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A chaque fois que l’aide médicale d’État (AME) revient dans le débat public, un argument est systématiquement mobilisé par ses détracteurs : la France serait une terre d’exception en Europe. Avec ce dispositif, elle offrirait ainsi bien plus de soins aux personnes en situation irrégulière que le reste du Vieux Continent. Une idée notamment défendue par le ministre de l’Intérieur lui-même : « Nous sommes un des pays qui donnent le plus d’avantages. Je ne veux pas que la France soit le pays le plus attractif d’Europe », avait ainsi indiqué Bruno Retailleau au 20 heures de TF1, en septembre, rappelant qu’il était pour sa suppression.Interrogée ce vendredi 4 octobre sur le sujet, la ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, a exclu toute réforme pour le moment. « Il n’est pas question d’y toucher », a-t-elle balayé. A défaut de fournir des certitudes sur l’avenir du dispositif, de plus en plus attaqué, la passe d’armes a de nouveau attiré l’attention sur la « générosité » supposée de la France.Si l’AME ne contribue que peu à l’immigration illégale – c’est ce que disent les rapports sur la question – elle serait, selon les défenseurs de cet argument, tout de même plus « attirante » qu’ailleurs. Quand est-il vraiment ? Comme le rappelle le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) de 2019 et celui dit « Evin-Stefanini », remis fin 2023, l’Hexagone se situe bien dans le haut du tableau. Mais les données disponibles ne permettent pas d’établir une forme d’exception française. Et ce panorama général est à nuancer, selon les critères pris en compte.Ainsi, si le panier de soins octroyés se révèle très large dans l’Hexagone, ce choix ne s’avère pas spécifique : d’autres nations présentent des prises en charge comparables, gratuites, sans avance de frais, d’actes allant du dépistage aux soins dentaires en passant par les frais chirurgicaux. C’est le cas de l’Espagne, qui a tenté de durcir ses règles en 2012 avant de revenir en arrière 2018, ou encore de l’Italie.Limiter les risques sanitairesCe n’est pas simplement par solidarité que ces pays ont opté pour cette configuration, mais pour limiter les risques sanitaires. « Il vaut mieux traiter les pathologies avant qu’elles ne s’aggravent ou se répandent et deviennent des urgences », résume Nicolas Vignier, médecin à Avicenne, et spécialiste de la question de l’accès au soin. Prévenir coûte aussi, en principe, moins cher que déployer les grands moyens pour sauver une personne ou contrer une épidémie.Sur les autres aspects, la France est en réalité plutôt restrictive. À commencer par les conditions d’accès. « Il faut faire une demande à l’Assurance maladie, et fournir plusieurs papiers officiels, comme une attestation de domicile, ce que n’ont pas la plupart des personnes en situation irrégulière », poursuit Nicolas Vignier. Dans d’autres pays, comme en Italie, ou dans certaines régions allemandes, la prise en charge ne requiert aucun signalement préalable.Autre différence, dans ces deux pays, aucun délai n’est pratiqué. La prise en charge peut se faire dès l’entrée sur le territoire. A l’inverse, la France, tout comme la Belgique, demande aux requérants de justifier une présence sur le territoire d’au moins trois mois. Pas la plus généreuse donc. Et très loin des logiques « tiers-mondiste » ou « sans-frontière » dépeintes dans les médias du groupe Bolloré, très actifs sur le sujet.Quelques pays ont tout de même des propositions plus strictes, du moins en apparence : au-delà des urgences, le Royaume-Uni et le Danemark ont effectivement tendance à faire payer les soins, bien que les hôpitaux aient une marge de manœuvre. La Suède limite un peu plus son panier, et en Suisse, il faut souscrire à une assurance maladie pour être aidé, qu’importe son statut.Situations diversesMais ces éléments doivent être regardés en connaissance des systèmes locaux : la prise en charge publique est-elle importante ? Est-il facile d’être régularisé ? « Certains systèmes sont très décentralisés, et permettent une myriade de variations. Et les philosophies générales en termes d’assurance maladie peuvent passer du tout prise en charge au tout payant. Impossible donc de transposer les dispositifs « , résume Claude Evin, un des auteurs du rapport Evin-Stéfanini.Les situations sont tellement diverses que le spécialiste, ministre de la Santé sous Michel Rocard, a dû commander des notes de synthèse à nos principaux voisins. Sans elles, impossible d’y voir clair. Même lorsque l’on ne prend en exemple qu’un seul pays, l’exercice est périlleux. « La Belgique est par exemple souvent citée par les détracteurs de l’AME car elle dispose d’une aide dite « d’urgence ». Sauf qu’elle n’a pas la même définition de l’urgence et permet en pratique tout un panel de soins préventifs », illustre l’expert.Autre exemple : dans les faits, la loi fédérale allemande n’assure qu’une prise en charge d’urgence. Mais elle permet d’aller plus loin, à la discrétion des régions. Le coût de ce régime dérogatoire a été chiffré par le Parlement allemand : 690 millions d’euros en 2022. Soit environ la moitié du coût total français, rien qu’avec des actes non urgents. Autrement dit, si le dispositif est d’apparence différent, plus restreint, il semble in fine correspondre, en termes d’ampleur, à ce qu’il se pratique dans l’Hexagone.De l’avis des experts, en plus d’être aventureuses, ces comparaisons détournent le débat des questions légitimes : « Ce qu’il faut se demander c’est si l’AME est moins coûteux qu’un service restreint, ce à quoi nous répondons clairement non. Qui plus est, sa suppression, en plus d’être un non-sens sanitaire, n’aura aucun intérêt sur le plan migratoire, car la très grande majorité des migrants ignorent ce droit », souligne Claude Evin. Des éléments connus depuis longtemps, mais volontairement ignorés par l’extrême droite et une partie de la droite républicaine.
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Author : Antoine Beau
Publish date : 2024-10-05 15:16:13
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