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L’Express

Comment une organisation pilotée par l’Azerbaïdjan tente de déstabiliser la France en outre-mer

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Une campagne agressive, issue du sommet de l’Etat, majoritairement dirigée contre la France. C’est ainsi que l’on peut résumer l’action du Baku Initiative Group (BIG), organisation liée au pouvoir azerbaïdjanais, selon Viginum, le service de Matignon chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences étrangères. Dans un rapport publié ce lundi 2 décembre, que L’Express a pu consulter, le service dénonce un acteur « diffusant des contenus à la ligne éditoriale résolument hostile à la France ». Pour cela, le BIG entend « délibérément exploiter la situation politique et économique » dans les territoires d’Outre-mer et en Corse, et « instrumentaliser l’histoire de la présence française sur le continent africain pour des finalités malveillantes ». Avec peu de succès, toutefois : dans son rapport, Viginum relève que le BIG « n’a pas réussi à obtenir la visibilité probablement escomptée auprès des populations » des territoires visés. Un échec suffisant pour que l’opération soit surnommée « UN-notorious BIG », jeu de mots détournant le nom de Notorious B.I.G. (‘Notoirement Grand’, en VF), rappeur phare de la scène new-yorkaise dans les années 1990.Menant plusieurs campagnes numériques de juillet 2023 à octobre 2024 – la période analysée – le BIG a cherché à « remettre en cause l’intégrité territoriale de la France dans ses territoires ultramarins », en utilisant les mouvements et les idées indépendantistes. L’organisation a également tenté de renforcer ses liens avec des influenceurs panafricanistes afin d’accroître un discours agressif envers la France. Une action suffisamment coordonnée et notable – à la fois en ligne et en physique, à Bakou – pour que le rapport souligne « la volonté manifeste et persistante de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ». Et n’hésite pas à accuser le pouvoir azerbaïdjanais : « Il apparaît que le BIG peut être considéré comme une officine de propagande d’Etat contre la France, donc la stratégie consiste à instrumentaliser le débat public dans les Outre-mer pour servir les objectifs de politique étrangère de l’Azerbaïdjan ». « La France condamne fermement ces tentatives d’ingérences azerbaïdjanaises, renchérit-on au ministère des Affaires étrangères. Elle appelle l’Azerbaïdjan à retrouver la voie diplomatique pour traiter les différends bilatéraux et contribuer à la stabilité internationale ». »Le groupe d’initiative de Bakou est notre enfant »Le Baku initiative group est créé le 6 juillet 2023, à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan. A l’époque, ce dernier occupe la présidence du Mouvement des pays non-alignés, une organisation internationale d’une centaine d’Etats, qui revendiquent de n’être alignés avec aucune grande puissance mondiale. Le BIG est donc créé en marge d’une réunion ministérielle, après une table ronde organisée par un think-tank azerbaïdjanais fondé par décret présidentiel, Air Center. Cette table ronde, au nom de « Towards Complete Elimination of Colonialism » (« Vers l’élimination complète du colonialisme »), réunit déjà plusieurs membres de mouvements indépendantistes de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française, de Guyane, de Martinique, de Guadeloupe et de Corse. Elle annonce ce que deviendra le BIG, à savoir une organisation affirmant « lutter contre le colonialisme et le néocolonialisme ».Née au coeur du pouvoir à Bakou, l’organisation ne s’en éloignera jamais. Depuis l’automne 2023, elle est dirigée par Abbas Abbasov, qui a longtemps travaillé pour le fond pétrolier national d’Azerbaïdjan. Elle bénéficie d’un soutien assumé du président. « Le groupe d’initiative de Bakou est notre enfant », a déclaré Ilham Aliev en début d’année.Gestes et déclarations hostilesAdepte d’une présence numérique agressive, le BIG a notamment été impliqué dans une initiative de « dénigrement de députés allemands, irlandais, autrichiens de français de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe » le 25 janvier 2024. Mais aussi dans une campagne de doxing (la publication d’informations privées au sujet d’une personne sans son consentement) contre Anders Fogh Rasmussen, l’ancien secrétaire général de l’Otan. Des manoeuvres, note Viginum, destinées à « défendre les intérêts politiques du pouvoir azerbaïdjanais ». Dans chaque cas, les personnalités visées ont un point commun : elles sont accusées par les acteurs azerbaïdjanais d’être en lien avec le « lobby arménien ». Cet argument est récurrent dans les cercles proches du pouvoir, l’Azerbaïdjan étant en conflit avec l’Arménie au sujet d’une enclave territoriale dans le Caucase, le Haut-Karabakh.Paris, qui s’est « résolument engagé aux côtés de l’Arménie et du peuple arménien », selon les mots du Quai d’Orsay, notamment au travers de livraisons d’armes, est devenue une cible privilégiée de Bakou. « Depuis juillet 2023, l’Azerbaïdjan a fait le choix d’ouvrir une crise bilatérale avec la France, remarque-t-on au Quai d’Orsay. En dépit du maintien par la France