Eux qui pensaient avoir dépassé ce stade. Mercredi matin, à Strasbourg, on s’agite au Parlement européen. Les parlementaires de différents partis tiennent une réunion concernant l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. En discussion : une résolution transpartisane déposée par les eurodéputés pour demander sa libération. Les négociations étaient bien entamées, les accords quasiment conclus entre les différents partis. Changement de pied. La gauche et le centre refusent de s’associer à l’extrême droite. Le Rassemblement national, et le groupe PFE (Patriots for Europe) dans lequel il siège, sont donc invités à se retirer. Encore raté.Le Rassemblement national a beau présider le troisième groupe le plus important du Parlement européen, avoir remporté les élections de juin 2024 en faisant élire 30 de ses représentants (sur 81 eurodéputés français), son statut de paria lui colle à la peau. A Bruxelles comme à Strasbourg, le parti lepéniste n’a obtenu, mis à part la présidence de groupe de Jordan Bardella, aucun poste clé. Aucune vice-présidence, présidence de commission, ou autre place de questeur. Pour beaucoup de nouveaux élus, qui espéraient faire de ce siège un avant-poste de la dédiabolisation, c’est la désillusion. “Il faut apprendre à utiliser ce poste dans les conditions qui nous sont données, mais on est complètement mis de côté, déplore un parlementaire RN. Ça nous prive d’un pouvoir d’initiative, et même d’un pouvoir tout court, on a beaucoup de mal.”Des tentatives infructueusesCertains tentent, malgré tout, de montrer patte blanche. Juillet 2023. La salle se vide, à Bruxelles, après la première réunion de la sous-commission “Droits de l’homme”. Mathieu Valet, eurodéputé RN, s’approche de Mounir Satouri, son homologue écologiste, qui vient d’être élu président de la sous-commission, et tente une approche. “Merci beaucoup d’avoir respecté mon courant politique… Vous savez, moi aussi je suis fils d’immigrés.” L’intéressé reste perplexe. Autre décor, même procédé. Après une prise de parole en réunion, l’élu macroniste Bernard Guetta sent une légère pression sur son épaule. Derrière lui, Malika Sorel, élue frontiste (numéro 2 sur la liste de Jordan Bardella en juin) lui glisse un petit papier : “Bravo M. Guetta !” Les exemples sont légion. “On a l’impression qu’ils tentent par tous les moyens d’obtenir une reconnaissance, de contourner par des moyens humains un ostracisme politique”, commente un élu centriste. Mais sept mois après l’élection, rien n’y fait. Le RN reste persona non grata.Pourtant, au Parlement européen, les équilibres politiques ont été bouleversés par les dernières élections. L’instance penche désormais très largement à droite et les extrêmes droites, aujourd’hui, sont représentées par trois groupes. Les Patriotes pour l’Europe (PFE, où siège le Rassemblement national), l’Europe des Nations souveraines (ENS, où siège Sarah Knafo, membre de Reconquête), et les Conservateurs et réformistes européens (ECR, où siègent Marion Maréchal et les représentants de son parti), soit 187 sièges au total, dont 35 Français. Le groupe ECR, cependant, n’est pas frappé du même ostracisme, et participe régulièrement à des coalitions avec les représentants de ces courants. “Donc les zemmouristes, eux, sont considérés comme respectables, alors que nous, on est la réincarnation du diable”, s’étouffe un frontiste.Activité favorite de l’extrême droite : se tirer dans les pattesLe contexte permet toutefois aux lepénistes, zemmouristes et autres maréchalistes de s’adonner à leur activité favorite : se tirer dans les pattes. A Bruxelles comme à Strasbourg, on s’échine donc à démonter la crédibilité de ses rivaux (pourtant parfois alliés, ne cherchez pas à comprendre). Dernier exemple en date : 12 décembre au Parlement européen, la majorité des présidents de groupes écarte l’idée d’un débat sur l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur. Lors d’une réunion préalable, le groupe ECR dans lequel siège Marion Maréchal s’était prononcé pour la tenue d’un tel débat. Qu’importe, dans la foulée, le RN publie un visuel. On y voit Marion Maréchal aux côtés de Raphaël Glucksmann, Valérie Hayer et François-Xavier Bellamy. Comme eux, elle est accusée, et le groupe ECR avec elle, de refuser la tenue d’un débat. “Nos alliés italiens et polonais étaient outrés de se faire attaquer publiquement par le RN sur un sujet aussi sensible”, commente-t-on chez Identité-Libertés (le parti de Marion Maréchal). La publication sera supprimée.Largement représentée au Parlement européen, l’extrême droite française n’y est pas plus unie que sur le territoire national. Mais le rapport de force a basculé ici en faveur de la droite, lui offrant de nouvelles perspectives. Des possibilités d’alliance, notamment, avec le groupe PPE, où siègent les représentants de la droite française dont François-Xavier Bellamy. Condamné à