A première vue, on dirait une simple opération de chirurgie esthétique, tout ce qu’il y a de plus banal. Une femme d’une vingtaine d’années est filmée de près, allongée sur une table d’opération. Un tube métallique d’une dizaine de centimètres sort de son cou. A chaque va-et-vient, elle ferme les yeux, mais ne dit rien. Un bavoir chirurgical est posé sur sa poitrine, en cas de saignements. Hors-champ, la praticienne demande : “La douleur tu m’as dit, c’est combien sur dix ?”.C’est à ces mots que l’on reconnaît l’imposture. A ces gants aussi, trop noirs, trop brillants. Et puis un vrai chirurgien n’utiliserait pas de spray de supermarché à base d’eau de javel pour désinfecter ses outils. Il n’aurait pas gardé sa montre de fitness au poignet. Sur la table, la cliente incline la tête. Personne ne l’a démaquillée, elle a toujours ses bijoux malgré les risques d’infection. “Nan vraiment zéro, je ne ressens rien du tout”, finit-elle par répondre. Sans une once d’inquiétude.La vidéo a été postée il y a deux mois, par le compte The_bigbeautyyy, sur la plateforme Instagram. La praticienne qui l’utilise pour faire sa promotion n’en est vraiment pas une : elle ouvre, insère, aspire le gras et le sang de ses “patients” sans aucun des diplômes nécessaires. Un cas loin d’être isolé : L’Express a identifié plusieurs profils sur les réseaux sociaux proposant, comme elle, des actes de chirurgie esthétique sauvage, pour quelques milliers d’euros.Des opérations en plein salonCes “faux chirurgiens” reliés à aucune plaque ni cabinet officiel ont une audience non négligeable : plusieurs milliers de personnes les suivent. Ils sont récents – ouverts en 2024 – et anonymes. Les réservations se font uniquement via Instagram ou la messagerie Whatsapp. Un acompte est systématiquement demandé, avant chaque opération. Pour vérifier que les photos et vidéos postopératoires ne sont pas des faux, nous contactons l’un d’entre eux, “Muse Injection”. En quelques minutes, il confirme “prendre notre dossier”.La plupart du temps, une liposuccion est proposée. Sur les réseaux, l’acte, qui ne peut normalement être réalisé que par un chirurgien plasticien, est appelé “Lifting coréen”. Un terme tendance, mais qui n’a aucune existence dans la nomenclature officielle. Notre interlocutrice traduit : “Tu viens avec un double menton et tu repars littéralement sans”. Elle n’a, en tout et pour tout, qu’un baccalauréat et un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) d’esthéticienne.Le discours de la jeune femme a tout d’une vraie : “Je vais faire trois points d’incisions, un sous chaque oreille, et un sous le menton. Je vais insérer la canule (tige creuse) et aspirer tout le gras au niveau du menton, de la mâchoire, et du cou. Envoie-moi des photos, je te dise ce qu’il te faut”, nous dit-elle. Ses messages sont programmés pour s’effacer une fois reçus. Et son profil est réglé de telle sorte que les chirurgiens à des positions importantes ne peuvent pas voir son activité.L’alerte des chirurgiensMalgré ces précautions, la jeune femme s’est fait repérer. “Une patiente m’a téléphoné pour savoir si je faisais du Coréen, alors je suis allé voir sur Internet d’où ça venait”, indique Christophe Desouches, chirurgien esthétique opérant à Marseille. “J’ai averti Instagram, il y a eu des suppressions de compte, mais d’autres sont apparus. Des tournées sont proposées, à Nice, à Marseille, à Mulhouse, c’est dingue”, témoigne le praticien, très remonté. Comme lui, plusieurs chirurgiens ont envoyé des signalements à leurs représentants.Face à autant d’éléments, le Syndicat National de Chirurgie Plastique Reconstructrice et esthétique (SNCPRE) a tenu à sonner l’alerte. La formation, principal représentant de la profession, annonce à L’Express qu’elle va déposer plainte. “Certains de nos chirurgiens adhérents ont dû intervenir sur