[ad_1]
“Une partie des associations se sont dévoyées”. Dans une interview accordée à L’Express ce 21 janvier, le ministre de l’Intérieur a mis en cause les associations humanitaires d’aide. Bruno Retailleau critique ces acteurs de mission ou d’aide aux migrants, estimant que certaines exercent ces actions de délégation de service public “sans la moindre neutralité”. “Qu’une association ait un agenda politique, veuille promouvoir une politique d’accueil massif de l’immigration, c’est son choix, a-t-il déclaré. Ce qui est choquant, c’est quand ces associations profitent des financements de l’Etat pour promouvoir d’autres politiques publiques que celles que l’Etat veut défendre”.Parmi elles, le locataire de Beauvau cible notamment la Cimade, association de solidarité et de soutien aux migrants, réfugiés et demandeurs d’asile. “Quand la Cimade organise des ‘Charters Awards’, en classant les préfets en les livrant à la vindicte, ce n’est pas acceptable”, a-t-il ciblé, affirmant que “certaines de ces associations conseillent même aux migrants de ne pas se rendre aux rendez-vous consulaires pour bloquer leur identification”. Dans un entretien à L’Express, Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de La Cimade, répond aux propos du ministre de l’Intérieur.L’Express : Dans son entretien auprès de L’Express, Bruno Retailleau pointe certaines associations, dont la Cimade, les décrivant comme ayant “un agenda politique”. Qu’en pensez-vous ?Fanélie Carrey-Conte : Je constate la méconnaissance du droit et le non-respect de la liberté associative qu’exprime le ministre dans son approche. Ses propos sont, de notre point de vue, extrêmement préoccupants. Que fait la Cimade ? Comme bien d’autres associations de solidarité, elle pointe régulièrement les manquements des administrations et des pouvoirs publics par rapport aux engagements internationaux de la France, aux règles légales, en matière de droit des étrangers. A ce propos, M. Retailleau reproche donc à la Cimade de dénoncer des pratiques abusives et illégales des administrations. Sa responsabilité devrait être de faire cesser ces manquements, pas de nous critiquer lorsqu’on les dénonce.Comprenez-vous les reproches qu’il fait quant à votre positionnement politique, alors que vous exercez une mission de service public ?Notre association s’exprime aussi pour porter dans le débat public une autre vision de société, une demande de changement de paradigme des politiques migratoires, que nous voulons voir fondées sur l’accueil et la solidarité. Elle exprime ces points de vue, avec la liberté que garantit notre démocratie, dans le respect du principe de liberté d’expression et de l’état de droit. On attendrait d’un ministre de l’Intérieur qu’il soit le garant du cadre légal et des libertés publiques, des éléments qui ne devraient pas être mis en cause sous prétexte d’octroi de financements publics. Au lieu de cela, nous voyons que sa priorité semble être de surenchérir sur les attaques dont la Cimade et d’autres associations font déjà régulièrement l’objet dans le débat public.Par exemple quand elles sont accusées de tous les poncifs ; un jour complices des passeurs, l’autre des terroristes… Ce qui leur vaut régulièrement cyberharcèlement et autres menaces, de déconsidérer notre rôle, de nous menacer de définancements… Nous pensons que les associations qui s’investissent au quotidien pour l’entraide, la solidarité, le respect des droits et la dignité de toutes et de tous font l’honneur et la fierté de notre pays. Les propos du ministre sont aux antipodes de cela. Nous estimons que cela est inquiétant et triste pour notre pays.Il évoque notamment la question des “Charters Awards” et estime que vous livrez les préfets “à la vindicte”. D’où vient cette initiative ? Que pensez-vous de cette déclaration ?Les “Charters Awards” sont une initiative qui s’est déroulée en novembre dernier. Elle avait pour but d’utiliser l’humour comme un support pour évoquer des choses graves et douloureuses. Imaginée à l’occasion des 40 ans des centres de rétention administrative (CRA), elle avait pour objectif de pointer les pratiques illégales et abusives des préfectures et des administrations en matière d’enfermement et d’expulsion des étrangers. Je précise que ces pratiques sont condamnées par différentes juridictions, comme la Cour européenne des droits de l’Homme. Nous ne ciblions donc pas des personnes, mais bien des pratiques et des orientations politiques. Ces dernières entraînent sur le terrain un certain nombre