Donald Trump renomme le golfe du Mexique en golfe des Etats-Unis ? La nouvelle peut paraître loufoque. Mais un puissant acteur va, docilement, afficher cette modification sur sa carte consultée par des dizaines de millions d’internautes chaque jour pour se déplacer aux quatre coins du monde. Son nom : Google. C’est l’un des derniers effets en date du rapprochement entre la Big Tech américaine et Donald Trump. Il y en a plusieurs par semaine actuellement, depuis son élection en novembre dernier. Et des plus importants, encore. Du fact-checking abandonné par Meta sur ses réseaux sociaux pour être en phase avec le républicain, à l’annonce par la nouvelle administration du méga projet industriel Stargate sur l’IA, doté de plus de 500 milliards de dollars. Cette histoire d’amour avait commencé bien avant l’élection. Marietje Schaake l’avait vu venir. Dans son livre, The Tech Coup : How to Save Democracy from Silicon Valley, l’ex-députée européenne qui officie désormais au Cyber Policy Center de Stanford, a décrit comment les entreprises technologiques prenaient le pouvoir politique aux Etats-Unis. Ses inquiétudes, formulées à L’Express avant l’élection, se confirment aujourd’hui. Et elles ont des conséquences bien au-delà du pays de l’Oncle Sam. L’Europe est en première ligne. Entretien.L’Express : L’alliance de la tech américaine avec l’administration Trump est presque complète. Des personnalités que l’on imaginait plus discrètes dans leur soutien comme Mark Zuckerberg sont finalement très démonstratives dans leur soutien au républicain. Même Sam Altman, principal bénéficiaire de Stargate, adoube aujourd’hui le nouveau président. Vous l’aviez pronostiqué, dans votre ouvrage. Imaginiez-vous cependant que le phénomène allait être aussi rapide et massif ?Marietje Schaake : On ne peut jamais en être vraiment sûr. Mais cette association avec le pouvoir politique est bien la seconde phase du “coup” dont j’esquissais les contours dans mon livre. Et il est particulièrement visible, aujourd’hui. Cela confirme à mon sens le postulat initial : les magnats de la tech ont beaucoup de pouvoir. En raison des entreprises qu’ils dirigent, de leurs gigantesques capitalisations boursières, de leurs poids dans le développement d’infrastructures critiques comme les satellites, les centres de données, les centrales nucléaires, ainsi que dans les technologies transformant notre réalité telles que les IA génératives ou les systèmes de reconnaissance faciale, ils ont déjà, dans une certaine mesure, remplacé l’Etat. Le moment que l’on traverse est décisif, mais ce serait une erreur de le penser uniquement parce qu’Elon Musk et Donald Trump sont devenus des alliés.Confier une partie de leur avenir à quelqu’un d’aussi erratique est-il un risque pour la tech américaine ?Oui, on a vu ce tempérament à travers le cas TikTok. Une application capable aujourd’hui de dire “Merci, M. Trump”, alors que ce dernier avait initialement décidé de la bannir… Pour les grandes entreprises, notamment technologiques, la tentation a toujours existé de se rapprocher de ceux qui sont au pouvoir. Question d’opportunisme. Cela fonctionne bien avec Trump. Mais cette relation entre la tech et le politique, aussi mutuellement bénéfique qu’elle peut paraître pour le moment, est à double tranchant. Toutes les entreprises n’auront pas accès à la Maison-Blanche, et celles qui seront écartées ne vont pas être en accord avec les décisions qui seront prises, ou ne se sentiront pas correctement représentées. Des tensions se sont déjà fait sentir entre Elon Musk et Sam Altman au sujet de l’IA, le premier ne figurant pas dans le projet Stargate. Il y a fort à parier qu’elles se diffuseront au-delà, dans toute la communauté “business”, sur fond de jalousie. Une bataille de territoire pourrait opposer les entreprises tech conventionnelles à celles centrées sur l’IA. Je suis convaincue qu’il y aura beaucoup de mélodrames à l’avenir.Vous mentionnez, Elon Musk, celui-ci se distingue par des conflits d’intérêts majeurs…C’est un des gros problèmes. Elon Musk jouit par le biais de ses entreprises comme SpaceX d’un certain nombre de contrats gouvernementaux. En parallèle, des enquêtes fédérales ont été ouvertes contre ses sociétés [NDLR : SpaceX, mais également Tesla ou Twitter devenu X]. Mais, toujours dans le même temps, il conseille le président sur la politique internationale, le commerce, dirige le département de l’Efficacité gouvernementale, tout en poursuivant ses activités d’entrepreneur. Le gouvernement ne fournit plus les contre-pouvoirs utiles. Ce qui nous amène, sous ce double leadership, à un nouveau type de confrontation en tant qu’Européens avec les États-Unis.Pourquoi ?Car Musk soutient par ailleurs explicitement des forces anti-démocratiques, notamment en Allemagne. Il s’adonne à des “saluts nazis”. Il est également proche de Peter Thiel [NDLR : le CEO de Palantir Technologies et fondateur de PayPal], un homme de l’ombre, très puissant, qui défend de longue date une position