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L’Express

En pleine crise politique, le monde des patrons n’échappe pas aux divisions et aux querelles

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Quand la crise politique atteint des sommets, eux se flattent de leur capacité à dépasser les dissensions pour aboutir à des accords. « L’entreprise, c’est le lieu dans lequel on sait faire des concessions, négocier avec des parties prenantes avec lesquelles on n’a pas la même vision, avec lesquelles on n’est pas nécessairement d’accord. C’est peut-être un exemple qui pourrait servir dans la situation politique actuelle », assure le directeur général de la Maif, Pascal Demurger. Et son débatteur, le président du Medef Patrick Martin, d’opiner discrètement du chef. En cette belle journée de la fin du mois d’août à Paris, l’argument aura été l’un des rares à rassembler les deux dirigeants d’entreprise. Car le monde des patrons se trouve, lui aussi, traversé par son lot de discordes.En témoigne leur rentrée en ordre dispersé. Quand les uns ont rallié le très chic hippodrome de Longchamp, au sud-ouest de Paris, pour participer à la traditionnelle grand-messe organisée chaque année par le Mouvement des entreprises de France, d’autres lui ont préféré les universités d’été d’Impact France, à la coloration sociale et écologique, dans les amphis de la Cité U au sud de la capitale. Issu du rapprochement entre le Mouvement des entrepreneurs sociaux et le réseau Tech for Good, cet « alter-Medef » de 15 000 « entrepreneurs engagés » – parmi lesquels figurent quelques grands noms comme la SNCF, La Poste ou Doctolib – est emmené depuis 2023 par Pascal Demurger et la fondatrice de la marque française de prêt-à-porter Loom, Julia Faure. Deux mouvements et deux visions, souvent antagonistes, sur les politiques à conduire et la place de l’entreprise dans la société.La politique de l’offre en questionCôté Medef, Patrick Martin n’a de cesse de défendre le maintien et l’approfondissement de la politique en faveur des entreprises à l’œuvre depuis une petite décennie en France. Un hommage tardif à l’un de ses principaux architectes, Bruno Le Maire, qui avait appelé les organisations patronales à prendre clairement parti contre le Rassemblement national avant le premier tour des élections législatives en juin… En vain. Seul Impact France s’était fendu d’un communiqué pour afficher son inquiétude sur la poussée du RN, estimant qu’une « victoire de l’extrême droite signifierait le déclin économique de la France ». Un choix qui avait suscité des remous en interne. Philippe Zaouati, le directeur général de la société de gestion d’actifs Mirova, avait claqué la porte face à une « position exclusivement anti-RN », déplorant que l’organisation refuse de prendre aussi ses distances avec LFI. »Des améliorations importantes ont été apportées ces dernières années en matière de compétitivité, mais elles ne nous ont pas remis à égalité avec nos concurrents » à l’échelle internationale, a depuis concédé Patrick Martin. Et le patron des patrons de promettre qu’une remise en cause de « la politique de l’offre ne pourra qu’accélérer notre déclassement ». « Ça se paiera cash », a-t-il prévenu.Casquette vissée sur la tête, Julia Faure livre une autre lecture des enjeux. « Nous voulons réconcilier performance économique et intérêt commun. Or, une politique probusiness qui ne tient pas compte des enjeux sociaux et environnementaux produit du mal-être et du chaos », insiste cette opposante de la première heure au géant chinois d’ultra-fast fashion Shein, en cohérence avec la ligne « progressiste et moderne » qu’elle dit vouloir défendre à la tête d’Impact France. A ses côtés, Pascal Demurger a fait de la conditionnalité des aides accordées aux entreprises l’un de ses combats. Soutenue de longue date par certains syndicats, la proposition a refait irruption dans le débat public par le biais du programme du Nouveau Front populaire. Mais le rejet de la candidature de Lucie Castets à Matignon par Emmanuel Macron semble pour l’instant avoir relégué l’initiative au placard.La