Marc Fesneau connaît peu Laurent Wauquiez. Les deux hommes, aux trajectoires distinctes, n’ont jamais eu l’occasion de ferrailler. Dommage. En cette semaine de juillet, le patron du groupe MoDem à l’Assemblée aimerait bien cerner la personnalité de son homologue de la Droite républicaine (DR), qui l’appelle si souvent. Les postés clés du Palais Bourbon sont mis aux votes, il est urgent de s’entendre pour faire barrage à la gauche.Alors, le ministre de l’Agriculture sonde Patrick Mignola, ex-vice président MoDem de la région Auvergne-Rhône-Alpes. « Wauquiez ? Il est dur en affaires, mais il tient les deals, c’est le RPR », lui explique l’ancien député. Bien vu. Quelques jours plus tard, chaque camp tient parole. La Droite républicaine assure l’installation de Yaël Braun-Pivet au Perchoir, la macronie régale son allié d’un jour. Son groupe de 47 députés obtient deux des six vice-présidences de l’Assemblée, une des trois questures, et le poste de rapporteur général du budget de la sécurité sociale. On a frôlé le grand chelem : Véronique Louwagie n’a échoué à prendre la tête de la Commission des finances qu’à une voix près. »On n’entend pas se noyer dans le bloc central »Tant pis pour les cris d’orfraie de la gauche. Qu’importe l’agacement d’Éric Ciotti, qui dépeint son ennemi en « petit pion de la majorité macroniste ». Le 20 juillet, les présidents de groupe négocient la répartition des sièges dans l’hémicycle. Là encore, Laurent Wauquiez échange avec le responsable Horizons Laurent Marcangeli pour trouver un terrain d’entente. « L’histoire est en marche ! », ironise le Niçois, président du groupe « A Droite ». Trop heureux d’entonner le refrain d’une droite compromise avec un pouvoir honni. Laurent Wauquiez n’en a cure. Lui martèle sa stratégie d’indépendance et son refus de toute coalition gouvernementale. Exercer le pouvoir en 2024 serait un renoncement à le conquérir en 2027. Ce « deal » ? Un simple accord technique, sans dimension politique. « On n’entend pas se noyer dans le bloc central », assure-t-il à ses troupes le 18 juillet. Prière de déployer l’argumentaire. A un acteur des négociations, l’ex-ministre insiste : « Parlons de la présidence de l’Assemblée et de sa gouvernance. Mais pas du reste. »Laurent Wauquiez a remporté la première manche. Le voilà grand prince, libre de donner la becquée à ses ouailles. « Il a peut-être perdu des points provisoires chez les électeurs de droite agacés par le deal avec Attal. Mais il a besoin de cette phase transitoire pour être accepté par les parlementaires », note un cadre DR. Pour l’instant, cela marche. « Impressionné par son leadership », « on est agréablement surpris », « excellents débuts »… Les députés DR se confondent en compliments sur leur nouveau patron. Ces éloges sont prononcés sans illusions – l’homme est connu pour ses penchants autoritaires – mais avec sincérité. Ici, nulle conversion au Wauquiezisme. Le groupe ne s’est pas transformé en écurie présidentielle. « J’ai vu Pécresse finir à 4,7. Je ne serai pas derrière un Wauquiez à 5,2″, le prévient un jour un élu. Le candidat putatif pour 2027 laisse encore sceptique. Le président de groupe, lui, est apprécié. »DRH » à temps pleinCe n’était pas gagné. Le 7 juillet, l’air est glacial au Puy-en-Velay. D’un ton martial, Laurent Wauquiez refuse toute « coalition » ou « compromission » avec le macronisme dans son discours de victoire. Plusieurs députés « constructifs » déplorent cette intransigeance, la tentation de fonder un groupe dissident gagne les esprits. L’opération, mal préparée, n’aboutit pas. Laurent Wauquiez y a mis du sien. L’homme se mue en « DRH » à temps plein, à coups de SMS et d’entretiens individuels. Aux élus, il promet une liberté de vote totale, tant qu’elle ne s’accompagne pas d’expressions médiatiques divergentes. « Je ne veux pas caporaliser », lance-t-il en réunion de groupe, soucieux de montrer patte blanche.Place à la gestion des ego. Les jeunes députés se plaignaient d’être mis de côté ? Il les promeut à la direction du groupe. « Je veux faire monter la nouvelle génération, aussi pour l’après », assure-t-il à l’un d’entre eux. 2027 n’est jamais loin. Qu’on se le dise : nos députés ont aussi un cœur. Quand l’ex-président de groupe, Olivier Marleix, est ciblé en réunion de groupe, il vole à son secours. « Il a fait un excellent boulot dans des circonstances impossibles. » Virginie Duby-Muller, un temps en marge du groupe, a droit à des applaudissements après son retour au bercail. La séduction, plutôt que la menace. Nécessité