L’Express

Langues régionales : « En matière de droits linguistiques, la France mérite 2 sur 10 »

Le président Emmanuel Macron s'adresse aux membres de l'Assemblée corse, le 28 septembre 2023 à Ajaccio




La France le revendique régulièrement : elle serait « le pays des droits de l’homme ». Une belle et noble ambition qui se heurte toutefois à cette légère contradiction : en matière de droits linguistiques, notre pays mérite plutôt un bonnet d’âne. Et ce n’est pas moi qui le dis, mais le très autorisé Fernand de Varennes, un Canadien qui fut de 2017 à 2024 rapporteur de l’ONU sur les questions relatives aux minorités. Lisez son témoignage ; il est édifiant.Les droits linguistiques font-ils vraiment partie des droits humains ?Fernand de Varennes Il n’y a aucun doute sur ce point. La liberté d’expression, par exemple, protège l’utilisation privée d’une langue. De même, le droit à la vie privée permet à toute personne de voir son nom et son prénom exprimés dans une langue minoritaire. Quand un gouvernement n’applique pas l’une de ces dispositions, il porte atteinte à un droit humain fondamental.De votre point de vue, la France respecte-t-elle les droits linguistiques ?Malheureusement, non. Dans le domaine linguistique, elle porte atteinte à la liberté d’expression et multiplie les mesures discriminatoires à l’égard de ses minorités linguistiques [NDLR : le gouvernement et le Conseil constitutionnel français interdisent par exemple le prénom breton Fañch, avec un « n » tildé, comme le prénom catalan Martí, avec un « i » accent aigu].En la matière, quelle note accorderiez-vous à la France ?Hélas, je dirais qu’elle mérite 2 sur 10, car il existe chez vous énormément de limites concernant l’utilisation des langues régionales ou minoritaires.Lorsque vous étiez chargé de ces questions à l’ONU, avez-vous interpellé la France à ce sujet ?Oui, notamment en 2021, après que le Conseil constitutionnel a censuré la loi Molac en faveur des langues régionales. Avec mes collègues, nous sommes également intervenus en 2023, lorsque la justice a presque interdit l’utilisation du corse par l’Assemblée de Corse.VOUS SOUHAITEZ RECEVOIR CETTE INFOLETTRE ? >> Cliquez iciCes institutions expliquent qu’elles se sont contentées de suivre l’article 2 de la Constitution : « La langue de la République est le français ».Que le français soit la langue de la République est une chose. Mais, dans la plupart des pays, l’existence d’une langue nationale n’entraîne pas l’exclusion complète des autres langues. Considérer que l’article 2 interdit l’utilisation de toute autre langue est une interprétation qui nous semble déraisonnable et disproportionnée – et donc probablement discriminatoire en droit international. Au demeurant, l’article 2 ne dit pas que le français est la « seule » langue de la République. Et je rappelle que cette phrase a été ajoutée en 1992 afin de contrecarrer l’influence grandissante de l’anglais, et de l’anglais exclusivement. Il est donc ironique de constater que le Conseil constitutionnel l’utilise aujourd’hui pour limiter l’utilisation des langues régionales alors que l’anglais semble avoir libre cours en France.Comment le gouvernement français a-t-il réagi après vos interpellations ?La France n’a jamais répondu. Silence radio ! Il est tout de même navrant de voir qu’un pays qui se veut à l’origine des droits humains ne répond pas quand des craintes sont exprimées sur ce sujet par l’ONU.Y a-t-il des pays où les langues minoritaires disposent de droits qui sont refusés aux langues régionales de France ?Bien sûr ! La Suisse, par exemple, reconnaît quatre langues nationales et prend des mesures en faveur des langues des immigrés.Mais la Suisse n’est-elle pas une exception ?Pas du tout ! Voyez l’Italie. Dans la province germanophone du Haut-Adige, on peut avoir accès à l’éducation et à certains services publics en langue allemande. En Belgique, pays à majorité flamande, des mesures sont prises en faveur des langues minoritaires que sont le français et l’allemand. Le Royaume-Uni protège l’irlandais, le gallois et l’écossais. Dans le nord de l’Allemagne, il est possible de recevoir un enseignement bilingue en danois et en allemand.D’autres Etats comme le Canada et l’Australie favorisent même les langues de l’immigration. Dans