d’abus, de manquements au droit. Je parle d’enfermement des personnes vulnérables, de malades. Je parle de séparation de familles, d’expulsion vers des pays à risque. Nous constatons que ces dénonciations posent problème au ministère de l’Intérieur. Mais là encore, au lieu de s’en prendre à la liberté de témoignage et d’expression des associations, sa responsabilité devrait être de faire cesser ces pratiques illégales. De garantir le respect des lois et le droit des personnes.Bruno Retailleau indique que “certaines de ces associations conseillent même aux migrants de ne pas se rendre aux rendez-vous consulaires pour bloquer leur identification”. Ces propos sont-ils fondés ?Je suppose que le ministre parle des associations intervenant dans les CRA. Je crois surtout qu’il ne comprend pas leur rôle, ou qu’il ne sait pas ce qu’elles font. Ces associations exercent dans les CRA le rôle qui leur est assigné par la loi, à savoir celui d’informer les personnes de leurs droits et de leurs procédures. Elles informent ainsi les personnes de la raison de ces rendez-vous consulaires, mais aussi des risques auxquels s’exposent ceux qui refusent une présentation consulaire ou une expulsion. La loi prévoit des condamnations pour ces refus. La Cimade est d’ailleurs tout à fait au courant : nous dénonçons régulièrement ces délits qui sont spécifiques aux personnes étrangères et qui viennent s’ajouter à la procédure complexe et aux répressions dont elles font déjà l’objet.Pouvez-vous revenir sur le rôle des associations comme la Cimade dans les CRA ?Dans ces centres, les associations interviennent dans le cadre d’un marché public, pour l’aide à l’exercice effectif des droits, une mission définie dans le cadre de la loi. Cela veut dire apporter une aide juridique aux personnes enfermées : les informer sur les procédures auxquelles elles sont soumises, leur expliquer leurs droits et les différentes procédures de recours qui peuvent exister, leur en permettre un accès effectif. Rappelons que les associations intervenant dans les centres de rétention ne sont pas décisionnaires à propos des situations des personnes retenues.Bruno Retailleau évoque également le fait de passer par une disposition législative pour que “l’Etat reprenne la main sur certaines délégations de service public, par exemple en ce qui concerne les conseils juridiques aux migrants”. Que pensez-vous de cette proposition ?On peut voir derrière cette envie de “reprendre la main” une remise en cause de l’indépendance de ces mission. Il faut noter d’ailleurs que le ministre parle de “conseils juridiques aux migrants”, et non d’aide à l’exercice effectif des droits, comme le dit aujourd’hui la loi. Nous avons surtout le sentiment que le ministre vise dans ses critiques le rôle de vigie citoyenne joué par les associations. Nous communiquons sur des sujets d’intérêts publics et jouons un rôle d’alerte essentiel. Nos propos éclairent, a fortiori, des lieux de privation de liberté, qui sont par essence cachés des regards. Dans le moment politique que nous vivons, il nous semble essentiel de témoigner et que la liberté de parole et d’expression des associations soit pleinement garantie.Le ministre estime la France “trop généreuse” car elle est “le pays d’Europe qui accorde le plus de visas : plus de 25 % des visas délivrés par les pays européens”. Quel est votre point de vue sur la question ?Je ne rentrerai pas dans un débat sur les chiffres. Il est insupportable que les enjeux migratoires soient uniquement vus sous l’angle du “trop plein migratoire”. Les discours politiques – du ministre de l’Intérieur actuel comme de ses prédécesseurs – ont toujours cette tonalité. Ils présentent la migration comme une menace, un danger, au détriment de la réalité. C’est insupportable. Cela revient à alimenter le rejet, la peur de l’autre, des divisions dangereuses pour notre avenir collectif. La Cimade a été créée il y a 85 ans pour dénoncer ces visions, et nous continuerons d’être au rendez-vous pour continuer à le faire. D’autres avenirs sont possibles, qui n’évoquent pas en permanence la stigmatisation des migrations. Ce propos est politique, oui, car il défend l’Etat de droit, la démocratie, et les droits fondamentaux des personnes.
[ad_2]
Source link : https://www.lexpress.fr/societe/bruno-retailleau-ereinte-la-cimade-le-ministre-de-linterieur-montre-une-meconnaissance-du-droit-J6QUYVOTZNEHHBCFCBUE5TX5KM/
Author : Alexandra Saviana
Publish date : 2025-01-23 11:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.