L’Amérique est une histoire de corps. Corps conquérant, corps hollywoodien, corps modèle, corps monde. Jérôme Fourquet dans La France sous nos yeux nous apprenait que la passion country, musique et danse, réunissait 4 millions d’adeptes en France, soit 9 % de la population française. Le corps du cow-boy est increvable. En témoigne encore, Kevin Costner, qui, alors que la mort du western a été moult fois annoncée, que Clint Eastwood et son Unforgiven en 1992 auraient mis un point final (grandiose) au genre, revient avec un western au long cours, en trois longs métrages, financés sur ses propres deniers. Même pas peur. Comme si l’Amérique résistait avec force à l’agonie de sa puissance en glorifiant son ADN, en retrouvant le corps insubmersible du cow-boy, qui même blessé, même mourant, même mort, garde l’attrait de la force et de la lutte.Le corps instable de Joe Biden devenu source d’inquiétude du monde, ce corps qui dérape, qui ne tient plus, ce corps qui est à l’image de l’esprit défaillant, fatigué du président américain, nous tient en haleine à quelques semaines de l’élection présidentielle américaine qui pourrait voir revenir un Donald Trump vengeur. Et voilà que le corps de Trump renverse la donne, s’imposant aux rétines du monde comme le corps retrouvé de l’Amérique. Victime d’une tentative d’assassinat, filmée, enregistrée pour l’Histoire, l’ex-président se jette à terre avant que les services secrets se jettent sur lui, formant un amas de corps protecteurs. Rapidement, il faut exfiltrer Trump, potentiellement toujours en danger, il faut le relever, il réclame ses chaussures qu’il a perdues dans la chute, il se lève, il a du sang sur le visage, les mains et les corps des agents de sécurité tentent de former un mur dérisoire de chair autour du corps en ligne de mire. Trump résiste, le corps de Trump s’extrait de cette protection, un bras, un poing, un mot répété trois fois : « Fight ! » Et il est entraîné ce corps vivant, entraîné difficilement hors de la scène, mais le poing est encore haut, le corps Trump explose dans toute sa puissance.Il y a aussi le son qui va avec l’image – le sang sur le visage, les hommes en noirs ceinturant le corps qui refuse de disparaître, le poing haut levé et le drapeau américain qui flotte opportunément au-dessus de la scène – immortalisé pour l’éternité. Les cris, inévitables, le silence relatif qui suit, les murmures traversés de cris racontant l’imminence du danger puis l’accalmie nerveuse de la survie. Et soudain, après que l’animal politique Trump a levé le poing et répété « Fight ! », la foule, encore courbée, toujours hésitante, les corps à moitié affaissés, pas tout à fait rassurés, se redressent, revigorés par le corps éclatant de leur candidat, et crient en retour à pleins poumons : « USA ! USA ! USA ! » C’est à cet instant précis que la victoire probable de Trump se cristallise.Le corps de Biden n’est plus un espoir d’apaisementPendant ce temps, le corps de Joe Biden tente de rassurer, de calmer les peurs, le trauma né d’une tentative d’assassinat qui rappelle la violence jamais tout à fait apprivoisée du pays né de conquête en conquête, de passion en polarisation. Il tente le corps fatigué de Joe Biden de reprendre la main de la paix, de la sérénité, de la concorde. Mais dès sa première apparition, depuis le bureau Ovale, ce qui est évident, c’est que le corps du grand-père n’est plus protecteur, qu’il fait davantage craindre le pire qu’il ne représente un espoir d’apaisement. Ce corps serait incapable de défendre qui que ce soit contre quelques périls que ce soient. « Avoir un corps, c’est la grande menace pour l’esprit », écrivait Marcel Proust dans Le Temps retrouvé. Ce qui devient flagrant, c’est le temps perdu des démocrates, le temps de l’aveuglement, le temps du refus de l’évidence, du corps trop fragile de Joe pour tenir face à Donald.Peut-être que rien n’est joué, peut-être que le corps démocrate va se reprendre, se regarder en face, se projeter dans l’avenir. Mais ce que nous raconte le corps vulnérable de Joe Biden, c’est le mal qui ronge les démocraties libérales. La fatigue démocratique, les discours qui brodent chaque fois autour des valeurs universelles qui ne résonnent plus, la paresse de l’Occident qui pense pouvoir se renouveler dans un corps qui ne dit rien que la mort inévitable à venir.Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste
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Author : Abnousse Shalmani
Publish date : 2024-07-19 11:45:00
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