pomme de discorde de la conditionnalité des aidesA moins qu’elle ne fasse son retour par le biais du dirigeant de la Maif lui-même ? Depuis plusieurs jours, son nom circule dans la longue liste des profils « premiers-ministrables », parmi lesquels figurent l’éternel revenant Bernard Cazeneuve, déjà passé brièvement par Matignon, ou un autre chef d’entreprise, l’ancien dirigeant de Michelin devenu président de Renault, Jean-Dominique Senard. « Je suis honoré que les idées que je porte […] soient reconnues », a simplement déclaré Pascal Demurger au micro de BFM Business. Car la conditionnalité des aides n’est pas la seule corde à son arc.Le PDG, dont le groupe a été parmi les premiers à se transformer en entreprise à mission, verrait aussi d’un bon œil que « les rémunérations des dirigeants ou des cadres soient assez largement indexées sur des résultats extra-financiers » tels que des objectifs de réduction des émissions de CO2. « Les entreprises sont mues par leur intérêt, c’est dans l’ordre des choses. Si on laisse simplement faire la loi du marché et le bon vouloir des dirigeants, on arrive à des cas comme celui de Boeing. Une enquête du Sénat américain a montré que la course effrénée à la rentabilité chez Boeing, avec une multiplication par six en six ans des dividendes versés par le groupe, s’est faite au détriment de la sécurité », illustre l’ancien haut fonctionnaire lors de son face-à-face avec Patrick Martin dans l’amphithéâtre Adenauer, ajoutant que « l’incitation est un bon mode de régulation de l’économie de marché ».Une approche qui a le don de faire grincer des dents du côté du Medef. « Des conditionnalités, on en a tout autour du ventre. Elles sont intrinsèques. Quand il y a des aides à la recherche par le crédit impôt recherche, c’est contrôlé dans tous les sens. Pour les aides à l’apprentissage, par définition, il faut que l’on ait en face le recrutement des apprentis », rétorque Patrick Martin. Dans les rangs de la première organisation patronale de l’Hexagone, le sentiment est largement partagé. « Il y a trop de normes, trop de lobbying vert. Au lieu de tout freiner, on doit laisser les entreprises grandir », grogne le dirigeant d’une société familiale du Sud-Est. Faute d’un gouvernement en France, la Commission européenne et son Pacte vert cristallisent désormais une partie du ressentiment du patronat. « On crève [des normes] dans notre pays et en Europe. 850 nouvelles normes impactant les entreprises ont été édictées par l’Union européenne au cours de la dernière mandature », assène Patrick Martin, toujours le verbe haut. »On ne peut pas être pauvre et travailler »Le représentant du Medef est aussi vent debout face aux mesures portées par le NFP, telles l’augmentation du smic à 1 600 euros ou l’abrogation de la réforme des retraites, dont il prédit des « effets ravageurs ». Dans les couloirs des universités d’été d’Impact France, un PDG du secteur de la grande distribution met en garde sur « des hausses de salaires trop soudaines, qui peuvent avoir un impact direct sur la pérennité des entreprises » dans un « monde où il n’y a pas de croissance », en écho aux craintes relatives à un possible retournement de la conjoncture. « Il faut bien sûr poursuivre les efforts d’augmentation des salaires, en regardant le niveau des charges qui pèsent dessus. Et peut-être simplifier pour que les salaires progressent à la même vitesse en brut et en net », évoque-t-il.Non loin de là, Julia Faure considère qu' »on ne peut pas être pauvre et travailler ». « Les hausses de salaires doivent donc se faire dans un cadre qui assure la compétitivité des entreprises, en accompagnant par exemple celles pour lesquelles de telles mesures sont plus difficiles à implémenter. Mais les grands groupes, qui affichent des bénéfices et disent ne pas pouvoir les augmenter, se moquent du monde ! » lâche-t-elle. Des divergences de vues qui n’ont pas fini de nourrir le débat patronal.

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Author : Julie Thoin-Bousquié

Publish date : 2024-08-31 09:15:00

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