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L’Express

Présidentielle américaine : « Taylor Swift peut faire perdre Donald Trump »

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Mardi 10 septembre, peu avant minuit. Une fumée blanche s’échappe du compte Instagram de Taylor Swift. Attendu par les Démocrates, craint par les Républicains, l’endorsement de Kamala Harris par la chanteuse au demi-milliard d’abonnés sur les réseaux sociaux est enfin arrivé. Depuis des mois, les observateurs et stratèges scrutent ses apparitions publiques, décortiquent ses déclarations, montent en neige moindre signal, même le plus faible.Ainsi la pop star a-t-elle attendu la fin du débat Harris-Trump pour partager – ou plutôt confirmer – aux swifties (surnom attribué aux fans de Taylor Swift) son soutien au camp démocrate pour le vote du 5 novembre. Une décision prise « après de nombreuses recherches », souligne l’interprète de Shake it Off, qui préfère adopter une démarche maïeutique, incitant son audience à faire de même plutôt que de l’encourager à voter pour l’un des deux candidats.La démarche est « habile », salue Lauric Henneton, maître de conférences à l’Université Versailles St-Quentin-en-Yvelines, qui dépeint Taylor Swift comme une des personnalités les plus influentes outre-Atlantique, au même titre qu’Elon Musk. Pour L’Express, l’auteur de la préface de la biographie Taylor Swift, L’histoire d’un phénomène (éditions Hors Collection, 2024) explique pourquoi cette prise de position pourrait être décisive dans l’issue du scrutin.L’Express : En quelques mots, que représente Taylor Swift pour les Américains ?Lauric Henneton : Elle est au croisement de l’artiste et de la personnalité people. On parle de « célébrités », ce qui constitue une catégorie transversale. C’est également le cas de Donald Trump, qui est à la fois un homme d’affaires, de téléréalité, de presse à scandale. Ce qui la distingue d’autres artistes, c’est probablement sa surface médiatique qui est considérable, dopée par sa multitude de records battus.Mais depuis le début d’année, elle est entrée dans une nouvelle catégorie, où elle est plus ou moins seule : celle de l’artiste dont les responsables politiques se méfient. En particulier les Républicains, qui craignent désormais ses prises de paroles.Justement, comment réagit le camp Trump au positionnement pro-démocrate de Taylor Swift ?Ils ont été relativement habiles dans leur façon de dénigrer cette prise de position. Une des porte-paroles de Trump l’a notamment rattachée à une position classique des élites. Ils s’inscrivent ainsi dans un discours populiste, et se plaçant du côté du peuple et en mettant les démocrates dans le camp des milliardaires. Classique.20 % des électeurs américains se disent plus susceptibles de voter pour un candidat soutenu par Taylor Swift. Cette estimation peut-elle réellement se traduire dans les urnes ?Il s’agit d’un sondage que je mentionne dans la préface et qui a été publié au printemps, à l’époque où Joe Biden était encore candidat. C’est un sondage unique dans lequel un certain nombre d’américains disent accepter l’influence de Taylor Swift sur leur vote. Mais attention : le même sondage dit également que beaucoup de gens ne seraient pas plus influencés que cela, voire le contraire, donc cela dépend comme on choisit de le lire.Si tel est le cas, la course entre les deux candidats étant extrêmement serrée, la prise de position de Taylor Swift pourrait-elle faire basculer le scrutin ?Nous sommes dans une époque de marge infime. Quelques voix en plus d’un côté, quelques voix en moins de l’autre peuvent être décisives dans un scrutin aussi serré. Nul besoin d’avoir des taux de persuasion de 20 %. Il suffit de 2 ou 3 % d’un électorat donné dans un Etat donné pour faire basculer le scrutin.Donc si elle arrive à convaincre seulement quelques milliers de swifties de voter pour Kamala Harris et qu’en parallèle, Donald Trump organise une campagne clivante qui lui retire le soutien de quelques centaines ou milliers de personnes, elle peut en effet faire perdre le républicain.Dans un entretien accordé à L’Express, Sami J. Karam établit une corrélation entre le vote démocrate et celui des jeunes. Pourrait-on tisser également un lien entre cette plus forte propension de la Génération Z à voter démocrate et les prises de position pro-démocrates de Taylor Swift ?Taylor Swift pourrait avoir une influence sur les 18-22 ans parce que c’est précisément le cœur de sa cible. Ce point-là reste toutefois une inconnue. Déjà parce que cette frange de l’électorat américain n’a encore jamais voté. Ensuite parce qu’un des problèmes avec les jeunes est qu’ils restent très difficilement mobilisables les jours de scrutin. Raison pour laquelle elle encourage fortement les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales.Et pour cause, avant de voter « pour », il faut voter tout court. Ensuite on vote pour des valeurs. Mais en général, lorsque l’on gravite autour de la « swiftosphère », on est dans un système de valeurs pro-démocrates.Taylor Swift est-elle l’artiste la plus influente sur le plan politique ? En avez-vous d’autres en tête ?Ils sont très nombreux à prendre position, mais leur prise de parole n’a jamais été décisive que pourrait l’être celle de Taylor Swift aujourd’hui. George Clooney, par exemple, organise des levées de fonds au profit du Parti démocrate qui sont en général très efficaces, mais son engagement n’a jamais