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L’Express

Xavier Niel et la « Freemania » : les bonnes recettes d’un milliardaire pas comme les autres




Lorsqu’il arrive sur scène, vêtu d’une chemise blanche, sans cravate, un léger sourire en coin, Xavier Niel est accueilli par des applaudissements et des cris. Une vraie rock star. La scène se déroule une décennie avant le spectacle de Niel ce 18 septembre 2024 à l’Olympia, mais sa présentation tient alors déjà plus du show que de la conférence de presse. Pour annoncer le lancement de Free Mobile en 2012, le patron a sorti les grands moyens. Une vidéo étrille les concurrents de l’opérateur : Orange, SFR et Bouygues Telecom. Xavier Niel, seul en scène, est salué comme un héros. Il a promis de révolutionner la téléphonie mobile. Les opérateurs historiques savent qu’il s’apprête à casser les prix. La question est : de combien ?Le nouveau venu porte un premier coup avec des forfaits à 19,99 euros, moitié moins chers que ceux de la concurrence. Le public l’acclame. Puis, alors qu’il fait mine de conclure et de partir, il revient au centre avec sa dernière surprise, son « one more thing » à la Steve Jobs. Le patron de Free annonce alors le lancement d’un forfait à 2 euros. Et demande aux spectateurs de regarder sous leur siège… Où une enveloppe contenant une pièce de ce montant est cachée. « Offrez le forfait à un proche », jubile Niel. La foule est en folie. Les opérateurs historiques, estomaqués.Cette conférence de presse fait rentrer Xavier Niel dans la légende. Et cimente son aura chez les fans de Free, qui constituaient déjà une dynamique communauté sur Internet. Aujourd’hui encore, à la moindre annonce, des centaines de milliers de « Freenautes », comme ils se surnomment, se pressent pour suivre les lives et consulter les articles relatifs à l’entreprise. La Freemania a fait naître des associations d’utilisateurs dédiées. De nombreux sites web. Et même des événements organisés par les fans.Comment expliquer un tel engouement pour des box Internet, produit peu glamour s’il en est ? Il faut remonter en 2002 pour le comprendre, lorsque Xavier Niel dévoile la Freebox. « C’est la première fois au monde qu’une offre propose de l’ADSL, de la téléphonie, mais aussi de la télé, rappelle Renaud Kayanakis, consultant expert des télécoms chez Sia Partners. C’est lui qui a inventé le concept. »Aux origines de Free, la culture « geek »Cette offre attire l’attention des technophiles. A chaque enrichissement, comme l’ajout du Bluetooth, les fans se font plus nombreux. Ils apprécient également le fait que le système d’exploitation des Freebox, basé sur Linux, soit open source. Cette philosophie de l’innovation ouverte est particulièrement populaire sur Internet au début des années 2000.Les premiers forums, où se partagent conseils et guides, sont créés peu de temps après. « J’aime bien bricoler et ce qui touche à l’innovation », confirme Isabelle, qui a rejoint ces forums dès leur début. Cette juriste de profession, qui s’est particulièrement immergée dans ces questions lors d’une période de convalescence, a trouvé sur ces sites une « vraie bande de copains », avec qui elle continue d’échanger aujourd’hui.Cet esprit de communauté est aussi lié à une deuxième particularité des Freebox. Leurs disques durs intégrés permettent de stocker des dossiers, et de les lire grâce à VLC, un lecteur multimédia embarqué dans l’appareil. Or, à l’époque, les téléchargements illégaux de pair à pair (P2P) sont en plein boom. Les geeks s’y adonnant peuvent donc regarder les films et séries et piratés directement sur leur télé, grâce à cette box. « Free a visé de manière très précise la communauté geek, parce qu’ils savaient qu’elle n’aimait pas les monopoles, et qu’elle voulait faire des téléchargements. La personnalité de Niel a beaucoup aidé, parce que c’est lui-même un geek », analyse le journaliste Emmanuel Paquette, qui a coécrit avec Solveig Godeluck le livre Xavier