Même si ce n’est pas son intention, le nouveau rapport de la Cour des comptes donnera sans doute du grain à moudre aux antinucléaires. Il rappelle que la rentabilité des EPR est au mieux incertaine, au pire médiocre. Pour Flamanville 3, dans un scénario où les prix de vente de l’électricité n’atteignent pas 90 euros par mégawattheure, il paraît difficile d’envisager une rentabilité de 2 %, notent les experts. Et pour atteindre une rentabilité de 4 %, il faudrait un prix de vente de plus de 138 euros. Or, il était de 77 euros le mois dernier et en dessous de 50 euros avant la pandémie de Covid-19. « Le nucléaire fait pourtant bien partie des solutions pour l’avenir », assure Franck Gbaguidi, directeur du développement durable chez Eurasia Group. À condition de bien cadrer son développement, ce qui passe notamment, par des hypothèses plus réalistes du côté d’EDF.L’Express : La Cour des comptes pointe du doigt la rentabilité du réacteur Flamanville 3. Elle dénonce aussi le flou entourant celle des futurs EPR. Doit-on s’inquiéter ?Franck Gbaguidi : On sait depuis longtemps que la rentabilité des grosses installations nucléaires n’est pas très élevée. Il y a quatre ans, la Cour des comptes publiait déjà un rapport épinglant les dépassements sur le chantier de Flamanville et donc l’impact sur la rentabilité du projet. On pourrait être tentés de relativiser le problème. Après tout, lorsqu’on regarde l’ensemble de la politique énergétique de la France, la rentabilité des EPR n’est qu’un élément à considérer parmi d’autres. La relance de l’atome va créer des emplois. Elle nous permet d’exporter de l’électricité. Elle va aussi renforcer notre sécurité énergétique, un thème qui a particulièrement résonné lors des dernières élections présidentielles et après la crise énergétique déclenchée par l’invasion de l’Ukraine. Cependant, le message de la Cour des comptes, c’est surtout de dire : attention, il ne faudrait pas que la rentabilité des futurs EPR passe d’un chiffre proche de zéro à rien du tout. Car cela créerait une cascade de problèmes économiques, voire environnementaux. Le ton employé dans le rapport est plus sévère qu’il y a quatre ans, car une partie des préconisations n’ont pas été suivies.Quels sont les éléments qui, selon vous, exaspèrent le plus les magistrats de la Cour des comptes ?Tout d’abord, les délais de construction des réacteurs, et les surcoûts qui vont avec. Il y a dans ce domaine des dépassements importants et systématiques. Certes, pour éviter les dérives observées pour les EPR d’Olkiluoto en Finlande, de Hinkley Point au Royaume-Uni ou de Flamanville en France, EDF a mis en place une nouvelle organisation. Mais aujourd’hui, en moyenne dans le monde, il faut 12 à 13 ans pour achever la construction d’un réacteur. Or, EDF défend l’idée qu’elle pourra le faire en sept à neuf ans. C’est une chimère. D’autant qu’il existe de nombreuses incertitudes. Par exemple, le développement des énergies renouvelables va entraîner un afflux d’électrons bon marché en France, et ces énergies sont de plus en plus prioritaires sur le réseau ce qui contraint le facteur de charge des réacteurs nucléaires. Par ailleurs, la demande d’énergie pour ces prochaines années est difficile à prévoir. Ces éléments sont susceptibles de peser sur la rentabilité des futurs EPR. Dans son rapport, la Cour des comptes demande donc aux acteurs de la filière de se montrer plus prudents sur les estimations de ces variables. Car l’écart avec la réalité grandit.La Cour des comptes demande aussi à la France de freiner le déploiement des nouveaux EPR s’il demeure trop d’incertitudes sur la rentabilité ou le design des réacteurs. EDF pourrait même devoir faire une croix sur certains projets à l’étranger ! C’est un message fort.Absolument. Le rapport recommande de « retenir la décision finale d’investissement du programme EPR2 jusqu’à la sécurisation de son financement et l’avancement des études de conception détaillée ». Il recommande aussi de « s’assurer que tout nouveau projet international dans le domaine du nucléaire soit générateur de gains chiffrés et ne retarde pas le calendrier du programme EPR2 en France ». Si on prend cette consigne au pied de la lettre, cela signifie qu’EDF pourrait avoir à freiner ses ambitions à l’étranger, pour s’assurer en priorité du bon développement de la filière en France. C’est de la bonne gouvernance. Mais le message tranche avec l’impression actuelle d’une filière faisant feu de tout bois.
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Author : Sébastien Julian
Publish date : 2025-01-14 18:33:00
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