Lorsque le gouvernement Pompidou est renversé le 5 octobre 1962, Michel Barnier vient de faire sa première rentrée au collège. Lorsque députés de gauche et d’extrême droite mêlent leur voix pour le faire tomber le 4 décembre 2024, il est à quelques semaines de célébrer ses 74 printemps. Entre-temps, six décennies ont défilé sans qu’aucun gouvernement ne soit censuré. Entre-temps, six décennies ont défilé sans qu’aucun gouvernement ne soit censuré. Mais alors, sait-on comment gérer une pareille crise ? Depuis quelques jours, élus et responsables politiques cherchent le mode d’emploi.La tâche s’avère plus ardue que prévu. Le maelström d’aujourd’hui n’est pas un calque de la crise de 1962. Le Premier ministre Georges Pompidou et son gouvernement n’avaient pas été censurés sur un texte budgétaire et le général de Gaulle avait pu dissoudre l’Assemblée nationale, et regagner une majorité. Des options dont ne dispose pas Emmanuel Macron, contraint d’attendre juillet pour convoquer de nouvelles élections législatives. A moins que…L’auto-dissolution, ou l’idée inapplicableDepuis la censure du gouvernement, un concours Lépine semble avoir été lancé. L’objectif affiché : trouver l’innovation institutionnelle qui permettra à la France de sortir de la crise dans laquelle elle s’est enkystée. Et certaines sont pour le moins originales. A l’image de la proposition du député des Français de l’étranger Stéphane Vojetta. Apparenté à l’ancienne majorité présidentielle, l’élu appelle ses 576 collègues du Palais Bourbon à… démissionner. Une forme « d’autodissolution » qui obligerait l’organisation de 577 législatives partielles.Si l’idée a le mérite d’être innovante, elle apparaît en tout point inapplicable. Tout d’abord, cela supposerait que la totalité des élus joue le jeu. Or, avec un hémicycle aussi fracturé qui n’a pas su s’accorder sur un texte budgétaire, les chances pour qu’un tel consensus soit obtenu sont maigres, voire inexistantes. Ensuite, « les élections législatives partielles ont lieu dans un délai de trois mois, ce qui voudrait dire ne pas avoir d’Assemblée nationale pendant ce temps, et par conséquent pas de budget 2025 avant le printemps », souligne Guillaume Drago, professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas Paris II.La tronçonneuse façon Milei ?Ce jeudi 5 décembre, à la tombée de la nuit, une nouvelle proposition est venue s’ajouter à la boîte à idées. Si l’Assemblée nationale ne parvient pas à voter de nouvelle loi, pourquoi ne pas « lancer une grande opération nationale de simplification des normes et de tous nos textes législatifs », déclare Guillaume Chaban-Delmas sur son compte X. Dans son message, le conseiller municipal de Bordeaux fait directement référence à l’Argentine, où des réformes drastiques ont été impulsées par Javier Milei fin 2023.Si l’idée semble être née au ministère de la Fonction publique sous Michel Barnier – Guillaume Kasbarian a félicité Elon Musk après sa nomination au ministère de l’Efficacité gouvernementale et s’est dit impatient de « partager les meilleures pratiques pour lutter contre l’excès de bureaucratie » – elle paraît en décalage avec les enjeux posés au Palais Bourbon. « L’Assemblée nationale est paralysée parce que les élus n’ont pas voulu entrer dans une logique de compromis », expliquait à L’Express Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas. »La solution doit d’abord être politique »Or, simplifier les textes ne renforcera pas la cohésion entre les différentes chapelles de la chambre basse. « La solution est davantage politique que juridico-institutionnelle », posent plusieurs constitutionnalistes d’une même voix. Peu avant le renversement de l’exécutif, Boris Vallaud a par exemple émis l’idée d’un « pacte de non-censure ». Comprendre, l’engagement de ne pas faire tomber le gouvernement sur un laps de temps prédéfini. Le chef de file des députés socialistes a été reçu à l’Elysée à l’heure du déjeuner ce vendredi. A ses côtés, le patron du parti à la rose, Olivier Faure, qui le matin même, s’est dit ouvert à un « contrat à durée déterminée » avec le feu socle commun.En filigrane, négocier sur un certain nombre de sujets avec le camp présidentiel et Les Républicains en vue de la formation d’un futur gouvernement. « Des propositions avant tout politiques qui n’ont pas de traduction juridique possible », décrypte Denys de Béchillon, professeur de droit public à l’université de Pau. Ainsi, l’espérance de vie de tels accords reposerait sur une relation de confiance entre les protagonistes et sur l’engagement moral vis-à-vis de leurs électeurs. « Que les responsables politiques aient compris que la réponse au problème n’était pas dans le changement des règles mais bien dans une façon nouvelle de faire de la politique est une bonne nouvelle », se réjouit le constitutionnaliste.Se garder de légiférer à chaudS’il peut sembler naturel qu’un vent de panique souffle sur le pays au moment où une crise politique inédite le touche, « gardons-nous de propager des idées fantaisistes », plaide Guillaume Drago dans le sillage de Denys de Béchillon qui martèle : « Il y a des règles du jeu, et c’est plus que jamais le moment de les respecter : l’Histoire montre que la Ve République est très plastique aux crises. La guerre d’Algérie, mai 1968, trois cohabitations… Tout s’est toujours passé d’une manière démocratiquement acceptable ».Alors, à l’heure où les tentations de « bidouiller » la Constitution fusent, Denys de Béchillon met en garde : « Abandonner ou modifier les règles qui nous protègent du chaos dans des temps troublés est une très mauvaise idée ». Motion de censure constructive à l’allemande, dissolution anticipée… Autant de propositions qui, outre leur faible impact sur la crise actuelle, nécessitent une révision constitutionnelle. Une entreprise qui, face à la physionomie des chambres parlementaires, relève de la mission impossible. Une source capée sourit : « Tant mieux, non ? »
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Author : Ambre Xerri
Publish date : 2024-12-09 11:04:00
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