Il est l’un des visages du narcobanditisme en France : ce 24 janvier, Félix Bingui, chef présumé du clan Yoda, a été mis en examen à Marseille après son extradition depuis le Maroc, où il avait été arrêté en mars 2024. Pour le moment placé en détention provisoire dans un établissement tenu secret, le trentenaire pourrait bien faire partie des “cent plus gros narcotrafiquants de France” à être envoyés prochainement vers une prison unique sur le territoire, spécialisée dans l’accueil de ces profils à haut risque et annoncée par le ministre de la Justice Gérald Darmanin le 13 janvier dernier.Lors d’un déplacement à Agen, dix jours plus tard, le garde des Sceaux précisait que la mise en service de cet établissement aurait lieu “dès le 31 juillet prochain”, avec de premiers transferts prévus en mars. Le lieu bénéficiera d’un investissement de 4 millions d’euros, pour permettre “une mise à l’isolement total” des détenus, dans des cellules “inviolables”. Quatre centres de détention déjà existants ont été évoqués : Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), Condé-sur-Sarthe (Orne), Saint-Maur (Indre), ou Arles (Bouches-du-Rhône). Mais pour éviter l’effet “cocotte-minute” tant redouté par le personnel pénitentiaire et assurer la sécurité des agents, de nombreux défis attendent encore Gérald Darmanin. “Cette solution est clairement à double tranchant. Il faudra que le ministre nous donne les moyens de ses ambitions”, prévient David Lacroix, secrétaire local FO de la prison de Vendin-le-Vieil.”Tout est à refaire”À commencer par le challenge logistique que représente la création d’un établissement réellement “inviolable” pour les futurs détenus. A la maison centrale de Vendin-le-Vieil, qui accueille déjà les prisonniers les plus dangereux de France – à l’image de Salah Abdeslam ou Rédoine Faïd – et bénéficie à ce titre d’un système de brouilleurs de téléphones et de drones, David Lacroix évoque ainsi une structure “étanche à 90 %”. “Le vrai point de vulnérabilité, c’est l’extérieur, c’est-à-dire les parloirs. Il faudrait investir dans des portiques de détection à ondes millimétriques [POM], mettre le paquet sur l’écoute téléphonique, le renseignement pénitentiaire, les missions de fouilles”, développe le surveillant, alors que la loi de 2009 ne permet plus aux agents d’effectuer des fouilles intégrales systématiques des détenus après le parloir. La disposition de la prison serait également à revoir : selon son confrère de l’Ufap-Unsa, qui préfère garder l’anonymat, les détenus ne sont actuellement pas isolés les uns des autres en dehors du quartier d’isolement de l’établissement. “Ils se croisent dans les ateliers, dans les douches, lors des promenades. Tout est à refaire si on veut accueillir des narcotrafiquants totalement isolés les uns des autres d’ici à deux mois”, prévient-il.Mêmes inquiétudes à Condé-sur-Sarthe, où la prison est équipée d’un POM et de systèmes de brouillages, mais au sein de laquelle il n’existe “qu’une cour de promenade par coursive qui ne permet pas d’isoler chaque détenu”, selon le représentant local FO. Le surveillant évoque également une “sécurisation du domaine pénitentiaire à revoir”, alors que le parking du personnel n’est par exemple délimité que par “une simple barrière”. Tandis qu’à Arles, son homologue Thomas Forner ne comprend tout simplement “pas comment Gérald Darmanin a pu citer la prison” comme potentielle candidate à cette structure spécialisée. “Nous avons des cas de livraisons par drones, des lancers de colis, des brouilleurs de téléphone inopérants, des cours de promenades qui communiquent entre elles”, lâche-t-il, dépité.Corruption et “coups de pression”Dans toutes les prisons évoquées par Gérald Darmanin, les personnels s’inquiètent surtout de la sécurisation des agents, dans un contexte de sous-effectif chronique : selon les sources syndicales interrogées par L’Express, une quinzaine de surveillants manqueraient déjà à Arles, une trentaine à Saint-Maur, une vingtaine à Condé-sur-Sarthe et à Vendin-le-Vieil. “Forcément, le régime spécifique de détention de ces détenus, et notamment l’isolement total, va provoquer des tensions massives. Il faudra pouvoir gérer ça, et avoir les effectifs adéquats”, souligne David Lacroix. Le