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L’Express

Pierre Vermeren : « Au Maroc, la perspective que Macron soit battu n’a rien de triste »




Pierre Vermeren est historien et professeur des universités. Il a récemment publié Histoire de l’Algérie contemporaine (Nouveau Monde Éditions) et Le Maroc en 100 questions, un royaume de paradoxes (Texto). Pour L’Express, il analyse les réactions au Maghreb après les élections législatives françaises, avec, derrière l’opposition apparente au RN, des contrastes entre le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Pour le spécialiste, il sera important de savoir qui, du Maroc ou de l’Algérie, organisera la prochaine visite d’Etat en France…L’Express : Comment les élections législatives françaises ont-elles été perçues au Maghreb ?Pierre Vermeren : La réaction apparente globale, c’est un « ouf » de soulagement, dans une région où l’envie d’émigrer reste intacte. Là-bas, dans la presse, le Rassemblement national est régulièrement présenté comme étant un parti anti-musulman et anti-maghrébin.Mais il y a des différences selon les pays. La presse tunisienne a fortement associé ce scrutin au conflit israélo-palestinien, en présentant le résultat comme une défaite du « lobby sioniste français ». La promesse de Mathilde Panot de reconnaître un Etat de Palestine « dans les deux prochaines semaines » a été reprises en boucle. Les presses algérienne et marocaine sont, elles, beaucoup plus prudentes sur ce sujet. Dans le cas du Maroc, cela se comprend aisément, puisque le pays est allié à Israël dans le cadre des accords d’Abraham. Mais cette différence s’explique aussi par le fait que c’est en Tunisie où la presse d’extrême gauche est la plus forte, des alliés qui discutent avec Jean-Luc Mélenchon. Quant à l’Algérie, elle considère avoir sauvé ses positions et n’en rajoute pas. Au Maroc et en Algérie, les médias francophones comme arabophones sont totalement contrôlés par les appareils d’Etat, qui dictent leur ligne. A l’inverse, même si le gouvernement tunisien est redevenu autoritaire sous Kaïs Saïed, il reste quand même une liberté de ton dans la presse, où s’exprime encore la « rue arabe ».Au Maroc, les médias soulignent surtout qu’il va être difficile pour la France de sortir d’un chaos annoncé. Rappelons que les relations ont été très mauvaises ces dernières années entre Emmanuel Macron et le roi Mohammed VI. Le Maroc avait pris des dispositions, autant avec Jean-Luc Mélenchon – qui a visité le pays en mars (où il « voit plus de laïcs qu’en France » sic) – qu’avec le RN, dont certains membres comme Thierry Mariani soutiennent publiquement la marocanité du Sahara occidental. Aux yeux du Palais de Rabat, la perspective que Macron soit battu n’a donc rien de triste, même si les autorités se gardent bien de le faire savoir publiquement.A quel point la volonté du RN de mettre fin à l’accord de 1968, tout comme les polémiques sur les binationaux, ont-elles nui à son image en Algérie ?L’Algérie a été le pays le plus moteur dans l’appel à voter contre le RN en France. Il y a eu des appels provenant de relais officiels ou officieux, à l’image de la Grande mosquée de Paris, afin de mobiliser les Franco-Algériens pour qu’ils fassent barrage au RN. Le ton était plus contrôlé au Maroc, car le pays voit bien qu’on ne peut pas préjuger de l’avenir, et qu’à terme, la situation pourrait profiter au RN.L’Algérie est le pays qui a le plus de binationaux en France, vu que la nationalité algérienne ne se perd pas et se transmet en émigration. L’accord de 1968 (mouture des accords d’Évian) facilite grandement l’installation définitive des Algériens venus sur le territoire français. Il est d’ailleurs paradoxal, pour un gouvernement qui se veut nationaliste, de défendre cet héritage de l’histoire coloniale…Vous le souligniez, le Maroc a des positions plus ambiguës sur le RN. Comment l’expliquer ?Le RN, par son histoire, notamment sa composante historique monarchiste, a toujours eu des affinités avec le régime marocain. Il y a une hostilité commune à l’Algérie, et une tradition