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Conférences TED : pourquoi la magie n’opère plus, par Julia de Funès

Conférences TED : pourquoi la magie n’opère plus, par Julia de Funès




Rond rouge, poursuite lumineuse, salle obscure, micro-casque, gestuelle maîtrisée, quelques anecdotes saupoudrées d’humour sur fond de storytelling positif : voici le tableau devenu emblématique des conférences TED et TEDx. Dix-huit minutes, pas une de plus. Au-delà, les neuroscientifiques les plus affûtés le certifient, l’attention du public vacille et s’éparpille. A l’origine, ce format de conférence était une bouffée d’air frais dans l’univers souvent compassé de la prise de parole publique. Pourtant, aujourd’hui, le charme se dissipe. Naguère pionnière, TED devient la répétition aveugle d’une chorégraphie sans originalité, la parodie fatiguée d’une époque qui se voulait moderne. Pourquoi ce qui semblait novateur hier nous apparaît-il aujourd’hui comme une mécanique usée ?La démocratisation du format a joué un rôle. Les grandes conférences TED, vitrines internationales du talent oratoire, ont enfanté des TEDx, déclinaisons locales où chaque intervenant doit se plier à un code strict pour conserver le précieux label. Il ne s’agit plus seulement de diffuser au plus grand nombre des idées, mais de le faire « à la manière de ». La forme prime sur le fond, le format devient formatage, le jeu le principal enjeu. Un format a l’avantage d’offrir une sécurité car il est bien plus facile de se réfugier derrière un rôle déjà écrit que de convoquer la totalité singulière de sa personne pour oser l’aventure d’être soi-même. Mais cette sécurité est trompeuse, car les rôles demandés forment avec le temps des canevas sournois dans lesquels les orateurs s’enferment parfois eux-mêmes jusqu’à devenir les caricatures d’un modèle. A force de jouer une partition codifiée, les conférenciers deviennent des pantins. La spontanéité, la personnalité et la singularité s’effacent peu à peu derrière le calibrage.Tout est parfaitement huilé, mais quelque chose sonne faux. C’est que le conformisme comportemental mécanique et répétitif imposé par le formatage standardisé des conférences TED n’a rien à voir avec la mécanique précise et la répétition patiente que suppose le véritable art oratoire. C’est là qu’il convient de distinguer l’habitude du conformisme. L’habitude est une alliée précieuse, mais le conformisme est un poison subtil. Sans les habitudes, nos actions exigeraient une attention accrue, ce qui serait épuisant. Grâce à l’habitude, à la répétition, l’esprit n’a plus besoin d’anticiper et de se souvenir, il adhère au seul présent et l’action est alors facilitée. Lorsque l’on apprend un morceau de piano, tous les mouvements exécutés au début sont conscients. Par la répétition, ils deviennent de moins en moins délibérés, jusqu’au moment où ils deviennent « automatiques ». On sait alors jouer le morceau sans penser à son doigté. L’activité s’est imperceptiblement transformée en habitude pouvant faire place à quelque chose de plus créatif, de plus personnel, ou d’improvisé.Retrouver la nécessité du temps longL’improvisation ne surgit jamais du néant, mais d’une expérience solide, patiemment construite. Elle est la liberté au sein de la rigueur. Le conformisme, quant à lui, se contente de reproduire des signes extérieurs : une posture, un ton, une gestuelle qui semblent dire voici l’orateur parfait. Mais ce masque bien ajusté n’est qu’un rôle de composition qui fige, étouffe et éteint. Il enferme l’orateur dans une régularité où la liberté créatrice n’a plus sa place. Voilà le conférencier semblable à un écolier appliqué récitant sa poésie sans trébucher, mais sans âme. Or ce qui marque dans une prise de parole, ce n’est pas la répétition stéréotypée d’un rôle, mais l’originalité d’un style : la tonalité unique d’une voix singulière qui parle de tout son être, avec ses propres inflexions, son propre timbre, son propre rythme, ses propres notes.Chaque époque produit ses archétypes et ses caricatures. L’orateur TED, avec son sourire calibré et ses pauses calculées, est devenu malgré lui une marionnette moderne, un personnage de comédie. Il est temps de sortir de cette théâtralité. De délaisser l’illusion des recettes comportementales prêtes à l’emploi pour retrouver la nécessité du temps long, de la répétition fertile, de l’habitude constructive, qui seule permet la maîtrise, l’assurance, puis l’aisance. Ce que Nietzsche appelait : « le grand style ».* Julia de Funès est docteur en philosophie.



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Author : Julia De Funès

Publish date : 2025-01-13 11:00:00

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