J’en parle ici régulièrement : l’orthographe de la langue française est à la logique ce que le Sahara est au climat tempéré. La pétillante chroniqueuse de RTL Muriel Gilbert (« Un bonbon sur la langue ») le démontre avec humour dans son récent Dictionnaire des erreurs… qui sont entrées dans nos dictionnaires (1). De fait, dans bien des cas, des formes qui étaient au départ des « fautes » sont bel et bien devenues la norme et, à ce titre, figurent aujourd’hui en toutes lettres dans les ouvrages de référence. En voici quelques exemples :VOUS SOUHAITEZ RECEVOIR CETTE INFOLETTRE ? >>Cliquez iciOrthographe. Commençons par la plus symbolique de ces erreurs, qui concerne le mot « orthographe » lui-même ! Comme la géographie, l’astronomie ou la biologie, la « science » de l’écriture devrait en effet s’intituler « orthographie » et le terme « orthographe » être réservé à ses experts. Cela est si vrai qu’ »orthographie » a bel et bien existé, avant de perdre son « i » au XVIe siècle. Ce qui ne l’empêche d’avoir pour dérivé « orthographier », avec réapparition au passage de ce fameux « i ». Logique, vous dis-je !Accueil. C’est l’une des énigmes sur laquelle nous avons tous buté quand nous étions écoliers. Pourquoi « accueil » s’écrit-il « u-e-i-l » alors qu’il se prononce « euil », comme « fauteuil », « deuil », ou « écureuil » qui, eux, se terminent bien par « e-u-i-l » ?Réponse ? En raison de cette autre règle selon laquelle le « c » se prononce [se] devant un « e », comme dans « ce », « cep » ou « cercle ». En clair : si l’on écrivait « acceuil », il faudrait prononcer [acseuil] ! Aussi a-t-on décidé d’inverser les lettres « e » et « u » pour aboutir au son [k]. Une convention qui vaut pour « accueil », donc, mais aussi pour « cercueil » et « recueil ». Dans ce cas précis, on a en quelque sorte créé une erreur pour en éviter une autre…Sirop-siroter. Pourquoi le verbe « siroter » prend-il un « t » alors que sirop » se termine par un « p » ? Parce que l’on s’est trompé, pardi ! Ce sont les croisés qui, au Moyen Age, ont rapporté ce breuvage que les Orientaux appelaient sarâb (« potion », dans la médecine arabe). Le terme, allègrement déformé, est devenu sirupus en latin médiéval et « sirop » en français. Jusque-là, tout va à peu près bien. C’est seulement au XVIIe siècle que les choses se sont compliquées. Sans doute par attirance pour les couples « tricot/tricoter », « complot/comploter », « mégot/mégoter », est apparu « siroter », avec le sens de « boire un petit coup en savourant ». Osons une hypothèse : peut-être les coupables n’avaient-ils pas siroté que des jus de fruits…Cauchemar/cauchemarder. Que serait la langue française sans ses exceptions ? En voici une qui vaut le détour. « Bavarder » est issu de « bavard » ; « cafarder » est issu de « cafard » ; « canarder » est issu de « canard » et tous ces verbes prennent logiquement un « d ». Mais dans ce cas, pourquoi « cauchemar » n’en possède-t-il pas un alors que le verbe auquel il est lié est « cauchemarder » ? Pour le comprendre, il faut en fait inverser la question et se demander pourquoi nous n’employons pas « cauchemarer » ? Cette graphie serait en effet on ne peut plus rationnelle puisque la fin de « cauchemar » provient d’un terme picard, mare (« fantôme provoquant de mauvais rêves »). Raison pour laquelle ce mot s’est écrit cauchemare jusqu’au XVIIe siècle et a eu pour adjectif cauchemaresque jusqu’à la fin du XIXe. En fait, c’est sans doute par alignement avec « bavarder » que « cauchemarder » a été créé en 1840. Courir devrait logiquement prendre deux « r » et pas seulement parce que nous avons deux jambes. Ce verbe est en effet issu du latin currere (« se mouvoir »), qui avait évolué en courre au Moyen Age, comme le précise le Dictionnaire historique de la langue française. A noter d’ailleurs que cette forme s’est maintenue dans l’expression figée « chasse à courre ». Et que nos amis belges qualifient toujours leurs démarches pénibles de « courreries ».Embonpoint. Dans le genre pas piqué des hannetons, j’aime beaucoup « embonpoint » et je m’explique. Nous savons tous que la lettre « n » est remplacée par un « m » devant un « m », un « b » et un « p ». « EMmener », « treMbler », chaMpignon » et ainsi de suite. C’est ce que les jeunes de 2024 appellent la « règle Mbappé » : un excellent moyen mnémotechnique !!!Mais j’en reviens à mon « embonpoint » (pas le mien, hein, celui du dictionnaire !). Il prend bien un « m » devant le « b », mais… pas devant le « p ». Pourquoi ? Muriel Gilbert nous l’explique : « embonpoint » est issu de la soudure de « en bon point » (en trois mots), groupe nominal qui avait pour sens « en bonne condition ». Au demeurant, il s’est écrit un temps eMboMpoint, conformément à la règle. C’était visiblement trop simple ! L’Académie française, en 1694, décida de modifier sa graphie pour rappeler l’origine du mot, mais elle ne le fit qu’à moitié, en rétablissant le « n » de « bon », mais pas celui de « en ».De quoi mériter un mauvais point, non ?