fait loi. Laurent Wauquiez n’a guère d’autorité sur ces 46 « autoentrepreneurs » élus sur leur nom. « Au Conseil régional, il peut fracasser celui qui n’est pas dans la ligne. Là, c’est plus compliqué », assure un lieutenant. Tout le monde n’a pas le droit à cette câlinothérapie. Laurent Wauquiez ne retient pas Aurélien Pradié et Raphaël Schellenberger, soupçonnés d’être dans une aventure politique concurrente. « Tu fais ce que tu veux », lâche-t-il au second lors d’un bref échange.Ambiguïté stratégiqueDemeure le plus délicat : le rapport au macronisme. Un poison lent chez LR. Les députés, produits et prisonniers de sociologies électorales diverses, sont stratégiquement tiraillés. Quoi de commun entre un élu d’une terre macroniste ou un tombeur du RN dans une circonscription frontiste ? Soucieux d’incarner d’alternance en 2027, Laurent Wauquiez refuse toute coalition. Mais il ne peut être accusé de jouer la politique du pire pour préserver ses ambitions présidentielles. Ainsi, le député a présenté ce lundi avec le sénateur Bruno Retailleau son « pacte législatif d’urgence », treize mesures que la droite s’engage à voter si le nouveau gouvernement s’en saisit.Un subtil exercice d’équilibriste. L’homme vante des « propositions qui puissent permettre d’avancer », un « travail de fond », mais exclut toute participation au futur exécutif. Cette ambiguïté stratégique doit unir le groupe DR. « Le pacte législatif parle à ceux qui veulent davantage travailler avec les macronistes et ceux qui souhaitent être dans l’opposition », confie le député Ian Boucard. Aux premiers le terme de « pacte » et la rhétorique de l’accord. Aux seconds le terme « législatif », excluant toute référence gouvernementale. L’habillage est subtil, la réalité plus terre à terre. De simples propositions de loi (PPL), comme le fait la droite depuis toujours quand elle est dans l’opposition. Chez Laurent Wauquiez, la concession est de forme. Pas de fond.Ce pacte est un outil de management. La synthèse, aussi, de l’ADN de la droite. Au menu : revalorisation du travail, réduction de l’immigration incontrôlée et rétablissement des comptes publics. Laurent Wauquiez estime que seul un « gouvernement technique », à faible tonalité politique, peut naître de cette Assemblée ingouvernable. Les propositions de loi issues de son pacte seront un message adressé aux Français. Vous souhaitez qu’elles puissent entrer en vigueur ? Vous savez pour qui voter en 2027.L’opinion contre l’Assemblée ?Un certain Gérald Darmanin partage cette intuition. Le ministre de l’Intérieur juge en privé qu’il faudra parfois jouer « l’opinion contre l’Assemblée » dans l’hémicycle, tant celui-ci n’est qu’une représentation imparfaite d’une France à droite. Il faudra y porter des propositions fermes – quitte à essuyer des défaites – et ne pas sombrer dans le compromis permanent. Chez Laurent Wauquiez, l’Assemblée est la caisse de résonance d’une offre politique en gestation. Pas le lieu d’exercice du pouvoir, dont il se tient à distance. « L’Assemblée est utile en termes de leadership pour lui, glisse un proche. Mais il ne juge pas que tout se passera à l’Assemblée et que la présidentielle s’y décidera. »La stratégie est arrêtée. Encore faut-il que les troupes suivent. Plusieurs députés font preuve d’une souplesse stratégique supérieure à celle de Laurent Wauquiez. La coalition ne les emballe pas, comme elle a pu séduire des élus LR en 2022. Elle serait fragile politiquement, sur fond de macronisme à l’agonie. Mais ces élus s’interrogent sur le meilleur moyen d’assurer une stabilité parlementaire. « On est condamné à l’innovation politique. Quel sens cela prendra ? Je n’en sais rien », admet une députée, pourtant attachée à la ligne d’indépendance. « Il ne faut pas s’interdire d’être un recours pour éviter l’instabilité et le blocage », ajoute un élu. Un troisième conclut : « Avec le seul pacte, on va obtenir des victoires et on n’aura pas la visibilité médiatique, car on ne les portera pas. »Même Olivier Marleix, indécrottable antimacroniste, plaide pour la nomination d’un Premier ministre de droite. Lui juge que l’affaiblissement du chef de l’Etat change la donne. Exercer le pouvoir ne serait pas un ralliement, mais l’imposition d’une cohabitation au chef de l’Etat. Laurent Wauquiez va devoir composer avec cette polyphonie, mais imposer le tempo. Le plus dur commence.
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Author : Paul Chaulet
Publish date : 2024-07-23 08:00:00
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