincu d’avoir évité, dit-il, “le choix de l’instabilité”. Depuis début janvier, il enchaîne aussi les cérémonies de vœux dans sa circonscription. En trente jours, il a assisté à quarante-quatre d’entre elles. Il raconte : “Tous ceux que j’ai rencontrés, les chefs d’entreprise comme les présidents d’associations, m’ont dit la même chose : il faut avancer, avoir un budget, ne pas censurer.”Cela n’a pas empêché les mêmes députés PS de déposer… une motion de censure. Un article 49.2 qui n’a rien à voir avec le budget et permet aux socialistes de lancer une procédure de censure “spontanée”. Comprenne qui pourra. Une stratégie qu’on résume ainsi au PS : ne pas faire tomber le budget mais faire tomber le gouvernement. Une “synthèse” pour ne pas fâcher la minorité de députés socialistes qui plaidaient pour sabrer François Bayrou et ses ministres. Mercredi 5 février, à l’Assemblée nationale, une bonne quinzaine de députés PS a hésité jusque dans les derniers moments à censurer le budget et le gouvernement. Seulement huit l’ont fait. La discipline de groupe l’a emporté, mais pour combien de temps encore ?Jospin au téléphoneUne non-censure, fruit de longs mois de négociations au sein du PS. Le 8 juillet dernier, au lendemain des législatives, alors que le Nouveau Front populaire est arrivé en tête du scrutin, raflant 192 sièges, Olivier Faure, Boris Vallaud et François Hollande ont tous reçu le même appel. Lionel Jospin au bout du fil. Il ne veut pas gâcher le moment, heureux à gauche, mais l’ancien Premier ministre voit plus loin : “La bonne position n’est pas de revendiquer le pouvoir, mais de jouer le rôle de l’opposition.” Il les prévient : la gauche n’aura pas plus la possibilité que d’autres de mener son programme, quand bien même il a été élu dessus. Jospin les enjoint à plusieurs reprises de ne pas censurer à tout prix, mais d’aller plutôt chercher des victoires qui ne seront pas celles, stricto sensu, du programme du NFP. Six mois plus tard, les deux tiers du groupe parlementaire plaideront pour cette ligne stratégique.Un cadre du PS, ardent défenseur du NFP et de l’union à gauche, assume ce pas de côté des siens : “Censurer en novembre, ce n’est pas la même chose que censurer en février. Censurer Bruno Retailleau et Aurore Bergé, ce n’est pas l’envie qui nous manque mais il faut être bourgeois pour penser qu’un budget, aussi mauvais soit-il, ne sert à rien. Ça aura des effets sur les allocations chômage, sur tout !” Le message est à l’adresse des Insoumis. Eux n’ont eu de cesse d’éructer contre la décision des socialistes de ne pas censurer. À leurs yeux, le choix de la non-censure s’apparente à une forfaiture vis-à-vis du programme du Nouveau Front populaire.”Judas n’a trahi qu’une fois””Le PS a procédé à un changement d’alliance. Ce n’est pas infamant, je ne fais que l’observer. Ils n’ont pas rejoint Emmanuel Macron et François Bayrou, mais ils sont désormais les soutiens et les complices de leur politique”, considère Manuel Bompard, le coordinateur de LFI. Une banderille de plus entre le PS et LFI, après des semaines déjà passées à s’invectiver par médias interposés. Dans les boucles Telegram insoumises, on recycle ad nauseam une blague : “Quelle est la différence entre Judas et un socialiste ? Judas n’a trahi qu’une fois.” Depuis que les socialistes ont refusé de voter les deux motions de censure déposées par LFI, mercredi 5 février, les Insoumis attaquent à la vitesse supérieure sur les réseaux sociaux, ciblant toujours un peu plus les députés PS.Une affiche mettant Olivier Faure et Marine Le Pen (le RN n’a pas voté la censure non-plus) dos-à-dos a provoqué l’ire du reste du NFP. “Jamais depuis 1945, même lors des pires renoncements du PS pendant la guerre d’Algérie […], une organisation de gauche n’a fabriqué un visuel mettant sur un même plan un fasciste et le chef du PS”, a lancé Alexis Corbière, l’ancien partenaire de route de Jean-Luc Mélenchon. Signe du malaise, l’affiche a été retirée et une autre, mettant elle Olivier Faure, Boris Vallaud, Marine Le Pen et Jordan Bardella à un pied d’égalité, a été modifiée. Entre deux portes, Manuel Bompard reconnaît une erreur, celle d’une petite main insoumise qui