A 13h30, ce mardi 17 septembre, Mario Draghi présentera aux eurodéputés le fruit de son travail, une somme de 400 pages rendue publique il y a une semaine. Ce rapport, dédié à l’avenir de la compétitivité européenne, acte du décrochage du Vieux continent. Mais pour Philippe Silberzahn, professeur de stratégie à l’EM Lyon, il rate l’occasion de poser le bon diagnostic, et d’en tirer les conclusions. »Dieu se rit des hommes qui se plaignent des effets dont ils chérissent les causes. Ici c’est l’inverse : l’UE souhaite des effets (croissance, productivité, compétitivité) dont elle refuse les causes (marché libre, innovation, déréglementation). C’est la pensée magique », soupire-t-il dans un billet sans concession publié sur son blog lundi. Dans un entretien avec L’Express, Philippe Silberzahn appelle l’Union européenne à renouer avec une vision tournée vers la recherche de la croissance, sous peine de mettre en péril son modèle social.L’Express : Perte de compétitivité, déclin de l’innovation… Ces sujets ne sont pas nouveaux en Europe. Quels points marquants retenez-vous de ce rapport ?Philippe Silberzahn : Au-delà d’être un cri d’alarme sur une réalité dont tout le monde n’a pas conscience, le rapport fait le lien entre ce qui peut paraître technique – la productivité, la compétitivité – et les conséquences d’un déclin de cette compétitivité sur la vie des citoyens européens. Ce n’est pas simplement une question de perte de profits : c’est la survie même de notre modèle social qui est en jeu. Si nous n’enrayons pas cette baisse, nous ne pourrons plus le maintenir.Le rapport est très clair sur les symptômes – une chute de productivité et l’absence de l’Europe dans des secteurs stratégiques – mais ne s’attarde pas sur les causes de cette situation. Il est embêtant de ne pas dresser de diagnostic si on veut apporter des solutions. Un exemple frappant est la surréglementation, certes mentionnée, mais jamais expliquée en profondeur.La surréglementation est-elle le véritable mal de l’Europe ?On ne peut pas se plaindre de manquer d’innovation et continuer à imposer des réglementations excessives dans presque tous les secteurs. Ces règles partent de bonnes intentions mais ont des effets dommageables. Sur l’intelligence artificielle, par exemple, l’Europe réglemente sur la base de la crainte plutôt que d’essayer de permettre son développement. Résultat : une entreprise, pour suivre toutes ces normes, doit avoir une équipe dédiée. Tout cela coûte cher et pénalise les petites entreprises.Vous attendiez davantage d’introspection sur les erreurs de l’Europe ?L’Europe n’a pas l’écosystème entrepreneurial de l’Amérique, et c’est la clé du problème. C’est grâce à leur écosystème entrepreneurial et à leur dynamisme que les Etats-Unis – notre concurrent dans cette course – génèrent de nouvelles entreprises dans tous les nouveaux secteurs. Et le rapport n’en parle pas du tout. Donc le diagnostic est mauvais.Le véritable problème de l’Europe, ce sont ses « modèles mentaux » : un ensemble de croyances relativement hostiles à la croissance qui se développent depuis une vingtaine d’années. Et on en paie le prix aujourd’hui.Comment changer cette posture morale européenne, qui n’est pas aussi favorable à la croissance qu’aux Etats-Unis ?C’est une question que ne pose pas Mario Draghi, mais c’est la vraie question. L’Europe a eu une philosophie de la croissance dans ses premières années, après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, la société civile doit se réapproprier l’idée que la croissance n’est pas juste un phénomène économique déconnecté des réalités. Elle permet aux citoyens d’avoir une retraite, des services sociaux, des hôpitaux qui fonctionnent. Parce que tout cela consomme de l’argent et cet argent doit être créé par la croissance. Il faut vouloir la croissance, ce n’est pas un nouveau plan qui changera cela.Aujourd’hui, l’Union européenne encourage l’innovation notamment en sélectionnant des projets et en accordant des subventions. Faut-il arrêter de le faire ?Qu’il y ait des financements européens, c’est une bonne chose. Il y a des projets fondamentaux qui sont très coûteux, notamment dans la recherche, et qui nécessitent ces financements. Le problème, c’est que le rapport Draghi aimerait qu’on ait le même dynamisme entrepreneurial qu’aux Etats-Unis, et au paragraphe suivant, il dit que la solution est d’avoir une « politique européenne cohérente ».Le RGPD part d’une vraie question de protection de la vie privée mais rajoute un coût colossal pour les entreprisesAutrement dit, il voudrait bien les résultats du capitalisme américain… mais pas le capitalisme américain. Avoir une politique industrielle européenne consistant à sélectionner les entreprises que l’on met en avant, cela ne marche pas. Il faut se demander comment libérer ces énergies plutôt que de choisir de financer telle ou telle entreprise.Si ce sont les entreprises qui participent à la croissance, quel doit être le rôle de Bruxelles ?Le rapport suggère que le rôle des politiques est de conduire la politique industrielle de l’Europe. Je pense que c’est une erreur. Mais il y a des alternatives, où le rôle des politiques serait de faire en sorte que les entreprises puissent grandir et se développer à l’international. Le rôle du politique n’est pas un rôle de direction. Il doit garder en tête le besoin de croissance, tout en assurant un équilibre avec la réglementation. C’est la première partie qui a été oubliée ces dernières années.Quelles ont été les ratés de l’Europe ?Il y en a deux, dans le même secteur d’ailleurs : le RGPD et la réglementation de l’intelligence artificielle. Le RGPD part d’une vraie question de protection de la vie privée mais rajoute un coût colossal pour les entreprises, et pénalise toujours plus les petits que les gros.S’agissant de la récente réglementation sur l’IA, encore une fois, c’est la peur qui prédomine. On préfère restreindre l’innovation parce qu’il y aurait peut-être un risque. C’est là que nous perdons des opportunités. L’exemple presque caricatural est le nouvel iPhone qui sort avec de nombreuses fonctions d’intelligence artificielle, et qui ne pourra pas être commercialisé en France à cause d’une réglementation restrictive. Cette réglementation nous prive du progrès.Le rapport mentionne à plusieurs reprises l’union des marchés de capitaux, une initiative notamment demandée par les banques. Serait-elle un facteur de compétitivité ?Qu’il y ait besoin d’unifier des marchés, c’est évident. D’ailleurs, l’Europe a commencé comme cela, une union d’abord économique, avant de devenir politique. Mais il faut une tension entre des aspects unifiés – régulations, marchés -, et de l’autre côté une certaine diversité, car ce qui marche à Florence ne marche pas forcément à Berlin.
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Publish date : 2024-09-17 06:45:00
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