(1) Le Petit Gilbert. Dictionnaire des erreurs… qui sont entrées dans nos dictionnaires, par Muriel Gilbert. Editions Buchet-Chastel. En librairie à partir du 19 septembre.RETROUVEZ DES VIDÉOS CONSACRÉES AU FRANÇAIS ET AUX LANGUES DE FRANCE SUR MA CHAÎNE YOUTUBEA lire ailleursIA : faut-il remplacer « prompt » par « instruction » ?Voilà la recommandation de la Commission d’enrichissement de la langue française, qui préconise plus exactement « instruction générative » pour désigner cette « consigne donnée par un utilisateur à un modèle génératif » en usage avec les robots conversationnels de l’intelligence artificielle (IA). Toutefois, consciente sans doute de sa longueur excessive, elle autorise la formule abrégée « instruction ». Des propositions qui suscitent un net scepticisme sur les réseaux sociaux, où l’on rappelle que l’équivalent français actuellement utilisé – « invite » – a déjà bien des difficultés à s’imposer.Deux fois moins d’illettrés en France depuis vingt ans4 % de la population âgée de 18 à 64 ans serait illettrée, selon une étude de l’Insee. Autrement dit, 1,4 million de personnes ne maîtriseraient pas la lecture, l’écriture, le calcul et le numérique alors qu’elles ont été scolarisées en France, selon la définition de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme. Une proportion divisée par deux entre 2004 et 2022.Le goût de la francophonie, par Emmanuel MauryLe goût de la francophonie rassemble des textes de grands auteurs francophones issus de tous les continents et de toutes les époques, du Français Du Bellay au Russe Pouchkine en passant par le Malien Hampâté Bâ et le Franco-Libanais Amin Maalouf. L’ambition est belle, et le florilège, quoique nécessairement subjectif, de qualité. On félicitera donc Emmanuel Maury pour son choix tout en regrettant les bévues qui émaillent son texte d’introduction, concernant notamment Rivarol.Le goût de la francophonie, sous la direction d’Emmanuel Maury, Mercure de France.Rennes encourage toutes les langues parlées sur son territoireUn plan des politiques linguistiques a été adopté par la municipalité afin de promouvoir les différentes langues des habitants. Dans la préfecture bretonne, le français demeure évidemment la langue commune et la langue de la République, mais les autres langues, qu’elles soient régionales ou étrangères, y seront valorisées et encouragées. Une orientation qui doit beaucoup à la conseillère municipale Montserrat Casacuberta Palmada, par ailleurs docteur en sciences du langage.Devenez professeur d’occitan et bénéficiez d’une bourse d’étudesLa bourse « Ensenhar Estudiant. a » vise à soutenir les vocations aux concours de recrutement des professeurs des écoles bilingues à parité horaire ou immersives. Une nécessité face à la demande croissante d’ouverture de nouveaux sites scolaires bilingues et des calandretas (les écoles immersives). Les bourses peuvent atteindre jusqu’à 8 000 euros.Et si vous preniez des cours d’alsacien, de platt ou de welche ?Envie d’apprendre l’alsacien, le platt, ou le welche ? De nombreuses associations en Alsace et en Moselle proposent des cours de tout niveau, aussi bien pour les enfants que pour les adultes.Réédition de « Les mots bretons dans la langue française »« Bijou », « dolmen », « cohue »… Quelque 170 mots de la langue française seraient issus du breton. Des termes que recensent les frères Buanic dans cet ouvrage à succès consacré à ce sujet, lequel connaît aujourd’hui une deuxième édition.Les mots bretons de la langue française. Ce que le breton doit au français en 170 mots, par Nicolas et Serge Buanic, Editions Blanc et Noir.A écouter« Toi, tu as une voix de presse écrite ! » : quand les accents font peur aux médiasBon, dans la mesure où j’y interviens, je mentirais en affirmant porter sur ce podcast de Titouan Allain un jugement d’une totale objectivité, mais j’assume. « On commence par te demander de gommer ton accent. On finit par te demander de gommer ton identité. Ce n’est pas parce que je suis journaliste que je dois arrêter d’être moi-même. » Cette réflexion d’une jeune journaliste n’est qu’un exemple parmi d’autres des pratiques discriminatoires en vigueur dans ce secteur professionnel.A regarderLa Révolution française et les langues régionalesOn l’ignore souvent, mais, au départ, la Révolution française s’est montrée ouverte aux langues régionales en s’efforçant notamment de traduire les premières lois votées à Paris. Une tolérance qui, hélas, va céder la place à des mesures répressives dans les années suivantes, comme le rappelle cette vidéo de la chaîne Youtube Histoire d’apprendre.Il a la côte, Devos !Tel est le titre du spectacle qui sera donné le samedi 21 septembre à la cité de la langue française de Villers-Cotterêts en hommage au poète, humoriste et jongleur de mots que fut Raymond Devos. Une pièce de théâtre de Daniel Benoin interprétée notamment par Hippolyte Girardot et Sylvie Testud.REAGISSEZ, DEBATTEZ ET TROUVEZ PLUS D’INFOS SUR LES LANGUES DE FRANCE SUR la page Facebook dédiée à cette lettre d’information.
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Author : Michel Feltin-Palas
Publish date : 2024-09-17 07:15:00
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