problème est le même pour les centres qui se verront attribuer les détenus “à haut risque” transférés entre leurs murs pour laisser leurs places aux narco-trafiquants. “Il faudra vider une prison dans d’autres. Et accueillir dix ou vingt profils de Condé ou de Vendin sans en avoir les moyens, c’est tout sauf anodin”, tranche Thomas Forner.Pour éviter tout risque de corruption ou de “coups de pression” de la part des réseaux aux moyens financiers illimités, les représentants du personnel réclament une anonymisation totale des agents, via l’assurance de n’être désignés administrativement que par leurs matricules ou par le port de cagoules – une pratique que n’exclut pas le ministre de la Justice, selon les informations de L’Express. “J’ai déjà des collègues qui hésitent à porter plainte quand ils se font insulter ou cracher dessus par peur de représailles. Que se passera-t-il quand ils auront en face d’eux une centaine de profils comme Félix Bingui ?”, interroge le représentant FO de Condé-sur-Sarthe.La tuerie d’Incarville (deux agents pénitentiaires assassinés pendant un transfert) et la récente mise à prix sur les réseaux sociaux de la directrice de la prison marseillaise des Beaumettes restent à l’esprit des surveillants. “Si on se retrouve avec 100 personnes capables de mettre 100 000 euros chacune sur notre tête, de faire suivre les surveillants ou leurs familles, qui va vouloir prendre ce risque ? Y aura-t-il des possibilités de mutation, des augmentations de rémunération ?”, questionne Thomas Forner. Pour rassurer les surveillants, Gérald Darmanin a notamment évoqué la création de quatre nouvelles sections d’équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), équivalent du GIGN dans le monde pénitentiaire, présentes en continu dans l’établissement “pilote”. Mais là encore, les professionnels sont sceptiques sur le calendrier. “Où va-t-il les trouver ? Les unités déjà existantes ont des missions localement, et la formation de nouveaux agents prendra plusieurs mois”, rappelle Frédéric Chauvet, secrétaire local Ufap-Unsa à Saint-Maur.Alors que le ministre de la Justice envisage d’emprisonner à la fois des personnes condamnées et des prévenus – en attente de jugement définitif ou qui ont fait appel de leur condamnation -, les transferts réguliers entre le centre choisi et les juges de tutelle représentent par ailleurs “un gros problème en termes de sécurité et d’effectifs”, souligne Alexandre Bouquet, secrétaire national du Syndicat des directeurs pénitentiaires (SNDP). En l’absence pure et simple de communication de la part de Gérald Darmanin concernant la prise en charge des détenus sur le long terme au sein de cet établissement, l’homme s’interroge également sur le travail d’accompagnement et de réinsertion dont ils pourront bénéficier : “Ces personnes sont vouées à sortir à un moment, après avoir vécu longtemps dans un système très contraignant. Que pourra-t-on alors attendre d’eux ?”. Autant de questions auxquelles Gérald Darmanin devrait répondre dans “les semaines à venir”, selon la Chancellerie. La semaine du 3 février, le garde des Sceaux se rendra en Italie afin de visiter une prison similaire, permettant notamment d’isoler les membres de la mafia.
Source link : https://www.lexpress.fr/societe/justice/comment-gerald-darmanin-faconne-sa-prison-anti-narcos-et-sils-mettent-100-000-euros-sur-notre-tete-TMUAU6OT4ZH3HN6NRYEJOV7PYM/
Author : Céline Delbecque
Publish date : 2025-01-31 06:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
Trending
- Pille danach wird nach Vergewaltigung kostenfrei
- VP Vance makes confirmation predictions for Gabbard, Patel and RFK, Jr: ‘Have to fight for each one’
- Live updates: Airport control tower was understaffed before crash; black boxes recovered
- Live updates: Airport control tower was understaffed before crash; black boxes recovered
- Salwan Momika, Man Behind Quran Burning in Sweden, Is Killed
- François Bayrou réticent sur la fin de vie, ses convictions religieuses interrogent les partisans du texte unique
- François Bayrou réticent sur la fin de vie, ses convictions religieuses interrogent les partisans du texte unique
- Crash à Washington : opération récupération pour Donald Trump
Friday, January 31