très anti-étatique. Il faut enfin prendre en compte le soutien du secteur de la cryptographie au duo Musk-Trump. Une industrie particulièrement enthousiaste à l’idée de voir des juridictions alternatives, opposée aux États et au système financier tel que nous le connaissons. Il s’agit donc de batailles aux enjeux très élevés qui ne soutiennent en aucun cas un renforcement de l’État de droit. C’est une époque très sombre pour ceux d’entre nous qui se soucient de la démocratie, dont l’Europe.Qu’avons-nous collectivement raté pour en arriver à ce stade ?Nous avons sous-estimé le pouvoir démesuré des entreprises technologiques. Je pense que pendant longtemps, l’idée a prévalu qu’elles fortifiaient la démocratie. Elles ont été traitées avec beaucoup d’indifférence, ce qui leur a laissé une grande marge de manœuvre pour prendre leurs propres décisions. Aujourd’hui, nous constatons qu’elles ne sont pas intéressées par la défense des valeurs démocratiques. Seulement par leurs marchés et la maximisation de leur pouvoir. Nous allons assister à une confrontation plus directe avec les régimes démocratiques, ce qui est, bien sûr, très inquiétant en raison des vastes pouvoirs que les géants de la tech ont désormais entre leurs mains.”L’Europe a un problème de fragmentation”Les entreprises américaines ont récemment mis la pression sur l’Europe. Plus particulièrement les plateformes de réseaux sociaux, Meta et X, en guerre contre le DSA, le règlement sur les services numériques… Comment doit-elle réagir ?La Commission européenne devrait faire tout ce qui est en son pouvoir pour obliger ces entreprises à montrer ses algorithmes de recommandation, qui définissent quels contenus sont adressés à quels utilisateurs. Cela constitue un premier pas : après tout, que peuvent-elles bien cacher ? Toutefois, l’aspect modération ne suffira pas. Le plus important aujourd’hui pour l’UE est de doubler ses investissements dans les infrastructures, notamment numériques. Il existe enfin le levier des marchés publics, car les gouvernements sont souvent les principaux clients des entreprises technologiques. Les dirigeants européens disposent donc d’un pouvoir énorme, non seulement par le biais de la réglementation, mais aussi par leurs achats. Et je pense que cela, combiné aux investissements, facilitera l’application des lois existantes qui seront sans aucun doute soumises à des pressions. Nous avons vraiment besoin d’agir en mode “crise” afin de procéder à des ajustements sans précédent. Car si une guerre commerciale se dessine, l’Europe devra avoir une solide colonne vertébrale pour ne pas renoncer à appliquer ses législations. Pour l’heure, elle n’en a pas. D’un côté, il y a le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, un homme fermement convaincu que les entreprises technologiques représentent une menace pour nos démocraties. Et puis, de l’autre, une dirigeante comme l’Italienne Giorgia Meloni, en passe de conclure un accord avec Elon Musk. Ou bien un président français, Emmanuel Macron, qui remet en question certains volets de l’IA Act. Ce qui me semble contre-productif pour un “pro-européen” tel que lui.Le célèbre “Bruxelles effect”, cette diffusion de la régulation européenne au-delà de ses frontières et particulièrement aux Etats-Unis, est-il mort ?C’est encore tôt pour le dire. Les législations européennes, sur le numérique, sont jeunes et n’ont pas encore prouvé toute leur valeur. Cela dépendra aussi de nouvelles alliances potentiellement conclues par l’Union européenne à l’échelle mondiale, avec des pays plus enclins à accepter ce type de règles, fondées sur des valeurs démocratiques. Mais il est évident que cet “effet bruxellois” dans la relation transatlantique que l’on entretient avec les Etats-Unis, la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale, est mis à mal par cette collusion entre les entreprises technologiques et le pouvoir trumpiste.Est-ce que des comportements individuels peuvent avoir des effets ? En Europe, et notamment en France, un exode de X est en cours. Ce qui pourrait signifier à terme une perte d’influence de la plateforme, et de son dirigeant Elon Musk…Les choix individuels peuvent bien entendu avoir une influence. Si certains actionnaires de Tesla sont vraiment mécontents du “salut nazi” proférer par Musk, il peut y avoir des conséquences. Concernant X, les gens décident bien sûr d’eux-mêmes où ils veulent passer leur temps et dépenser leur argent. Mais au fond, je ne pense pas que les individus soient suffisamment responsabilisés, informés, et qu’ils puissent contrebalancer ce pouvoir démesuré. On connaît, par ailleurs, le puissant impact des effets de réseau sur les plateformes en ligne. C’est pour ça que je préconise plutôt d’autres contre-pouvoirs : la régulation, l’investissement et donc, de nouvelles alliances pour l’Europe.
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Author : Maxime Recoquillé
Publish date : 2025-02-02 07:45:00
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