des victimes. Des patients présentaient des inflammations et des infections, la peau avait formé des nodules, des sortes de boules douloureuses et inesthétiques”, détaille Adel Louafi, son secrétaire général.L’inquiétude dépasse de loin le risque de ratés, de bosses ou de creux, ou l’absence de suivi : “Que de telles opérations clandestines, avec injection d’anesthésiants locaux obtenus sans autorisation, puissent se tenir au grand jour en France, qui plus est en région parisienne, c’est proprement incroyable. En 25 ans de carrière, je n’ai jamais vu ça. Si on ne connaît pas l’anatomie, les risques sont immenses, le moindre geste non maîtrisé peut s’avérer fatal”, énumèreAdel Louafi.De très vives inquiétudesLes “Lifting coréen” ciblent la plupart du temps le cou, zone qui abrite la carotide et la jugulaire.”Si ces vaisseaux sanguins sont ouverts, le patient décédera en quelques minutes”, poursuit le spécialiste. La moindre atteinte du nerf facial, non loin, pourrait également provoquer une paralysie, et faire perdre l’usage de la parole. “Sans parler des bactéries, des champignons, du risque d’hépatites ou d’infection par le virus du Sida. On parle d’un salon, ou d’une cuisine, qui ne sont pas des chambres stériles”, s’inquiète également le Dr Christophe Desouches, scandalisé.L’affaire est également arrivée aux oreilles d’Anne Souyris, sénatrice Europe Ecologie – Les Verts qui suit de près les questions sanitaires. “Ces comptes posent un grand problème de santé publique. J’ai saisi le procureur de la République, en ma qualité de sénatrice, pour exercice illégal de la médecine”, annonce-t-elle à L’Express. Et de pointer les faiblesses de l’arsenal juridique actuel : “En 2023, nous avons adopté une loi qui punit la promotion de la chirurgie esthétique. Elle est censée empêcher la prolifération de ces actes de contrebande. Sauf que le texte ne cite que certains actes, et pas la liposuccion. Il va falloir y revenir”, soupire la parlementaire.La législation dont parle Anne Souyris a été écrite pour lutter contre les “fake injectors”, les “fausses injectrices”, ces filles qui se procuraient de l’acide hyaluronique pour gommer les rides. Le produit n’est plus en vente libre. Les comptes qui proposent des liposuccions offrent un remplacement : des injections de “Lemon Bottle”, un liquide verdâtre, censé contenir des vitamines capables de dissoudre le gras, et soi-disant très apprécié en Corée.En mars 2024, le gendarme suisse du médicament Swissmedic a lancé une alerte sur la composition du Lemon Bottle, jugée très incertaine et inadaptée à l’injection. Contactée, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) indique que le produit ne dispose d’aucune autorisation de mise sur le marché. De fait, toute tentative de dissoudre du gras par injection est interdite en France, à cause de graves risques pour la santé. Et ce depuis 2011.
Source link : https://www.lexpress.fr/sciences-sante/apres-les-fakes-injectors-linquietant-essor-des-faux-chirurgiens-esthetiques-le-moindre-geste-peut-HCQ5GCZEQ5E6VOTGF2PBQ3RUDY/
Author : Antoine Beau
Publish date : 2025-01-28 18:45:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
Trending
- NHS warns ‘call 999’ if you spot these two life-threatening signs of a blood clot
- Frozen chicken nuggets recalled over bone fragment fears
- Plane with 64 onboard crashes near Washington DC after collision with military helicopter – follow live
- Sinkhole in Japan widens as rescuers try to save truck driver
- Neues Ermittlerteam der ARD: Krimi aus Brandenburg: Finden die Raaben das entführte Kind?
- American Airlines plane crashes in Washington DC after midair collision with Black Hawk helicopter
- Passagierflugzeug kollidiert mit Militärhubschrauber
- Flugzeugunglück: Passagierflugzeug kollidiert über Washington mit Militärhubschrauber
Thursday, January 30