la précédente mandature à nouer des alliances avec la gauche et le centre, le PPE a désormais la possibilité d’une majorité alternative, s’il additionne ses voix à celle de l’extrême droite. Ainsi, en octobre, cette coalition a voté un texte visant à reconnaître l’opposant Edmundo Gonzalez Urrutia comme le “président légitime, élu démocratiquement, du Vénézuela”. En novembre, l’alliance a réussi à reporter la loi européenne sur la déforestation. Si la position du RN ne lui permet pas d’exister en tant que tel, il peut désormais servir de force d’appoint pour la droite européenne qui n’a plus de réticence à faire des lepénistes leurs alliés circonstanciés. “Il y a deux majorités alternatives, pour le PPE c’est la position idéale, assure François-Xavier Bellamy. Dans le dernier mandat c’est Renew qui était dans cette situation, là on a une coalition soit avec Renew soit avec les autres groupes de droite, il n’y a plus de majorité sans nous, et si les groupes de gauche ne veulent pas collaborer, on a qu’à se tourner vers notre droite.”Le RN, désormais force pivotUne configuration nouvelle, qui, sans faire du RN une force décisionnaire, le consacre comme un groupe pivot. Mais le groupe PFE est loin de constituer une force unie et indivisible. Entre les élus du parti de Jordan Bardella et leurs alliés, il existe de nombreuses divergences, parfois capitales. Sur les questions économiques, sociétales ou de politique étrangère, il est courant que les frontistes ne soient pas alignés avec les positions des Hongrois du Fidesz de Viktor Orban. “Le groupe PFE, c’est plus une addition de délégations qu’un groupe avec une vraie cohérence idéologique”, assume un membre. Les Hongrois sont notamment favorables à la signature d’un accord entre l’Union européenne et le Mercosur, alors que le RN s’y oppose vigoureusement. Les positions très conservatrices des eurodéputés hongrois, notamment sur les droits des femmes, sont aussi loin de l’image que souhaitent renvoyer les élus lepénistes, à l’Assemblée nationale notamment.Sur les questions internationales, alors que Jordan Bardella s’échine à gommer le tropisme prorusse qui colle à la peau de son parti, les multiples prises de position de Viktor Orban en faveur de Vladimir Poutine le poussent parfois à tempérer cette ligne. Il a ainsi condamné la première résolution du nouveau Parlement, réaffirmant le soutien de l’UE à l’Ukraine sous la forme notamment d’une aide financière normalisée, et dénoncé le voyage de Viktor Orban à Moscou, après s’être rendu à Kiev, alors que la Hongrie présidait le Conseil de l’UE.Domination hongroiseCertains frontistes l’assurent : malgré la présidence de groupe attribuée à Jordan Bardella, ce sont bien les Hongrois qui mènent la danse. “Ils décident de tout, et nous on exécute”, confesse, dépité, un cadre frontiste. Selon des participants, les conférences des présidents de groupes sont largement délaissées par le chef de parti, laissant la main à la première vice-présidente du groupe PFE, la Hongroise Kinga Gal. “C’est sûr qu’il bosse moins que les autres eurodéputés, concède un élu RN, mais bon, il doit aussi gérer le parti, et ça ne gêne pas le fonctionnement du groupe.”Le transfert de Jordan Bardella à la commission des Affaires étrangères devait, selon ses proches, “lui donner une envergure”. “On ne le voit pas souvent, et quand il est présent, il ne marque pas les réunions par ses prises de position”, persifle un eurodéputé Renew. Résumer l’état d’esprit de la délégation frontiste à l’Assemblée, ce sont encore leurs alliés qui le font le mieux : “La stratégie du RN à Bruxelles, c’est profiter un maximum de l’argent tout en minimisant la prise de risque.” L’analyse est signée Identité-Liberté. Quand on a des amis comme ça…
Source link : https://www.lexpress.fr/politique/au-parlement-europeen-le-perpetuel-isolement-du-rn-de-jordan-bardella-rivalites-cordon-sanitaire-2PCJCETQ5RDCBOIUCORJPKBW2I/
Author : Marylou Magal
Publish date : 2025-01-27 15:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
Trending
- L’année 2024 nous a donné ces 8 images insolites
- Dilemme de beaux-parents : « Ce n’est pas en obligeant l’enfant de son conjoint à manger des haricots verts qu’on va créer un lien »
- Meurtres de Maëva et Martin près de Deauville : Le trentenaire suspect mis en examen
- Un rappel de produits Coca concerne spécifiquement la France, ces boissons sont peut-être chez vous
- Climat : le réchauffement a rendu les incendies de Los Angeles 35 % plus probables, selon une étude
- BFM Business : la suppression d’une « story » sur les difficultés de Tiffany & Co. inquiète la rédaction
- Loi immigration, un an après : « Les personnes en situation administrative précaire mises au ban de la société »
- Tourné vers la présidentielle, David Lisnard prend la «résolution ardente» de faire gagner les idées de son parti Nouvelle Energie
Wednesday, January 29