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A chaque hommage, minute de silence, commémoration, j’ai la gorge qui se serre, le cœur en berne. Les massacres terroristes de militaires à Toulouse, l’école Ozar Hatorah, Charlie Hebdo, l’Hyper Casher, Clarissa Jean-Philippe, le stade de France, les terrasses parisiennes, le Bataclan, la promenade des Anglais à Nice. Chaque année, les mêmes souvenirs, les mêmes visages, les mêmes noms égrenés, les « tu étais où, toi ? » et le choc encore, comme au jour même, le choc de la mort violente au cœur de la cité, dans des lieux de vie, de sociabilité. Et puis Samuel Paty et Dominique Bernard. Peut-être parce que nous connaissons leurs traits, la littérature qu’ils aimaient, l’ambition pédagogique qui les animait, leurs familles, leurs passions, les derniers jours qui ont précédé leurs assassinats, peut-être parce qu’ils étaient professeurs, nous avons tous ressenti un sentiment de proximité, une insupportable attaque à nos intimités, à nos passés scolaires, à nos souvenirs d’école. Chaque année, quelque chose qui relève de l’inconscient collectif d’un peuple qui a en commun d’avoir fréquenté les mêmes établissements républicains, gratuits et laïques nous fait verser une larme en plus, une larme peut-être même égoïste, sur un temps que, l’âge s’accumulant, nous valorisons. Le temps de l’apprentissage, de la découverte, le temps où un mot du professeur, un encouragement, des félicitations ont bouleversé, accompagné, porté nos destins de mômes pas encore finis, qui ne savaient pas encore de quoi demain sera fait. Mais aucun de nous ne pouvait se douter qu’il serait fait du sang de nos professeurs, de décapitation en plein jour, du courage d’hommes qui faisaient leur métier et transmettaient la seule arme disponible contre les ténèbres : le savoir libérateur. »Des talents d’écrivain »A la question de quoi la laïcité est le nom, c’est le fronton d’une école de la République qui se dresse d’abord. Le lieu où naît le futur citoyen, le lieu où on apprend autre chose – différent de ce qui a été acquis en premier dans la cellule familiale, qui ne le concurrence pas mais la complexifie et l’enrichit, ouvrant la voie royale du choix. Même si la laïcité touche toutes les strates de la société, tous les représentants de l’Etat et crée les conditions du commun, c’est bien à l’école que nous pensons en premier quand surgit le beau mot de laïcité. C’est bien dans une salle de classe que se dessine, sur des visages qui ont encore les rondeurs de l’enfance, le citoyen de demain, c’est là que la graine de l’esprit critique est plantée. Mais pas seulement. C’est aussi la personnalité intime qui commence sa lente mue vers l’affirmation de soi. Tout ce que détestent et veulent détruire les islamistes, avec leur totalitarisme qui abhorre l’individu, voulant le noyer dans une idéologie qui emprisonne, qui brise le « je », qui tue la liberté, qui combat l’émancipation. »Des talents d’écrivain ». Quelques mots écrits en commentaire sur un bulletin du premier trimestre de la classe de quatrième par Mme Marty, professeur de français au collège Anne Frank dans le XIe arrondissement de Paris. J’ai gardé ce bulletin scolaire, il a été ma première victoire, la première étape d’un destin, un sourire, enfin, confiant vers l’avenir. « Des talents d’écrivain », pour une gamine de 13 ans, arrivée en France cinq ans auparavant, qui ne savait ni parler, ni lire, ni écrire français, mais qui voulait déjà être « écrivain français ». Ces quelques mots ne m’ont pas seulement donné confiance en moi, ils ont validé des heures d’études, d’acharnement, de curiosité. Ils sont la preuve que tout est possible pour peu que l’on se relève les manches, qu’on soit à la hauteur de ses ambitions. Je ne sais pas si Mme Marty mesurait le cadeau qu’elle me faisait en même temps qu’elle m’obligeait. A 13 ans, quand un adulte qui n’est pas votre parent, un adulte qui représente l’autorité, valide votre désir d’être, il autorise quelque chose d’immense qui ne vous quitte plus jamais : je peux. Je publiais mon premier livre vingt-quatre ans plus tard, et c’est à Mme Marty que je pensais, à ces quelques mots qui ont dessiné le brouillon de l’écrivain que je voulais tant devenir. Remercier Mme Marty, c’est remercier tous les professeurs du monde qui, d’un regard, d’un mot, peuvent offrir la plus belle chose au monde : la possibilité d’un avenir.Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste
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Author : Abnousse Shalmani
Publish date : 2024-10-18 10:00:00
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