été décisif. Obama aurait par exemple gagné sans son soutien.Si on est profondément homophobe, raciste et sexiste, on a priori quitté le vaisseau Taylor Swift depuis longtemps.Avec Taylor Swift, sa surface médiatique est arrivée à un tel point qu’elle pourrait faire basculer l’élection. Donc cette question n’est pas un fantasme de fans ni de journalistes, c’est devenu un sujet politique, entre autres également parce que les médias républicains se sont inquiétés de son impact sur une éventuelle défaite de Donald Trump.Taylor Swift apporte-t-elle aux démocrates ce qu’Elon Musk apporte aux Républicains ? L’influence des deux célébrités est-elle comparable ?Je ne dirai pas qu’elle est similaire, mais elle est globalement comparable. Elon Musk et Taylor Swift sont tous les deux dans une démarche fondée sur une vision de la société, des valeurs, et donc relativement désintéressée. Ils ne vont pas gagner de fans, mais probablement pas en perdre. A nuancer toutefois, parce qu’il paraît que certains propriétaires de Tesla se sépareraient de leur véhicule pour ne pas être rattachés indirectement à Trump (rires).En outre, ce sont deux noms qui ont une audience absolument considérable. L’une parce qu’elle a 300 millions de followers, l’autre parce qu’il possède un réseau social. Leurs voix portent. Qu’on le veuille ou non, car leur force de pénétration médiatique est incroyable et dépasse leurs simples « fans ». Ce sont en quelque sorte des influenceurs. A cela près qu’ils ne font pas la promotion de produits de beauté ou de destinations de rêve, mais d’idées et de valeurs. En outre, ils ne sont pas payés par les campagnes. Au contraire, Elon Musk par exemple, finance la campagne républicaine.Les swifties pourraient-ils devenir des militants ?Ils le sont déjà. Depuis l’hiver dernier, on attendait un signal du haut (Taylor Swift) vers le bas (ses fans). Mais ces derniers mois, on a vu l’inverse, avec une base de swifties qui s’emparait de la politique. En créant par exemple des groupes sur X « Swifties for Kamala » qui organisent des réunions zoom pour lever des fonds. Il y a ainsi une véritable prise en main de l’objet politique qui ne vient pas du haut mais qui vient du bas et c’est quelque chose de nouveau.Prendre position dans un pays aussi polarisé n’aurait-il pas des conséquences négatives pour Taylor Swift ?Dans son documentaire [NDLR : Taylor Swift : Miss America sorti en 2020 sur Netflix], son père lui recommande de ne pas prendre position parce qu’elle risquerait de perdre une partie de son public. Mise en garde qu’elle décide de ne pas suivre. Elle a souffert de ne pas prendre position en faveur d’Hillary Clinton en 2016, et elle ressent en 2018 le besoin de s’exprimer. Depuis, ses positions sont relativement connues. La question n’était dès lors pas de savoir si elle allait soutenir Kamala Harris mais quand.À titre personnel, je pensais qu’elle attendrait courant octobre pour se prononcer. Mais il semblerait que la manipulation de son image par Trump, qui a eu recours à l’intelligence artificielle, ait pressé cette prise de position. Comme lorsqu’elle a pris position en 2018 pour soutenir les candidats démocrates aux élections du Congrès. Elle tenait également à s’exprimer pour couper court aux rumeurs des swifties for Trump. Un fantasme de la droite trumpienne. En 2016, elle ne s’était pas prononcée, et la frange néonazie de l’extrême droite en avait fait son idole.Peut-on questionner le fait que l’issue du scrutin puisse dépendre du positionnement d’une seule et même personne ?Elle prend position, certes, mais sa publication Instagram reste très nuancée. Elle est surtout très argumentée, raisonnée et mature. Elle explique le cheminement de son raisonnement et incite son public à s’informer. Et son message est en ce sens particulièrement utile au niveau civique. On ne dit pas ce qu’il faut faire, mais comment il faut y parvenir. Elle n’est pas dans quelque chose qui est viscéral, de l’ordre de la frustration, de la colère, de l’émotion. C’est très froid et très éloigné de ce que l’on voit beaucoup aujourd’hui dans la rhétorique politique qui est essentiellement fondée sur les émotions, car les émotions sont mobilisatrices. Ses choix sont toujours justifiés par des valeurs : protections des minorités sexuelles, droit à l’IVG… Si on est profondément homophobe, raciste et sexiste, on a priori quitté le vaisseau Taylor Swift depuis longtemps.Finalement, la crédibilité accordée aux prises de position de célébrités telles que Taylor Swift n’est-elle pas une conséquence de celle accordée de façon plus générale à la liberté d’expression ?C’est certes une habitude typiquement américaine, mais on oublie souvent que cela a également eu lieu en France. Dans les années 1970, il y a eu tout un mouvement d’artistes en faveur de Valéry Giscard d’Estaing. Brigitte Bardot portait par exemple des tee-shirts avec l’inscription « Giscard à la barre ». Daniel Balavoine s’en était pris à Mitterrand, alors que Renaud avait appelé à le soutenir. Après c’est devenu quelque chose de plus rare, parce que ça a coûté à certains leurs carrières. Quand Yannick Noah s’est engagé pour Hollande, on lui a beaucoup voulu. Sans compter Faudel [NDLR : qui s’était engagé pour Nicolas Sarkozy en 2007], qui s’est complètement cramé.

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Author : Ambre Xerri

Publish date : 2024-09-11 20:00:34

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