les hôpitaux, par exemple, on communique si besoin en turc ou en albanais parce qu’il y va de la santé des individus. Je pourrais continuer longtemps, mais vous m’avez compris : en matière de droits linguistiques, c’est la France qui fait figure d’exception.Pourtant, chez nous, des langues comme l’occitan, le basque ou le breton bénéficient d’un enseignement bilingue. Le Conseil constitutionnel a simplement posé une limite : pas plus de la moitié des cours en langue régionale.Lorsque l’on limite l’utilisation d’une langue minoritaire à la moitié des cours, on écarte celle-ci de manière déraisonnable car, dans une société totalement francophone, cela ne permet pas de former de bons locuteurs de ces langues.Sous la Révolution, certains ont cru que les langues régionales étaient les ennemies des idées nouvelles.Au demeurant, cette décision ne s’appuie sur aucune base pédagogique solide. Au contraire ! De très nombreuses études de l’Unesco l’ont démontré : non seulement l’enseignement dans la langue d’une minorité n’empêche pas l’apprentissage de la langue nationale, mais elle le facilite car le cerveau des enfants bilingues est habitué à la complexité. Je m’étonne par ailleurs de voir que, dans le même temps, certains programmes scolaires sont offerts presque exclusivement en anglais.Comment cela ?Des grandes écoles et des universités françaises proposent des masters uniquement en anglais alors qu’il n’en existe pas à ma connaissance exclusivement en corse ou en breton. La préfecture de police propose également des documents en langue anglaise à destination des touristes. Cela ne me gêne pas, mais pourquoi ne pas faire la même chose en occitan ou en alsacien ? Pourquoi favoriser toujours l’anglais au détriment des langues de France ?D’où vient selon vous cette résistance ?Votre phobie des langues régionales a des origines historiques. Sous la Révolution, certains ont cru qu’elles étaient les ennemies des idées nouvelles. Mais nous sommes en 2024 ! Peut-être serait-il temps de reconnaître que cette analyse était erronée et que les droits humains ont évolué depuis le XVIIIe siècle. Ce serait du reste l’intérêt de la France, car la négation des droits des minorités linguistiques représente une tache sur son image.RETROUVEZ DES VIDÉOS CONSACRÉES AU FRANÇAIS ET AUX LANGUES DE FRANCE SUR MA CHAÎNE YOUTUBEA lire ailleursPourquoi le français n’est pas la langue officielle des Jeux paralympiquesVous l’aurez sans doute remarqué : le français a été quasiment absent des Jeux paralympiques. Et pour cause. Dans cette compétition, seul l’anglais a le statut de langue officielle, sans doute parce qu’elle a été lancée en 1948 par un médecin britannique dans la banlieue de Londres. A cette inégalité réglementaire s’est ajoutée la – volontaire – mise en avant de l’anglais pendant la cérémonie d’ouverture. Une option qui a suscité la colère d’un certain nombre d’associations de défense de la langue française.Quelle est l’origine du langage humain ?Comment et pourquoi l’homme a-t-il appris à parler ? C’est à ces questions que tente de répondre le linguiste Philippe Barbaud. Il explique comment nos lointains ancêtres ont fini par donner un sens à certains sons et comment la parole a joué un rôle fondamental dans la cohésion des premiers groupes humains. Sa thèse : l’homme a été un animal qui a perdu son langage avant de devenir le génial inventeur de la parole.L’instinct du sens. Essai sur la préhistoire de la parole, par Philippe Barbaud. Edition des auteurs des livres.Villers-Cotterêts : du mythe à la réalitéL’historien du droit Charles Baud vient de publier sa thèse de l’école des Chartes consacrée à l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Dans cet ouvrage savant, il rappelle que son fameux article 111, supposé avoir imposé le français dans l’administration, comporte en réalité le mot « maternel » (« en langage maternel françoys et non autrement ») et vise un objectif principal : la clarté des décisions de justice. Il montre aussi comment ce texte a fait l’objet d’une véritable mythification, y compris par les régimes républicains désireux d’éradiquer les autres langues du territoire national. Et pourtant, cette ordonnance publiée en 1539 par François Ier reste aujourd’hui le seul texte de l’Ancien régime « invoqué de façon régulière par les juridictions contemporaines ».Le mythe et l’exactitude. L’ordonnance de Villers-Cotterêts à l’époque moderne, par Charles Baud. Classique Garnier.Le Maroc doit-il privilégier l’anglais et non plus le français à l’école ?Selon certains experts, le passage du français à l’anglais en tant que première langue étrangère dans les écoles et universités marocaines serait une nécessité.Les 99 fautes que font tous les enfants« Lison n’est pas près (et non « prête ») d’oublier cette règle ». « Quand je serai en 5e » (et non « serais »). « Je partage ma photo avec toi » (et non « je te partage ma photo »). La correctrice et chroniqueuse de RTL Muriel Gilbert publie en cette rentrée scolaire un petit ouvrage pédagogique afin d’aider les enfants à mieux maîtriser la très capricieuse orthographe française. Il n’est pas interdit de penser que les parents y trouveront aussi quelques rappels précieux.Les 99 fautes que font tous les enfants, par Muriel Gilbert. Editions Vuibert.C’est le moment de prendre des cours de provençal…Frédéric Comba dispense chaque semaine des cours de provençal à Ramatuelle (débutants adultes), à la Garde-Freinet (débutants adultes) et au Plan-de-la-Tour (pour enfants et débutants adultes). Renseignements : [email protected]… ou de catalanJusqu’à la fin du mois de septembre, l’Institut franco-català tranfronterer de Perpignan, dit « fac de catalan », accueille les candidats en licence ou en master en présentiel ou à distance, en première inscription ou en double inscription (histoire et catalan, anglais et catalan, etc.).« Il manque 500 000 euros » : les écoles Diwan lancent un appel aux donsLe réseau des écoles pour un enseignement bilingue en breton par immersion a dressé en cette rentrée un état des lieux financiers alarmant. Avec un déficit de plusieurs centaines de milliers d’euros et en l’absence de solutions rapides, Diwan pourrait être en défaut de trésorerie dès la fin du mois d’octobre. Une situation qui amène le réseau à alerter les pouvoirs publics et les collectivités, mais aussi à lancer un appel aux dons.Tintin traduit en champenoisLe champenois ne disposait pas encore d’une version des albums de Tintin. Ce sera bientôt chose faite. En novembre paraîtra dans cette langue d’oïl qui a connu son heure de gloire au Moyen Age Los oreries d’lai Castafiore (Les Bijoux de la Castafiore). Originaire de Tournai (Belgique), Hergé, le père de Tintin, était favorable à ces multiples traductions. Il avait lui-même demandé à Casterman une version dans une autre langue d’oïl, le picard.A écouterQuand Joan de Nadau dénonce la glottophobieLe chanteur Michel Maffrand, alias Joan de Nadau, est un monument de la culture occitane, capable de remplir des Zéniths et même l’Olympia. Mais il est aussi un excellent sociolinguiste. La preuve avec cet entretien accordé au podcast La Cravate, dans lequel il dénonce les punitions infligées aux enfants « coupables » de parler une langue régionale à l’école de la République. « Derrière la répression d’une culture, d’une langue et d’une façon de vivre, c’est le mépris de la province qui s’exerce », souligne-t-il. Et de poursuivre : « Quand on te fait honte de ta façon d’être, tu as deux solutions. Soit tu acceptes et c’est la culpabilité. Ou bien tu décides de résister. » Lui, avec ses chansons, résiste depuis cinquante ans.A REGARDERPourquoi autant d’anglicismes dans les entreprises françaises ? par Thomas WieselWork shop, brainstorming, asap… L’humoriste suisse Thomas Wiesel s’étonne de la profusion des anglicismes dans les entreprises françaises et s’interroge sur les causes profondes de ce phénomène. Parler globish ferait-il gagner du temps ? D’une part, cela n’est pas toujours vrai, remarque-t-il : conf call n’est pas vraiment plus court qu’ »appel ». Et quand bien même, cela serait-il utile ? « Que vas-tu faire des quatre dixièmes de seconde que tu as gagnés à la fin de ta journée ? Un conf call de plus ? » interroge-t-il.REAGISSEZ, DEBATTEZ ET TROUVEZ PLUS D’INFOS SUR LES LANGUES DE FRANCE SUR la page Facebook dédiée à cette lettre d’information.



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Author : Michel Feltin-Palas

Publish date : 2024-09-10 06:53:27

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