d’amitié de fondateurs du parti, tel Jean-Marie Le Pen, avec les régimes nationalistes arabes. Mais d’un autre côté, l’opinion publique marocaine est hostile au RN, à cause de l’islam, de l’immigration et de la binationalité qui joue aussi pour les Marocains. Les sentiments du pouvoir et de la presse sont donc partagés. Mais au Maroc domine cette idée que les relations ont été tellement mauvaises avec la France depuis dix ans qu’elles peuvent difficilement s’aggraver. Le pouvoir cherche surtout à changer les règles sur la question du Sahara occidental, et par rapport à son grand ennemi, l’Algérie.Jean-Luc Mélenchon est né au Maroc et y a passé les dix premières années de sa vie. Depuis quelques années, il est aussi devenu le chantre de la Palestine et du « Sud global »…C’est devenu son fonds de commerce électoral. La marche « contre l’islamophobie » avec les Frères musulmans en 2019 a instauré ce tournant idéologique, qui vise la diaspora maghrébine en France. Ce communautarisme est électoralement payant, car il concerne potentiellement des millions de binationaux. Mélenchon utilise aussi depuis longtemps une rhétorique anti-sioniste (« A Gaza, il ne s’agit pas d’une guerre mais d’un génocide »), reprenant à la fois les vieilles lunes de l’antisémitisme (« le peuple déicide ») et la nouvelle lune totalitaire islamiste. Sur le terrain, ça s’est concrétisé. On voit qu’en Ile-de-France et dans d’autres banlieues, LFI a eu des résultats « staliniens » sur certains bureaux. Mais s’il a fait le plein dans les métropoles, on constate aussi que le parti stagne (voire régresse) ailleurs.Mélenchon et d’autres Insoumis se sont rendus au Maroc, en Algérie ou en Tunisie. Mais sur le plan de la politique étrangère, on ne voit pas très bien comment l’extrême gauche pourrait avoir des intérêts communs avec des régimes aussi différents qu’un gouvernement conservateur et monarchiste, comme au Maroc, et des gouvernements nationalistes, comme en Algérie ou en Tunisie.Ces derniers mois, Emmanuel Macron a tenté un léger rééquilibrage avec le Maroc, après avoir longtemps mené une politique mémorielle à destination de l’Algérie. Comment va-t-il poursuivre ses relations diplomatiques avec ces deux pays rivaux ?Si le RN avait remporté les élections, la visite d’Etat du président algérien Tebboune, déjà plusieurs fois reportée et annoncée pour cet automne, aurait été annulée. Là, la commission des historiens franco-algériens va symboliquement continuer son travail. Et selon le résultat de l’élection présidentielle en Algérie de septembre – on ne sait toujours pas si Tebboune va y participer -, une visite d’État du président algérien en France sera organisée à Paris…Quant au Maroc, il y a un processus en cours de réchauffement à feu doux avec la France, qui devrait se poursuivre. Les relations entre l’Algérie et le Maroc sont aujourd’hui totalement hostiles, et le Maroc ne peut pas laisser le tête-à-tête franco-algérien se poursuivre. Il sera donc intéressant de voir lequel de ces deux pays va le plus rapidement organiser un voyage d’Etat en France. Ce sera un bon indicateur : soit du réchauffement avec le Maroc, soit de la persistance des bonnes relations avec l’Algérie. Mais ces dernières étaient essentiellement liées à la bonne entente personnelle entre Macron et Tebboune. Si l’un des deux dirigeants quitte le pouvoir, on ignore si ce processus va se poursuivre.Le député NPF de la 9e circonscription des Français de l’étranger, Karim Ben Cheick, a été réélu haut la main…Ce diplomate franco-tunisien a réussi l’exploit de réconcilier le Maghreb. Il a fait des scores élevés aussi bien en Tunisie qu’au Maroc et en Algérie, avec un résultat presque soviétique (74 % des voix). Face à lui, la candidate macroniste, la franco-marocaine Samira Djouadi, s’est pris une claque même dans son pays, où le vote est pourtant habituellement très nationaliste… mais apparemment non-macronien.



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Author : Thomas Mahler

Publish date : 2024-07-11 05:45:00

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