d’une posture de dialogue par les canaux diplomatiques, les autorités azerbaïdjanaises ont multiplié les gestes et déclarations hostiles, encore récemment en instrumentalisant les négociations sur le climat tenues à Bakou pour viser la France et l’Union européenne ».Amplification inauthentiqueDès sa création, le BIG a mené plusieurs campagnes numériques – la première entre le 6 et 8 juillet 2023, les autres détectées entre septembre 2023 et février 2024 – contre la France. A chaque fois, un écosystème de plusieurs centaines de comptes (allant parfois jusqu’à près de 900) participe à « l’amplification inauthentique » sur la plateforme X de hashtags liant France et colonialisme. Dans la majorité des cas, ces utilisateurs mènent une action coordonnée, copient et collent les mêmes messages, usant régulièrement des mêmes illustrations – liées aux essais nucléaires français dans le Pacifique, ou à la colonisation. Ces campagnes peuvent être reliées à une actualité, comme l’organisation à Bakou par le BIG d’une conférence sur le néocolonialisme en octobre 2023, ou l’arrestation de deux militants du parti indépendantiste Nazione, le 2 février 2024.L’analyse des messages dénote ainsi de plusieurs obsessions : la France et son néocolonialisme supposé, d’abord. La Martinique par exemple est un des intérêts de l’organisation, ainsi que la Corse « devenue, à partir de février 2024, l’une des cibles privilégiées du BIG », souligne le rapport. Mais l’attention semble avant tout portée sur la Nouvelle-Calédonie, « territoire (qui) semble être le vecteur privilégié des actions du BIG sur cette période », et, chose étonnante, « avant même le déclenchement des émeutes à la mi-mai 2024 ». Leur activité en ligne pendant cette période et sa dénonciation dans un précédent rapport par Viginum, a toutefois conduit X à fermer plusieurs comptes de cet écosystème, entraînant « une baisse d’activité significative » sur la plateforme. Une fermeture qui ne les a pas empêchés d’agir par la suite. Opportuniste, le BIG n’a pas hésité à instrumentaliser chaque tension dans les territoires ultra-marins. En octobre, les manifestations contre la vie chère en Martinique ont ainsi été l’occasion de publier des contenus « visant à polariser le début public numérique francophone », observe le rapport. »La politique raciste » de la FranceConférences, événements en tout genre, rédaction de rapports… A partir du printemps 2024, l’organisation a déployé des trésors d’activité, tentant de tisser des liens de plus en plus étroits entre des mouvements indépendantistes et l’Azerbaïdjan. A chaque fois, une seule boussole : instrumentaliser l’héritage de la colonisation française. Le 18 avril 2024, une délégation de Nouvelle-Calédonie a même été reçue au parlement azebaïdjanais. Une réception en grande pompe, au cours de laquelle Omayra Naisseline, élue FLNKS-UC du Congrès calédonien, a signé un protocole d’entente « affirmant la reconnaissance par l’Azerbaïdjan du droite à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie ». Ces voyages et l’implication de Bakou ne sont pas une découverte pour Paris. Deux semaines plus tard, le 30 avril, un représentant du parti polynésien Tavini Huiraatira a paraphé à son tour un mémorandum. En septembre, le processus a été reproduit avec une délégation comorienne, cette fois en marge d’une conférence portant sur « la question de l’occupation illégale de l’île comorienne de Mayotte par la France ».Des textes sans fondements juridiques, mais qui servent à rapprocher Bakou des mouvements indépendantistes, affirmant le soutien du pouvoir à leur cause. Cet été, le BIG est d’ailleurs allé plus loin, organisant même une conférence consacrée aux « indépendantistes dans les territoires coloniaux français ». Son président est allé jusqu’à annoncer la création de « bourses d’études » allouées à des étudiants venant des territoires d’Outre-Mer. A cette occasion, le BIG a aussi apporté son soutien à l’arrivée d’un « Front international de Libération des dernières colonies françaises ». Au programme : « unir les efforts des colonies dans leur processus de décolonisation » et dénoncer « la politique raciste et les répressions » que mènerait la France dans ses territoires ultra-marins.Mais pas seulement : depuis la rentrée 2024, le BIG essaie désormais de se rapprocher des sphères panafricanistes. Le 7 octobre, le groupe a organisé une conférence, toujours à Bakou, sur « La politique française du néocolonialisme en Afrique ». L’influenceur panafricaniste Kemi Seba, et connu pour être proche de la Russie, était présent, une semaine avant son arrestation en France. Une interpellation largement dénoncée par les réseaux du BIG… sans qu’ils aient une réelle visibilité. Car d’après les analyses de Viginum, le « volume des interactions sous les publications du BIG est resté très faible ». L’activisme du groupe n’a pour l’instant pas porté ses fruits : l’organisation peine à s’implanter dans le débat public numérique francophone. « Un-notorious » BIG : pas très connu, donc ?

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Author : Alexandra Saviana

Publish date : 2024-12-02 10:57:00

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