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L’Express

Ce que la science peut nous apprendre du « sexting », une pratique en plein essor chez les Français




Des swipes, des dates et des sextos, la sexualité des Français se prolonge et se réinvente aussi dans l’espace numérique. Et les chercheurs s’intéressent de près à cette évolution des comportements sexuels, comme le montre une enquête de l’Inserm publiée le 13 novembre 2024. Menée sur une période de cinq ans, elle porte sur un échantillon de 31 518 individus représentatifs de la population âgée de 15 à 89 ans vivant en France. Cette enquête très complète – la sexualité des Français n’avait pas été à ce point explorée par les chercheurs depuis 2006 – offre une cartographie de la sexualité des Français. Elle comprend donc les comportements sexuels dans les espaces numériques, dont les applications de rencontre, mais également une pratique qui prend de plus en plus d’ampleur au sein de la population : le sexting.Des chiffres inédits sur la prévalence du sextingLe sexting est la contraction de sexe et texting. Il désigne « l’envoi, la réception ou la transmission de messages sexuellement explicites ou d’images numériques nues, partiellement nues ou sexuellement suggestives de soi-même ou d’autres personnes par l’intermédiaire d’un téléphone portable, d’un courrier électronique, d’Internet ou d’un réseau social ». Le sexto peut prendre la forme de messages textuels mais aussi des images et des vidéos.La littérature scientifique met en évidence deux formes de sexting. D’une part, l’échange consenti entre deux partenaires de contenus médiatiques à caractère sexuel. Il s’agit simplement de la prolongation dans le monde numérique d’une facette du comportement sexuel des adultes. Cette forme de sexualité numérique entre partenaires peut d’ailleurs avoir des effets positifs sur leurs relations intimes.Il existe aussi le sexting non consenti, qui s’inscrit dans la catégorie des violences sexuelles numériques et qui est puni par l’article 226-2-1 du Code pénal. Dans cette forme de sexting, les personnes s’engagent dans l’envoi de contenu à caractère sexuel ou encouragent d’autres à le faire avec des intentions malveillantes et peuvent également détourner ce contenu à mauvais escient. L’exemple le plus connu de sexting non consenti est ce qu’on appelle couramment la « dick pick », qui correspond à l’envoi des parties génitales d’un homme, le plus souvent à une femme. Mais il existe d’autres formes de violences sexuelles en ligne comme le revenge porn, qui consiste à se venger d’une personne en rendant publics des contenus pornographiques où figure cette dernière, en vue de l’humilier. Ces contenus peuvent être réalisés avec ou sans l’accord de l’intéressé(e), mais sont diffusés sans son consentement.Une pratique à risques courante chez les jeunesUn des résultats marquant de l’enquête conduite par l’Inserm est que les comportements de sexting prennent une ampleur importante chez les jeunes adultes. Dans l’ensemble de la population, 13,8 % des femmes et 17,9 % des hommes âgés de 18 à 89 ans ont déjà envoyé des sextos au cours de leur vie. Chez les jeunes, la pratique est bien plus courante : parmi les 18-29 ans, 36,6 % des femmes et 39,6 % des hommes ont déjà envoyé une image intime au cours de leur vie, tandis que 47,8 % des femmes et 53,6 % des hommes de cette tranche d’âge en ont déjà reçu. Cette enquête aborde également la question du consentement dans le sexting. Les résultats montrent que 54,8 % des femmes et 68,7 % des hommes ont explicitement donné leur consentement pour recevoir une image à caractère sexuel. En revanche, 16,6 % des femmes et 25 % des hommes indiquent ne pas s’être interrogés sur cette question, tandis que 28,7 % des femmes et 6,3 % des hommes déclarent ne pas avoir consenti à recevoir de telles images.En ce qui concerne les violences sexuelles numériques liées au sexting, notamment la réception non sollicitée de messages ou d’images intimes ou sexuelles et la diffusion à son insu d’images intimes, 13,1 % des femmes et 12,8 % des hommes déclarent avoir été confrontés une fois dans leur vie à cette expérience négative. Ces chiffres sont particulièrement alarmants chez les jeunes de 18 à 29 ans : 33,2 % des femmes et 24,7 % des hommes de cette tranche d’âge rapportent avoir déjà vécu ce genre de situation.Les chiffres de cette enquête de l’Inserm sur les envois et la réception de sextos sont assez conformes à ce qu’on peut observer dans la littérature scientifique. Selon une méta-analyse regroupant 50 études internationales, 38,3 % des jeunes adultes ont déjà envoyé un sexto et 41,5 % en ont reçu, ce qui place les pratiques des Français dans la moyenne mondiale. La même méta-analyse estime également que 15 % des adultes ont déjà transféré un message à caractère sexuel sans le consentement de la personne concernée. Ce genre d’envoi est associé à une diminution de la qualité de la santé mentale et en particulier des symptômes de dépression, d’anxiété, des idées suicidaires et des tentatives de suicides.Pour mieux comprendre les raisons de ces envois de photos à caractère sexuel sans consentement, on peut se baser sur une enquête conduite cette fois par des chercheurs belges sur un échantillon de 218 adultes originaires de Belgique. Parmi eux, 169 ont déclaré avoir reçu un sexto sans y avoir consenti au préalable, et 63 % ont ensuite transféré ce sexto sans l’accord de la personne qui l’avait envoyé. Selon les auteurs, les envois de sextos non consentis sont principalement prédits par la réception de sextos eux-mêmes non consentis. Ces transferts seraient influencés par des décisions impulsives et par des mécanismes sociaux, comme des attitudes négatives envers le sexting ou une pression sociale encourageant la diffusion de ces photos sexualisées, souvent dans le but d’alimenter des rumeurs ou potins.L’éducation à la sexualité comme rempart aux risques du sextingUn des premiers leviers pour limiter l’impact de sexting non consenti est la mise en œuvre d’une législation adaptée permettant de condamner ces comportements de transmission et une information claire sur les peines encourues par les auteurs de ces transferts non consentis. En France, les auteurs qui transmettent des contenus sexuels à l’insu d’une personne ainsi que tous ceux qui relayent les contenus, images, vidéos ou propos à caractère sexuel risquent deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende. Pour prévenir les comportements de sexting non consenti, un autre levier peut être technologique avec la mise à disposition de système de filigrane numérique permettant à l’expéditeur de marquer le nom du récepteur dans le contenu envoyé. En cas de transfert, le récepteur malveillant pourra plus facilement être identifié et donc mis en cause quand une image ou une vidéo sexuelle est diffusée de manière non consentie.Au-delà des mesures législatives et technologiques, l’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité demeure un levier essentiel pour réduire les risques de violences sexuelles liées au sexting. Si les jeunes ne sont pas complètement naïfs face aux dangers de cette pratique, il est important qu’on leur enseigne plus clairement le consentement, les risques de certains comportements sexuels dans le monde numérique ainsi que leurs droits en termes de citoyenneté numérique.C’est justement l’objet du projet de programme pour l’éducation à la vie relationnelle, affective et à la sexualité (EVRAS) porté par de la direction générale de l’enseignement scolaire. Il constitue une véritable opportunité pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes en particulier celles intervenant dans les espaces numériques comme le sexting non consenti. Cependant, ce programme est déjà la cible de critiques virulentes de la part d’ultraconservateurs, avant même sa publication. Le contexte politique instable met également en danger ce projet. Il est important de dépasser les débats idéologiques pour soutenir ce programme et mettre fin aux violences sexuelles en ligne, qui concernent aujourd’hui 1 personne sur 8 en France.



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Author : Séverine Erhel

Publish date : 2024-12-28 15:00:00

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