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L’Express

Agatha Christie : pourquoi la reine du crime reste indétrônable




Un huis clos sur une île plus ou moins déserte, un joli village anglais frappé par une série de meurtres mais abritant une vieille dame curieuse, un train traversant l’Europe/les Etats-Unis avec, à son bord, une ribambelle de personnages aux animosités anciennes… et aussitôt la comparaison surgit. Parfois sous la forme de périphrase glissée en quatrième de couverture, « dans la ligne de la reine du crime », parfois plus directement sur un bandeau de bas de page, « digne héritier d’Agatha Christie ». Peu importe la forme, les romans policiers qui se réfèrent à la mythique Anglaise pullulent. Les chroniqueurs littéraires spécialistes du genre s’en donnent aussi à cœur joie, parfois jusqu’au trop-plein.Parmi les héritiers revendiqués, il y a la variante classique, comme chez Christos Markogiannakis avec son Qui a tué Lucy Davis ? (Plon). Dans ces Vacances d’Hercule Poirot à la sauce grecque, il met en scène un détective qui, à l’occasion de quelques jours de détente sur une île paradisiaque, est obligé de se plonger dans l’élucidation d’un meurtre. Par chance, il a emporté des livres d’Agatha Christie, même s’il sait, aussi bien que le petit Belge, dénicher les secrets que chacun s’emploie à dissimuler. Et il y a la version déjantée. Chez Sonatine, Benjamin Stevenson s’en est fait une spécialité. Après Tout les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un, il est de retour avec Tout le monde dans ce train est suspect. Croquis des compartiments en ouverture, pitch « Sept écrivains montent dans un train. A la fin, cinq en sortiront vivants », les références sont explicites, mais le roman joue avec Agatha Christie plus qu’il ne s’en inspire directement.Le succès de l’écrivaine morte depuis près de cinquante ans ne faiblissant pas, la tentation est grande de profiter de sa notoriété comme argument marketing. « On joue sur le réflexe, on se dit que, si le lecteur a aimé le modèle, il aimera la reprise », note François Rivière, grand connaisseur du polar et auteur de De l’assassinat considéré comme une affaire de femmes (Calmann Lévy). Depuis leur parution, les 66 romans d’Agatha Christie se sont écoulés à quelque 2,5 milliards d’exemplaires, à 4 millions sur le seul marché français. Prescrites dans les écoles, en bonne place dans les bibliothèques des parents comme des grands-parents, volontiers offertes en cadeau à des adolescents que l’on veut inciter à lire, les aventures de Miss Marple et d’Hercule Poirot sont plus que jamais des valeurs sûres.Les récents films de Kenneth Branagh reprenant deux grands classiques – Mort sur le Nil et Le Crime de l’Orient-Express –, la diffusion sur Netflix d’A couteaux tirés et de Glass Onion, mettant en scène Benoît Leblanc, un pastiche d’Hercule Poirot, contribuent aussi à la longévité de l’œuvre. Chez Lattès/Le Masque, éditeur historique d’Agatha Christie avec le Livre de Poche, les ventes ont progressé de 55 % en dix ans et sont passées de 60 000 exemplaires en 2014 tous titres confondus à 93 000 en 2023. « D’ici à 2027, pour les 100 ans de la collection du Masque, nous ressortons les intégrales, qui étaient très demandées », précise Constance Trapenard, la directrice éditoriale.Indépassable maître du whodunit ?Au-delà de l’enjeu commercial, pour les auteurs, se revendiquer de la reine du crime signifie aussi s’inscrire dans un courant littéraire, avec des personnages, des lieux et un style d’intrigue très précis. « Les années 1920 marquent l’âge d’or du roman d’énigme, avec une forme codifiée et la révélation d’une solution à la fin. C’est un genre antiromanesque, dans lequel il n’y a pas de descriptions, ni de psychologie. Une codification qu’Agatha Christie maîtrise parfaitement », résume Dominique Meyer-Bolzinger, maître de conférences à l’université de Haute-Alsace. Elle reste l’indépassable maître du whodunit ? (qui a tué ?) : « Elle a beaucoup de technique, elle a