n’aurait pas fait valider le visuel en haut lieu.Hésitations écolosTous les coups sont permis pour isoler les socialistes. La cheffe des députés LFI Mathilde Panot a proposé à l’écologiste Benjamin Lucas de porter à la tribune de l’hémicycle la deuxième motion de censure portant sur l’un des volets du budget de la Sécurité sociale, ce qu’il a refusé. Jean-Luc Mélenchon, en réunion publique à Angers, a expulsé unilatéralement les socialistes du NFP. Il n’empêche, écologistes et communistes refusent, eux, de tourner le dos à leurs camarades à la rose. De quoi rassurer Olivier Faure et les siens, toujours attachés à l’union de la gauche.Dans un communiqué de presse publié jeudi 6 février, les Verts et les communistes ont dénoncé les coups des Insoumis portés aux socialistes : “Nous refusons de laisser la censure dessiner les contours de l’appartenance à notre coalition. Nos désaccords ne doivent pas se transformer en détestation.” Et d’accuser : “Aucun parti républicain ne peut et ne doit être comparé à l’extrême droite. Cette comparaison ne mène qu’à brouiller les repères et à banaliser l’extrême droite.”Au PCF et chez les écologistes, il y a les votes en hémicycle, et les non-dits, qu’on murmure tout juste à l’oreille de certains. Excepté Delphine Batho, l’ensemble des députés du groupe écologiste ont voté la censure mercredi mais plus d’une dizaine d’entre eux a longuement hésité à appuyer sur le bouton. Parmi eux, les députés Éva Sas, Jérémie Iordanoff, Dominique Voynet ou encore Marie Pochon. “Je continue de penser que le gouvernement n’est pas légitime, parce que son périmètre ne correspond pas aux résultats des élections. J’ai aussi été échaudé par la semaine où François Bayrou a joué au c*** en donnant le point au RN en parlant de submersion migratoire, expliquait Iordanoff juste avant le vote de la motion. Mais compte tenu de la période d’inquiétude nationale et géopolitique, je m’interroge : est-ce raisonnable de maintenir la France encore six mois sans budget ?”L’orage insoumis passe, et les socialistes serrent les dents. L’épisode a démontré, une fois de plus, que la stratégie “d’autonomie stratégique” des socialistes les renforce. Le bon score de Raphaël Glusckmann – qui a multiplié les critiques visant les Insoumis – aux européennes, la renaissance d’un groupe parlementaire fort de 66 députés (le double de la précédente législature)… Autant d’éléments qui convainquent Olivier Faure et les siens que l’affirmation socialiste au sein du NFP passe par une confrontation avec Jean-Luc Mélenchon mais pas un divorce pour autant. Un clivage à doser, et qui suppose des grands écarts de communication.VaudevilleFaut-il rompre avec les Insoumis partout, tout le temps ? Le socialiste Jérôme Guedj affirme “qu’il n’y aurait plus jamais d’alliance entre LFI et le PS”. Pourtant, quelques jours plus tôt, le député Philippe Brun, affirmait, sur Sud Radio, souhaiter la victoire de la liste de Louis Boyard sur laquelle figurait un candidat qui, le 7 octobre 2023, écrivait sur Twitter : “Honte à la France qui osé qualifié (sic) la résistance palestinienne de ‘terroriste’. La résistance répond au terrorisme d’État de l’État sioniste. La France est complice du génocide des Palestiniens”. Et le répétait fin août dernier : “Le Hamas est un mouvement de résistance contre un Etat terroriste qui commet un génocide.””L’autonomie stratégique, ça ne veut pas dire la rupture des liens. S’il y a une dissolution demain, je souhaite la reconduction du NFP”, explique Laurent Baumel, député PS proche d’Olivier Faure. Un sentiment que partage beaucoup au PS, notamment les députés qui n’ont pas voté la censure. La très grande majorité d’entre eux se refuse à se lancer dans une aventure soliste qui les verrait s’opposer à une liste d’union de la gauche. Une analyse partagée à demi-mot à La France insoumise, malgré les apparences et les menaces de la direction de présenter des candidats face aux socialistes ayant refusé la censure. L’union est un combat, autant qu’un vaudeville sans fin.
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Author : Olivier Pérou
Publish date : 2025-02-07 15:00:00
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