Niel, La voie du pirate (éditions First, 2016).Free se démarque aussi très tôt avec ses pubs mettant en scène un certain « Rodolphe ». Grand, mince, barbu, portant des lunettes vieillottes et des vêtements terriblement moches, Rodolphe est censé incarner ce geek — et donc les abonnés Free. Loin de se sentir insultés, les Freenautes adorent le personnage, et en redemandent. Enfin, difficile d’oublier le rôle qu’a joué la pornographie dans le succès de Free. Les box seront les premières à diffuser des chaînes pour adultes dans les bouquets des Freebox TV. « Ils ont aussi été les premiers à signer avec de grands noms du porno pour diffuser des contenus à la demande », souligne Emmanuel Paquette.Xavier Niel et les « Freenautes »Mais avant les offres des Freebox, il y a un personnage : Xavier Niel lui-même. « Il n’y a aucun patron en France qui a, à ce point, personnifié son entreprise, à part Alain Afflelou », pointe Renaud Kayanakis. Le côté crâne de ce nouvel arrivant séduit. Dans les médias, le patron de Free est décrit comme un « trublion », un « provocateur ». Il a le sens du récit, selon Marion Darrieutort, spécialiste de l’influence et fondatrice de The Arcane, un cabinet de conseil aux dirigeants qui pointe, amusée : « Il fait exactement l’inverse de ce qu’on recommande à nos clients. Il a le goût du clash. Il est très impulsif dans ses tweets, alors que d’habitude les dirigeants sont plutôt policés, et ne veulent se mettre personne à dos ». Sur X (ex-Twitter), le patron de Free s’en donne à cœur joie : il parodie les déclarations d’Emmanuel Macron pendant la crise du Covid, se moque ouvertement des discours complotistes sur la 5G, raille ses concurrents, répond aux internautes qui l’interpellent, défend Free, fait des blagues graveleuses. Et ça paye : 270 000 personnes le suivent sur le réseau social où ses boutades sont massivement repartagées.Le milliardaire cultive également une vraie proximité avec les « Freenautes ». Chaque année, son entreprise organise une journée spéciale pour ces fans qui animent des sites et des forums dédiés à ses produits. Ils y reçoivent parfois des informations en avant-première et discutent avec les dirigeants de l’entreprise. Isabelle loue ainsi la jovialité de Nicolas Thomas, le directeur général de Free, qui passe régulièrement une tête. Toujours en jean et t-shirt blanc, Xavier Niel est présent à chacune de ces éditions et passe de longs moments à converser avec les fans. « On prend des photos avec lui. Il a même enregistré une vidéo pour encourager mon équipe de foot », confie Isabelle.En 2024, Xavier Niel ne s’est pas assagi. Son entrée au conseil d’administration de TikTok, l’appel que lui a passé le fondateur de Telegram Pavel Dourov après son arrestation… Les aventures de Niel suscitent toujours la surprise. « Comment devenir milliardaire », le spectacle qu’il tient ce 18 septembre à l’Olympia a été annoncé sur X à grand renfort de blagues. Et le livre qu’il publie le 25 septembre promet d’être tout aussi provocateur. Son titre ? Une sacrée envie de foutre le bordel. Cette image subversive est néanmoins très contrôlée. En 2008, Xavier Niel avait, par exemple, porté plainte pour diffamation contre l’ancien directeur de la rédaction de Libération, pour un commentaire laissé par un internaute. Quatre ans plus tard, c’est une journaliste des Echos qui avait été mise en examen à la suite d’une autre plainte pour diffamation, visant des propos de Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Telecom, rapportés dans l’article. En prenant le micro ce soir devant une foule amicale de Freenautes, Xavier Niel s’expose, sans prendre de gros risques. Une stratégie qui lui réussit : en 2023, selon un sondage réalisé par Forbes, il était toujours l’un des entrepreneurs préférés des Français.



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Author : Aurore Gayte

Publish date : 2024-09-18 16:46:10

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