diversifié les lieux de ses crimes. C’est ce qui fait que son œuvre est originale et est passée à la postérité », reprend François Rivière.Lire des hommages à Agatha Christie, c’est renouer avec des souvenirs de lecture de jeunesse plus plaisants que bien des classiques imposés par l’école ou par les parents. « J’ai grandi dans une famille d’avocats criminalistes, donc le crime était toujours là à table. Un des premiers livres que l’on m’a offert, c’était Le Meurtre de Roger Ackroyd, vers 8 ou 9 ans, c’était mon premier livre d’adulte. Avec l’âge, j’ai apprécié non seulement l’intrigue, le suspense, le côté rassurant, mais aussi les personnages intemporels, la psychologie du crime », reprend Christos Markogiannakis. L’Américain Peter Swanson, auteur de Neuf Vies (Gallmeister), sorte d’Ils étaient dix à grande échelle, a lu Agatha Christie à l’âge de 10 ou 11 ans : « Beaucoup d’écrivains et de lecteurs de romans policiers ont été initiés au genre à travers ses livres si intelligents. Désormais, ces derniers forment une sorte de langage universel pour les amoureux de ce courant. »S’inspirer d’Agatha Christie, c’est redonner au lecteur le plaisir des devinettes, du Cluedo auquel il jouait quand il était enfant. Pas d’horreur, pas de sang, un cadavre à peine visible, tout est dans l’après, seules ses petites cellules grises sont mises à contribution. C’est aussi tenter de le leurrer en lui donnant juste ce qu’il faut d’indices pour qu’il ne devine pas le dénouement avant le détective. C’est le replonger dans l’ambiance d’une Angleterre un peu désuète, voire totalement fictive, mais qui a imprégné son imaginaire.Chacun essaie d’apporter la petite touche qui le démarque. « Pour Neuf vies, je voulais écrire une version différente d’Ils étaient dix, mais en reprenant son idée d’étrangers mis ensemble et qui sont tués un par un. Dans Huit meurtres parfaits, je m’inspire du concept du narrateur qui trompe le lecteur en ne lui donnant pas tous les éléments », reprend Peter Swanson. Dans La Maison sur la falaise (Métailié), l’Ecossais Chris Brookmyre joue le huis clos, le groupe, le cadavre dans la cuisine, mais le livre emprunte ensuite des chemins de traverse. « Je ne copie pas, je n’imite pas, je m’inspire. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas seulement le « Qui a tué ? », mais le pourquoi, l’aspect psychologique », ajoute Christos Markogiannakis.Le cosy murder trop ouaté, trop peu incisifAux yeux des lecteurs, mentionner Agatha Christie ne suffit pas à faire d’un auteur un de ses héritiers. Les plus puristes refusent, par exemple, de reconnaître aux cosy murder une quelconque filiation, malgré leur succès commercial. Trop ouatés, trop peu incisifs au regard du regard féroce porté par la reine du crime sur la société anglaise, ses arcanes familiaux et ses relations de voisinage. « On voit des parodies, avec des villages anglais, mais c’est un héritage qui force le trait et qui ne comprend pas la dimension littéraire du roman d’enquête, du détective qui raconte une histoire », note Dominique Meyer-Bolzinger.A l’inverse, avoir l’imprimatur des héritiers officiels ne garantit pas le succès, comme en témoignent les ventes des livres de Sophie Hannah, officiellement mandatée pour écrire des suites reprenant le personnage d’Hercule Poirot : « Elles n’ont pas été à la hauteur de nos attentes. C’était une idée un peu « produit » », regrette Constance Trapenard. Avant d’ajouter : « Mais cela a permis de revaloriser notre fond sur lequel il y a eu des pics de vente. » Parce qu’en réalité, le secret est là : lire des hommages à Agatha Christie pour mieux revenir à l’œuvre d’origine. Pour se remémorer un dénouement oublié ou retrouver le cheminement qui y conduit. Pour admirer le travail des petites cellules grises d’Hercule Poirot ou pour le plaisir d’un thé avec Miss Marple. What else ?



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Author : Agnès Laurent

Publish date : 2024-07-06 11:00:00

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